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EXEMPLES DE LA FRANCE ET LES ÉTATS-UNIS ET CONDITIONS DE GENÈSE AU CHILI

1. LA RÉHABILITATION DE QUARTIERS DÉFAVORISÉS COMME RÉPONSE À L’EXCLUSION SOCIALE URBAINE : BRÈVE ANALYSE DES EXEMPLES DES MODÈLES D’ACTION PUBLIQUE DES

1.1 Les États-Unis, la France et l’Amérique latine : des modèles de cohésion sociale, des modèles d’État

1.1.1 L’exemple de l’Amérique latine et le Chili

En Amérique latine, ce sont les relations communautaires le véritable support de la cohésion sociale, avant l’État, le marché ou la société civile. Les relations familiales, la communauté, la religiosité, le patronage, le populisme, enfin, la culture et la réciprocité, sont les éléments qui occupent une place centrale dans la constitution de la cohésion sociale (Tironi et al, 2008 : 390). Par sa part, les mécanismes de production du bien-être combinent évidement l’action de l’État et du marché, mais les familles et l’informalité sont des éléments essentiels : les familles se rendent des services et se transfèrent des ressources entre elles (soins aux enfants et personnes âgées, envois de l’étranger par des membres de la famille qui ont émigré, etc.) ; et l’économie informelle fonctionne comme un mécanisme de génération de revenus ou de consommation en dehors des règlements et des contrats formels.

Tableau Nº8 : Cohésion sociale et régimes de bien-être : éléments de différence entre les États-Unis, la France et l’Amérique latine

Régime de bien-être Cohésion sociale

États-Unis Libéral

Provision de bien-être à travers le marché et la société civile

Acte fondateur :

Un accord de confiance entre parties privées

Support de la cohésion sociale :

La perspective de mobilité sociale

L’accès à des opportunités La rétribution à l’effort France (Europe occidentale) Social-démocrate Provision de bien-être à travers l’État Processus fondateur :

Pacte politique basé sur le consentement (vassal/seigneur, vassal/roi, citoyen/État-providence)

Support de la cohésion sociale

Égalité devant la loi Exercice des droits Équité

Amérique latine États-providence potentiels et Systèmes informels de sécurité 32

Provision de bien-être à travers l’État, le marché, réseaux familiaux et communautaires, et l’informalité

Acte/processus fondateur, plusieurs thèses :

(i)métissage racial, religieux et culturel

(ii) Processus de formation des États nationaux, d’Indépendance et des

Républiques

(iii) Orden Hacendal (ordre du latifundisme), le patronage, la relation contradictoire de subordination inquilino-patrón (travailleur agricole-propriétaire terrien) – Chili : « El Peso

de la Noche » (« Le poids de la nuit ») et les

subordinations « ascétique » et « sensuelle »

Support de la cohésion sociale :

Relations familiales et communautaires (liens primaires)

L’illusion de mobilité sociale

Source : élaboration personnelle basée sur Marcel et Rivera (in Tironi et al, 2008) ; Donzelot et al, 2003 ; Rolle (2011) ; Díaz Céspedes, 2014 ; Bengoa, 1988 ; Tironi, 2007.

32 Gough et al, 2004, utilise ces deux groupes. La plupart des pays d'Amérique latine du Cône Sud (Argentine, Brésil, Chili, Uruguay) seraient des États-providence « potentiels » car il existe une plus grande implication de l'État ainsi que des résultats de bien-être plus positifs, quoique inférieurs aux résultats des pays développés (d’où appelés «potentiels») ; le reste des pays d'Amérique latine sont classés comme « systèmes informels de sécurité », car les gens doivent s’appuyer sur leur famille et sur la communauté afin de répondre aux lacunes de l'État, avec des résultats de bien-être plutôt limités. Cette classification n’est pas exempte de complications, comme l’étude des régimes de bien-être en général. Ces régimes supposent une relative stabilité des programmes et des règles que l’Amérique latine ne possède pas (au contraire, il existe un large éventail de besoins sociaux et des politiques publiques qui sont constamment remises en forme). En tout cas, cette classification est utilisée pour permettre la comparaison avec les États-Unis et la France, en assumant toutefois la perte de spécificité, d’un pays à l’autre dans l'Amérique latine.

