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LE PARADIGME DE L’EXCLUSION SOCIALE

4. IMPORTANCE DU CONCEPT D’EXCLUSION POUR LA RECHERCHE

L'importance du débat sur l'exclusion sociale pour cette recherche est liée à ce qui motive son étude, à savoir, les quartiers défavorisés. Ils sont le siège d’émeutes, plus particulièrement depuis le début des années quatre-vingt en Europe, et se manifestent alors comme un facteur à risque, non seulement parce qu’ils suscitent la peur, mais surtout parce qu’ils représentent une menace en termes globaux pour la cohésion sociale (Damon, 2004). Tant la politique de la ville en France que le développement communautaire aux États-Unis tentent de remédier à l’exclusion sociale par une intervention spécifique sur ces quartiers dits « en difficulté » (Bacqué, 2006).

Cette approche territoriale de la politique a également commencé à se manifester fortement ces dernières années au Chili, où la revitalisation des quartiers répond à la « Nouvelle politique du logement d’amélioration de la qualité de vie et de l'intégration sociale »15 qui tente de résoudre l'exclusion sociale ou la nouvelle pauvreté urbaine. Cette nouvelle politique urbaine est ciblée sur les quartiers socialement ségrégés, éloignés des réseaux d’opportunités de la ville. À ce sujet, il est intéressant de remarquer que cette politique est aussi formulée dans le cadre du paradigme de l’intégration sociale, de sorte qu’elle répond bien à la discussion précédente. Une analyse plus profonde de cet argument sera abordée dans la section sur la généalogie du programme publique chilien de réhabilitation de quartiers vulnérables « Quiero mi Barrio », objet d’étude de cette recherche.

Comme mentionné ci-dessus, il existe des critiques sur la notion d'exclusion, car elle occulte les phénomènes structurels qui sont à l'origine de l’exclusion elle-même. Mettre l’accent sur « l’intégration » des exclus à travers l’accès aux opportunités, cacherait un débat moins consensuel sur les raisons qui ont mené à ces phénomènes d'exclusion, notamment les fortes inégalités sociales. Autrement dit, il n’est pas simplement question d’intégrer les personnes qui habitent dans des quartiers défavorisés ; d’autres questions se posent : Comment les intégrer ? Dans quel délai et pour combien de temps ? L’exclusion serait plutôt un symptôme d’une maladie plus grande d’inégalité sociale, laquelle est déterminée par les forces structurelles de la société, de même que par les forces structurelles mondiales – ce sujet sera abordé dans le chapitre suivant sur les processus globaux se trouvant derrière l’exclusion sociale. Les institutions économiques et politiques, ou tout simplement la structure sociale, imposent des contraintes sur les personnes, indépendamment de leurs capacités et aptitudes. Cela provoque l'exclusion sociale et la répartition très inégale des revenus et des richesses. Il est donc crucial de prendre en compte l’exclusion et de chercher la manière de résoudre ce problème afin de réellement éviter ce symptôme.

En ce sens, il me semble extrêmement important de préciser que l'objectif de cette recherche qui met l'accent sur la réhabilitation des quartiers n'a pas l'intention d’omettre les raisons structurelles qui se trouvent derrière l’exclusion sociale, c’est-à-dire, les inégalités sociales, mais au contraire, de les mettre en évidence. La revitalisation des quartiers ne représente qu'une partie de l’ensemble des politiques publiques visant à la diminution de l’exclusion sociale. D’ailleurs, pour résoudre le problème des inégalités sociales, il existe d'autres instruments et d’autres politiques publiques, tels que les différentes allocations – comme instrument à court terme –, ou un meilleur accès à l'éducation ou au travail pour les femmes – comme instruments à long terme. Les inégalités sociales et l’exclusion sociale sont deux problématiques différentes qui doivent être examinées à l’aide d’instruments appropriés à chacune.

À ce sujet, plusieurs experts de la pauvreté en Amérique latine affirment que les nouvelles approches de lutte contre la pauvreté qui mettent l'accent sur le territoire sont le seul moyen de trouver une approche globale et pertinente pour une intervention publique sur ce sujet. Les antécédents de plusieurs pays latino-américains et du Chili, tous marqués par de fortes inégalités dans leur structure socio-économique et culturelle et par des situations de fortes concentrations

15 Traduction personelle de l’espagnol : “Nueva política de vivienda de mejoramiento de la calidad y la integración social”, MINVU 2006.

territoriales de pauvreté, indiquent qu'il est conseillé de travailler avec les groupes pauvres et vulnérables dans la zone géographique dans laquelle ils résident ou travaillent. Cela implique de privilégier une approche de gestion territoriale du développement social qui traite à la fois des facteurs individuels et des facteurs environnementaux (Raczynski et Serrano, 2001).

En ce sens, la réhabilitation des quartiers peut être utilisée comme plateforme pour lutter contre les inégalités sociales dans les territoires qui sont le plus touchés par celles-ci, en assumant qu’une vraie lutte contre les inégalités doit être structurelle au niveau des politiques publiques globales qui ne doivent pas perdre de vue l’ensemble de la société. C’est l’avertissement que Robert Castel (1995) donne à propos des politiques territoriales, car, quoique l’originalité soit de mobiliser les ressources locales pour traiter in situ un problème, la limitation consiste à circonscrire davantage les changements à des éléments locaux internes, plutôt qu’à la transformation des variables externes qui structurent et déterminent la situation locale (Castel, 1995).

