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L’objectif principal de cette première partie a été de trouver la manière d’approcher le sujet d’étude sur la réhabilitation des quartiers vulnérables au Chili. Nous avons identifié de nombreux concepts et paradigmes avec lesquels décrire le problème de la concentration spatiale des inégalités sociales. Néanmoins, après une révision critique et minutieuse de ceux-ci, nous avons décidé de retenir le paradigme de l’exclusion sociale. La discussion entre les notions d’exclusion et de cohésion sociale a beaucoup clarifié le phénomène que nous interpelle, à savoir, celui de la question sociale qui interroge la capacité de la société à exister comme un ensemble, dans un contexte de précarisation et d’exclusion croissante. Cet exercice nous a en plus permis de proposer un modèle exposant les paradigmes de la question sociale et leurs connexions, qui a beaucoup clarifié le raisonnement théorique de base (Figure Nº1 à la fin du chapitre 1).

Nous avons ainsi décrit le paradigme de l’exclusion sociale sur lequel cette thèse est construite, avons discuté de son ambiguïté, et rendu compte du débat autour d’une nouvelle question sociale, ou plutôt, une (nouvelle) question urbaine. Nous avons aussi évoqué les processus globaux derrière l’exclusion sociale et leurs manifestations dans trois contextes différents, en détaillant trois paradigmes de la pauvreté urbaine : l’exclusion en France, l’underclass aux États-Unis et la marginalidad en Amérique latine. Nous avons également exposé les configurations spatiales respectives de tels paradigmes : la banlieue française, le ghetto américain et la ville fragmentée latino-américaine, en faisant une brève comparaison entre les deux premiers, pour ensuite examiner le cas de l’Area Metropolitana de Santiago du Chili.

Cet exercice nous a permis d’affirmer qu’un même problème se répète dans les trois contextes observés : la localisation des quartiers défavorisés ne permet pas l’accès aux ressources des emplois, des équipements et des services, et cela constitue une situation d’exclusion sociale. Ces quartiers ne sont pas seulement pauvres, ils sont aussi dans une situation dans la ville qui leur permet moins que d’autres, d’accéder aux ressources ou opportunités de la ville. Ainsi, c’est la ville dans son ensemble qui génère le problème de la concentration spatiale de la pauvreté urbaine et des différents types d’exclusion.

Les caractéristiques actuelles de la pauvreté et le paradigme de la nouvelle pauvreté urbaine ont été abordées comme constituant le contexte chilien concret, anticipant la discussion sur le cadre conceptuel le mieux à même de décrire le problème de la concentration spatiale des inégalités. Même si la tendance au Chili est de centrer la discussion sur la « vulnérabilité » ou la nouvelle pauvreté, nous avons obstinément choisi le paradigme de l’exclusion sociale – en lien avec l’inégalité urbaine – en nous appuyant sur des auteurs et sur des réflexions qui argumentent cette décision (SUR Profesionales-Consultores, 2009 ; Bauman, 2000 ; Bonnefoy, 2002 ; Bengoa, Márquez et Aravena, 1998).

Nous avons – aussi obstinément – choisi de parler de Santiago du Chili comme d’une ville « socialement fragmentée », plutôt que comme une ville « socialement ségrégée » ou encore comme une « ville duale » (Jirón, 2007 ; Link, 2010). Nous avons montré à partir de l’examen des cartes et différentes données que, certainement, il existe et persiste un « cône des plus riches », localisé primordialement vers le nord-est de la Région Métropolitaine. Néanmoins, dans les dernières décennies, grâce à l’amélioration des conditions de vie et à la diminution de la pauvreté, il n’existe plus une « ville duale », mais une configuration – à part ce cône des plus aisés – qui se déploie sous forme d’« archipels d’exclusion sociale urbaine », séparés par des « axes d’opportunités », ces derniers spécifiquement localisés au long des réseaux de transport, notamment du service de métro. Les franges ou archipels d’exclusion se caractérisent comme étant des territoires défavorisés quant à l’accès à et/ou la qualité des services ou des conditions de vie, concernant le logement, la santé, l’éducation, l’environnement, la sécurité, les opportunités de travail, de culture, etc.

En outre, après avoir examiné les manifestations du problème de l’exclusion sociale urbaine dans les trois contextes – états-unien, français et chilien –, nous avons travaillé sur les réponses, en faisant référence aux exemples des États-Unis et de la France, pour ensuite décrire les conditions de genèse de la nouvelle politique de quartiers chilienne de la période 2006 – 2010. Nous avons constaté que, même si les États-Unis et la France ont en commun l’existence d’un système d’assurance sociale avec la participation de l’État, ces systèmes ou régimes de bien-être sont très différents : dans le premier la provision de bien-être a lieu à travers le marché et la société civile, tandis que dans le deuxième elle l’ait à travers l’État. Ces différences répondent à deux types de cohésion sociale, concept qui aide à comprendre comment les liens sociaux se sont construits et maintenus dans une société, ainsi qu’à comprendre pourquoi une société accepte un certain type de politiques sociales, et en refuse d’autres.