En outre, les différences entre la France et les États-Unis en matière de cohésion sociale s'expliquent par les actes fondateurs des nations, c’est-à-dire, par les caractéristiques de l’origine historique de chaque nation (Tironi et al 2008 : 382 ; Donzelot et al, 2003 : 147). Tout d’abord, la nation états-unienne s’appuie sur un acte fondateur précis, tandis que la France et l’Europe, sont le fruit d’un processus long et complexe qui date du Moyen Age.

Plus précisément, dans le cas de la France et l’Europe, les sociétés ont montré, plusieurs fois, leur incapacité à assurer une cohésion sociale par elles-mêmes, en devant chercher dans l’État la solution à la menace de la fragmentation et de la violence, celles-ci étant le produit des différences religieuses (comme la Réforme protestante, les guerres qui l’on suivit ou l'Inquisition), des différences ethniques (comme l'Holocauste) et de la Première et la Seconde Guerres mondiales. En d'autres termes, pendant le Moyen Age, la base du pacte politique en Europe continentale a été fondée sur le consentement entre vassal et seigneur, ce qui, après l'abolition du féodalisme, a été transformé en un pacte politique entre vassal et roi, et enfin, dans la modernité, par la relation entre citoyen et État-providence (Tironi et al 2008 ; Donzelot et al, 2003).

Dans le cas des États-Unis, le défi politique est résolu par le biais du contrat : un accord politique qui ne repose pas dans le peuple ou l’État, mais entre des parties privées, en particulier la société civile, le marché et les associations ; une vision des pères fondateurs – founding fathers– qui est condensée dans la Déclaration d'Indépendance et dans la Constitution. Le mythe est celui de la création d'une nouvelle société fondée sur des hommes égaux et libres, avec un vaste territoire à conquérir, et où l'État respecte la mission d’assurer l'ordre, la protection de la liberté, la propriété privée et mettre en œuvre les décisions de la communauté. La révolution fondatrice américaine s’érige précisément contre la relation européenne seigneur-vassal (ou plutôt contre la monarchie) et vise à construire un ordre social fondé sur un contrat entre the people. L’État devrait donc protéger l'autonomie individuelle dont sa principale garantie est la protection de la propriété. Bref, en Europe la cohésion sociale est un phénomène qui doit être construit à travers les institutions de l’État, tandis qu’aux États-Unis la cohésion sociale se produit naturellement grâce à un accord de confiance entre les parties privées qui organisent le corpus social et politique de la nation. En revanche, dans le cas de l’Amérique latine, l’acte fondateur qui définit son modèle de cohésion sociale serait déterminé par le métissage racial et religieux, et le processus d’évangélisation qui remonte à l’époque de la colonisation luso-hispanique (Tironi et al, 2008, 2010). À la différence des colonies britanniques et françaises, les Espagnoles et les Portugaises ont constitué des sociétés raciales et religieusement métissées. La base de la cohésion sociale et du pacte politique des sociétés en Amérique latine, serait donc ce que Morandé (1984) a appelé la « synthèse culturelle latino-américaine », qui aurait eu lieu au XVIe siècle.

Néanmoins, cette thèse a été fortement discutée. D’abord, ces travaux abordent le concept de cohésion sociale en Amérique latine à partir du travail d’Eduardo Valenzuela, Carlos Cousiño et Pedro Morandé, sociologues de la Pontifical Université Catholique du Chili où la thèse du syncrétisme culturel et religieux est dominante. Nonobstant, il existe d’autres interprétations de l’histoire latino-américaine par rapport au métissage et au processus de colonisation luso-hispanique et d’évangélisation catholique, qui critiquent fortement cette définition culturaliste de la cohésion sociale, car elle omet la répression et la violence subis par les autochtones.

Affirmer que la différentiation ethnique a été « neutralisée » historiquement par le métissage, et que la différentiation religieuse a été « surmontée » par le modèle d’évangélisation (Valenzuela, 2006 ; Tironi et Bannen, 2008, in Tironi et al, 2008), doit être pondéré par le fait qu’elles ont été réprimées par le colonisateur et l’évangélisateur. Affirmer que la différenciation politique a été minorée par un modèle d’autorité basé sur le paternalisme du patronage et du populisme – en se légitimant dans l’échange de faveurs et sur la fidélité –, doit être pondéré par la connaissance historiographique qui permet d’affirmer avec certitude, que les « gens ordinaires » (bajo pueblo) one été inclus dans les luttes pour l’Independence du Chili, plutôt par la répression et la coercition que par la conviction ou que par persuasion politique. La plupart de la population ne remplissait pas les conditions pour être des citoyens actifs, le pouvoir réel résidant dans les groupes dirigeants qui étaient l’élite chilienne du moment, à savoir, l’aristocratie.