Autrement dit, la lutte contre l’exclusion doit s’anticiper par une réduction des situations de vulnérabilité sociale qui sont produites par les inégalités sociales. La réhabilitation des quartiers défavorisés peut aider à assumer ce défi, à un niveau microsocial, en favorisant l’injection de ressources pour les personnes et leurs familles afin qu’elles puissent mobiliser leurs propres ressources pour accéder à des meilleures opportunités sociales et économiques. À un niveau macrosocial, c’est l’État qui doit créer l'égalité des chances et assurer l'accès à un minimum de protection sociale selon les niveaux de développement de la société (Wormald, 2007). Dans le cas particulier de l’exclusion sociale urbaine, un exemple de réponse est celle des politiques de prévention de la ségrégation urbaine, notamment par des politiques de logement qui tendent à la mixité des classes sociales pour éviter la ghettoïsation des quartiers, politiques qui ont cependant commencé à être critiquées il y a quelques années à cause de leur inefficacité.

Pour cette thèse, nous adoptons le paradigme de l'exclusion sociale comme cadre conceptuel pour analyser la politique chilienne de réhabilitation de quartiers, lesquels souffrent une concentration de différents types d'exclusions, y compris socio-spatiale. L’utilisation du paradigme de l'exclusion sociale urbaine, préférée aux paradigmes de la cohésion sociale ou de l'inégalité, ne signifie pas que ces derniers soient mis de côté dans cette analyse dans la mesure où ces trois phénomènes sont étroitement liés.

La préférence du paradigme de l'exclusion tient : premièrement, à la volonté de comprendre comment se déroule la lutte contre les processus de rupture des liens sociaux dans la sphère du quartier – autrement dit les processus d’exclusion – et non comment sont construits les liens sociaux entre les membres d’une société ou quartier – autrement dit la cohésion ; deuxièmement, à l’intérêt à comprendre la politique urbaine qui vise à lutter contre les conséquences de la répartition très inégale des revenus et des richesses, et non la politique de lutte contre la ville inégale ou les processus qui sont à l'origine de ce type de politique, tels que la ségrégation ou la fragmentation urbaine (dans ce cas, il faudrait étudier la Subvention pour

l'emplacement qui a été inclus – entre autres, avec le programme Quiero mi Barrio – dans la Nouvelle politique de logement chilienne de l’année 200616).

Finalement, l’exclusion sociale est un cadre conceptuel qui permet de définir le problème auquel nous sommes confrontés. Le choix de l’approche la plus adéquate pour travailler la solution au problème constitue un autre thème. Derrière cette observation se trouve toute la discussion de la deuxième partie de la thèse, au sujet des différentes réponses à l’exclusion sociale dans le milieu urbain, lesquelles répondent à différents modèles d’action publique, et donc aux manières dissemblables d’agir ou de faire société (Donzelot et al, 2003). L’approche territoriale analysée au cours de la thèse commence ainsi à apparaître comme une stratégie particulière de lutte contre l’exclusion sociale au sein des territoires où habitent les groupes défavorisés, ce qui diffère de la lutte contre l’exclusion sociale des individus. C’est-à-dire, comme mentionné ci-dessus, nous sommes confrontés à une question urbaine qui n’est pas le simple reflet du social dans un espace. C’est l’urbain qui pose le problème inédit de la concentration spatiale des inégalités sociales dans les banlieues, problème qui pose, à son tour, la question de la cohésion sociale dans la ville en général.

Dans la figure Nº1, nous résumons les paradigmes de la question sociale présents dans cette thèse et leurs connexions.

16 La subvention pour l'emplacement (Subsidio a la localización) est une subvention ajoutée aux fonds publics qui permet aux familles de groupes vulnérables d'acheter ou aménager un terrain ou un logement d’occasion situé sur des sols de plus grande valeur et mieux localisés. Grâce à la subvention, les personnes peuvent acheter un terrain valant jusqu’á trois fois le prix de terrains qui généralement sont acquis pour la construction de logements sociaux et qui se situent en majorité en périphérie de la ville.

Figure Nº1 : Les paradigmes de la question sociale et leurs connexions

Source : élaboration propre.

Le diagramme a pour but de représenter les différents concepts présents dans les discussions autour de la question sociale, de la question sociale urbaine et de leurs connexions. Il montre le continuum entre exclusion-vulnérabilité-inclusion, grâce aux différentes variables des systèmes fonctionnels de la société, lesquelles peuvent se présenter comme un accès limité ou pas d’accès du tout aux différents facteurs (exclusion) ; comme un accès précaire ou de mauvaise qualité (vulnérabilité) ; ou comme un accès de qualité aux différents systèmes (inclusion). Les inégalités sont présentées à la base pour montrer qu’elles représentent les causes structurelles qui déterminent les processus d’exclusion-vulnérabilité-inclusion. Les inégalités et l’exclusion peuvent se transformer en situations de désintégration sociale ou d’anomie. En revanche, un accès de qualité aux systèmes fonctionnels implique une plus grande intégration sociale vécue par un individu. Enfin, les divers facteurs d’exclusion/inclusion peuvent affaiblir ou renforcer la

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