Nous avons donc examiné comment la cohésion sociale est construite dans les trois contextes étudiés, en remarquant que, pour le cas du Chili, il existe plusieurs interprétations sur l’acte ou le processus fondateur de la société : le métissage (racial, religieux et culturel) ; le processus de formation des républiques ; et le patronage, ou la relation contradictoire de subordination du travailleur agricole (inquilino) et du propriétaire terrain (partrón). Ces différentes thèses s’inscrivent dans un débat dans lequel les positions culturaliste et républicaine sont discutées : la première omet la répression et la violence subies par les autochtones ; la deuxième a un caractère purement élitiste, sans le soutien ni la mobilisation populaire.

Il est toutefois possible d’affirmer qu’il existe au Chili une cohésion sociale de type étatsunienne, fondée sur le marché, la propriété et la société civile, qui s’est implantée pendant le régime militaire à partir de l’année 1973. La conception des politiques publiques montre un caractère plutôt néolibéral – ou social-libéral –, qui plaide pour la moindre intervention de l’État et pour une société civile qui réponde aux critères d’autonomie, d’action et de responsabilisation des individus. La cohésion sociale au Chili s’appuie sur les relations familiales et communautaires et l’illusion d’une mobilité sociale ascendante. Néanmoins, la dimension politique de la cohésion sociale est encore en suspens et irrésolue, car il existe toujours une dette de légitimation politique en raison du manque de participation citoyenne dans les décisions publiques, tel qu’au moment de la formation de la société et la république chilienne.

Le regard croisé entre les États-Unis et la France nous a aidés à construire un cadre d’analyse pour le programme de quartiers chilien : cohésion sociale, provision de bien-être, diagnostic et stratégie de lutte contre la pauvreté, réponses à la concentration spatiale de la pauvreté, politiques socio-urbaines, et stratégies de réhabilitation de quartiers défavorisés et de participation des habitants (Tableau Nº9). Cette matrice de réflexion a aussi permis de mettre l’accent sur le dilemme des rôles de la société civile et de l’État : d’une part, le modèle étatsunien semble favoriser la participation et l’empowerment de la société civile dans le mouvement communautaire, avec le risque d’un retrait de l’État et d’une réduction des dépenses en matière de logement et de services sociaux pour les communautés à faible revenu ; d’autre part, le modèle français montre un État fort engagé, mais une tendance à l’instrumentalisation de la participation des habitants dans la politique de la ville.

Même s’il n’est pas encore possible de décrire « le modèle chilien » de société, tel que réalisé à propos des États-Unis et de la France, ce détour a permis de repérer deux traits présents dans la naissance des politiques socio-urbaines au Chili, à savoir, les approches territoriale et participative.

Finalement, il est possible de parler d’une transition des politiques sociales vers des politiques socio-urbaines au regard de la Nouvelle Politique de Logement d’Amélioration de la Qualité et l’Intégration Sociale, développée au Chili entre 2006 et 2010. Nous pouvons affirmer que pendant le premier gouvernement de Bachelet, l’urbain a émergé pour la première fois avec consistance, à la différence de ce qui s’est passé sous l’administration de Ricardo Lagos caractérisée par la réalisation de grandes infrastructures ; ou par l’administration d’Eduardo Frei, où les efforts de développement régional et local se sont arrêtés, à l’exception du programme Chile Barrio, orienté plutôt vers la réduction du déficit de logements, quoiqu’avec une approche relativement intégrée.

On peut parler de politiques socio-urbaines dans la mesure où a émergé une prise en considération des problèmes sociaux dans le milieu urbain. La ville n’est pas seulement observée à partir des besoins d’infrastructures, mais comme une unité territoriale où se déploie l’action publique. On commence à voir surgir une pauvreté comme « pauvreté urbaine », à considérer la ségrégation sociale sur l’ensemble de la ville, et à parler de « qualité » et « qualité de vie » – et non seulement de quantité de logements sociaux. Pour la première fois, on peut observer qu’une approche des droits, en termes d’inclusion sociale commence à se mettre en place (au-delà de la santé), quoique cette initiative ait été arrêtée pendant l’administration ultérieure de Sebastián Piñera. Également, il est impossible de parler de politiques socio-urbaines sans parler de participation citoyenne : la construction de la citoyenneté a été un objectif évident lors de la première administration de Bachelet, le défi de l’intégration sociale étant le moteur de la nouvelle politique de logement, au moins au niveau des discours et des intentions.

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