Bien que cette analyse culturaliste puisse tenir compte des caractéristiques originales de la cohésion sociale en Amérique latine, il y a une certaine déconnexion entre cette synthèse culturelle latino-américaine, basée sur le métissage racial et religieux entre le conquérant et l’autochtone, et les caractéristiques originales de la tradition sociopolitique, au moins dans le cas du Chili. À cet égard, il est logique de s’appuyer sur des interprétations plus contemporaines afin d’enrichir l’origine de la cohésion sociale fondée sur le syncrétisme culturel et les éléments originaux du XVIe siècle.

Particulièrement, on doit tenir compte des idées suivantes : (i) les sociétés et l'histoire évoluent, et donc, la cohésion sociale est le résultat du développement culturel, économique et politique d'une société, avec ses multiples oscillations ; (ii) il y aurait une « deuxième origine », notamment dans la société chilienne, qui ne fait pas partie de la thèse colonisation-évangélisation catholique-syncrétisme, mais de la formation de l'État national, de l'origine de la République du Chili ; (iii) cette « deuxième origine » dans la société chilienne quant à l’acte fondateur, peut être contestée à partir de la thèse de El Orden Hacendal (l’ordre du latifundisme) : bien que l'ordre républicain affirme que nous sommes tous plus ou moins égaux devant la loi, l’héritage du monde aristocratique est très forte – l'aristocratie chilienne et « El Peso de la Noche » (« Le poids de la nuit ») – expression définie ci-dessous.

En premier lieu, selon Cristián Gazmuri (1984), avocat et historien chilien, au début des années 80, moment où Morandé travaille sa thèse sur le syncrétisme culturel et religieux en Amérique latine – une thèse amplement répandue et hégémonique – il est difficile de penser que la culture de masse latino-américaine tourne exclusivement autour du rite sacrificiel dans sa forme originale, comme étant la base intacte de son ethos culturel. Avec la radio, la TV, la presse écrite et l’alphabétisation de la plupart de la population, on pourrait plutôt penser que cette synthèse originale a évolué, car la culture a un caractère historique important et l’histoire est aussi transformation. On ne saurait réduire l'essence de la culture latino-américaine au seul syncrétisme culturel et religieux.

Est-ce que l'adoption du rite baroque par Indoamerica signifie qu’il n'y avait pas d'autres éléments que cette rencontre initiale pour marquer cette synthèse culturelle ? Selon Gazmuri (1984), l'histoire, cette fois avec des preuves, montre des phénomènes tels que l'existence de Potosí, la dévastation de Tenochtitlán, la catastrophe démographique de l'Amérique centrale, ainsi que l'imposition de l'État espagnol dans les Indes, phénomènes qui nous portent à penser que la

synthèse culturelle initiale – si importante qu’elle soit – avait d'autres dimensions culturelles spécifiques qui ont également marqué de manière indélébile, jusqu'aujourd'hui, la structure de classe et les mentalités prédominantes.

Ensuite, une « deuxième origine » a à voir avec la formation de l'État national, la République du Chili. Sa construction répond à deux versions : une première « officielle », introduite dans les textes officiels du Ministère de l’Éducation chilien, qui marque les dates nationales de célébration dans le calendrier33 ; et une deuxième version dont la construction et la diffusion sont plutôt contemporaines : c’est l’histoire chilienne « jamais racontée », aussi nommée « pas officielle », qui a gagné un espace dans la bibliographie historique du Chili contemporain pendant les gouvernements démocratiques ultérieurs à la dictature militaire34 (Díaz Céspedes, 2014).

C’est la deuxième version de la formation de la République du Chili qui permet de porter un intérêt quant à la cohésion sociale : ce n’est pas la Primera Junta Nacional de Gobierno (Première conseil national du gouvernement) du 18 septembre de 1810 qui serait l’acte sociopolitique fondateur chilienne, mais un processus qui a commencé à ce moment-là et qui a continué pendant huit années – et même au-delà. Le 18 septembre 1810 a été la première pierre d’une Independence nationale, l’autonomie du Chili se formant par hasard, Napoléon Bonaparte ayant fait prisonnier le roi d’Espagne, Fernando VII, en réduisant son pouvoir hispano-américaine. Ce premier gouvernement autonome de l’aristocracia criolla (aristocratie créole), a essayé de combler le vide du pouvoir laissé par le roi de l’Espagne. Néanmoins, tout le processus d’Indépendance a eu un caractère purement élitiste, sans le soutien ou la mobilisation populaire.

Bien qu’à partir de la reconquête espagnole, on ait observé un certain degré d'adhésion à la cause indépendantiste parmi les secteurs de la paysannerie et de l'artisanat de la région centrale, il est clair que le patriotisme de la population « chilienne » n’a pas émergé d'un processus « naturel » ou massif, avant qu’une fraction de la classe dirigeante créole ait décidé de déplacer la bureaucratie espagnole, de gouverner par soi-même, et de jeter les fondations d'un État national indépendant. Face au mouvement d'émancipation politique au Chili, les secteurs populaires n’avaient rien à gagner dans la nation, ils n’avaient aucun sens de la nationalité (Lynch, 1926, in Díaz Céspedes, 2014).

Dans ce sens, il faut remarquer que la construction de l'État chilien est l'un des sujets déficitaires de la recherche historique nationale, si l'on compare avec le travail de l'historiographie mexicaine et argentine, pour citer quelques exemples de l’Amérique latine. Le déficit s’explique – à mon sens – par l’absence de débat et par une construction idéologique de l’histoire, en considérant uniquement la lecture qu’en font les élites et en abandonnant l’histoire des secteurs de couches sociales inférieures, de la paysannerie analphabète, du sous-prolétariat, des femmes, des autochtones, etc. Le même destin arrive à la notion de cohésion sociale : étant donné que l’idée de l’unité nationale répond à une idéologie dominante, l’unité s’est construite à partir d’imaginaires qui masquent les persistantes contradictions de la structure sociale.

33 Histoire écrite par des historiens tels qu’Alberto Edwards, Jaime Eyzaguirre et Francisco Encina. 34 Historiens tels que Gabriel Salazar, Tomás Moulian y Sergio Grez.

Dans ce contexte, la troisième idée énoncée, autour de l’origine de la cohésion sociale, devient fondamentale. Selon l’historien chilien Claudio Rolle (2011)35, l’héritage du monde aristocratique chilien est très puissant et dépasse les intentions déclarées dans l’ordre républicain, lequel affirme que les citoyens sont tous égaux devant la loi.

« La structure sociale et la façon dont la société chilienne a été organisée, sous ses diverses formes, a à voir avec une forte capacité de persistance de l'ancien régime qui a réussi à coopter ceux qui ont été rivaux (…) dans le cas du Chili est extrêmement important le fait qu’il y en a quelques-uns qui ont raison et quelques autres qui doivent obéir »(Claudio Rolle, en entretien le 11 août 2011).

El Peso de la Noche (« Le poids de la nuit ») est une expression conçue par Diego Portales36 afin d’expliquer, à l'aube de la république, le caractère qu’elle devait avoir : une république centralisée et autoritaire, dans laquelle devait prévaloir le pouvoir basé sur la peur de l'autorité (le « poids ») et sur l'inertie du populacho (populace) (la « nuit »). Le « poids » était pour défendre l'ancien ordre établi par quelques familles qui possèdent le pouvoir économique et politique dans le pays.

« (…) la tendance presque universelle de la masse au repos est la garantie de la paix » (Lettre de Diego

Portales à Joaquín Tocornal, juillet 1832).

« La Démocratie, tellement criée par les naïfs, est absurde dans des pays comme les américains, pleins de vices et où les citoyens n’ont aucune vertu, celle-ci étant nécessaire pour établir une véritable République (…) La République est le système à adopter ; mais savez-vous comment je comprends cette République pour ces pays ? Un gouvernement fort, centralisateur, dont les hommes sont de véritables modèles de vertu et de patriotisme, et ainsi corriger aux citoyens pour qu’ils suivent le chemin de l'ordre et de la vertu. Une fois les citoyens moralisés, ce gouvernement complètement libéral, libre et plein d'idéaux pourrait être établi, dans lequel tous les citoyens auraient place » (Lettre de Diego Portales à

José M. Cea, mars 1822).

« Ce n’est pas par hasard que Portales est la figure reconnue par le monde de l'élite chilienne, le monde conservateur qui ne croit pas dans la Constitution, qui croit dans ‘le poids de la nuit’, sur la nécessité de ‘l'ordre et le progrès’, beaucoup plus que sur la liberté, l'égalité, la fraternité, ou sur ‘nous le peuple’, ou l'une de ces expressions de volonté politique » (Claudio Rolle, entretien le 11 août 2011).

El Orden Hacendal ou l’ordre du latifundisme, dans lequel le travailleur agricole ou inquilino montre une relation contradictoire avec le propriétaire terrien ou patrón, dénote ainsi deux types de subordination. D’abord, une « subordination ascétique » (Bengoa, 1988 : 22), dans laquelle une partie importante des travailleurs agricoles chiliens ou inquilinos, en échange de sécurité et de

35 Entretien personnelle avec Claudio Rolle, le 11 août 2011, pendant lequel on a abordé la question de l’origine de la cohésion sociale chilienne et son opinion sur les thèses du syncrétisme culturel et sur la formation de la République. Claudio Rolle, BA en Histoire, Pontificia Universidad Católica de Chile, 1985 ; Docteur en Histoire, Université degli Studi di Pisa, 1993. Professeur à la PUC.

36 Diego Portales (1793-1837), homme politique chilien, homme d'affaires et ministre d'État, l'une des figures clé de l'organisation politique du Chili. Figure controversée, il est considéré par beaucoup comme l'organisateur de la République, et par d’autres, comme un dictateur tyrannique.

protection de la part de leurs patrones, acceptent le servage ; ensuite, une « subordination sensuelle » (Bengoa, 1988 : 22) caractérisée par la vie nomade et libre choisie par une autre partie de travailleurs agricoles chiliens, vie pleine de plaisirs sensuels (comme le jeu, l'ivresse et la prostitution), dans laquelle les mépris et transgressions ne remettaient toutefois pas en cause l'ordre social. L'inefficacité au travail, la fraude, le vol, les fuites, l'absentéisme, l'ignorance feinte, le mépris et la mutinerie, etc., ont été des formes masquées de rébellion.

Deux questions découlent de cette analyse sur les piliers de la cohésion sociale. En premier lieu, quelles sont les implications de cette particularité latino-américaine, et chilienne notamment – dans lesquelles la cohésion sociale se base sur des relations communautaires et sur la subordination des inquilinos ou secteurs populaires – dans la construction de solutions à la crise urbaine de nos jours, surtout par rapport au rôle de la société civile dans la réhabilitation des quartiers défavorisés. L’examen des politiques de la ville états-unienne et française nous donnera des éléments de référence essentiels pour construire un cadre d’analyse pour le Chili qui permettra de tenir la ligne de réflexion cohésion sociale–modèle d’action publique–politique de la ville et implication de la société civile.

En deuxième lieu, une autre question découle de cette spécificité latino-américaine : comment cette cohésion sociale fondée sur les liens primaires, communautaires et familiales, est-elle affectée par les processus de modernisation et d’individuation qui ont transformé la société, notamment chilienne, dans les trois dernières décennies (Peña, in Tironi et al : 41). On peut argumenter que la force des réseaux familiaux et des liens communautaires à l'Amérique latine, notamment au Chili, peut être associée au manque de confiance en d'autres personnes, et dans les institutions de la société dans son ensemble. La population se replie vers ses liens primaires d’appartenance comme la famille, les amis et les voisins, pour se protéger d’un environnement dont elle se méfie. Nonobstant, selon Tironi (2010), il existe des éléments de preuve disponibles qui montrent qu’un anticorps puissant est né contre les tendances centrifuges de l'individualisme, tels que les perspectives – ou plutôt illusions – de progrès et de mobilité sociale de la population latino-américaine. Ces perspectives seraient aujourd’hui un autre pilier de la cohésion sociale.

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