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TYPES DE CHÂTAIGNERAIE À GABRIAC

I LES PRATIQUES D’ELEVAGE

1.3 P RATIQUES PASTORALES ET EVOLUTION DES PAYSAGES

L'entretien de l espace est évoqué par les éleveurs comme une de leurs préoccupations aussi bien économique que culturelle. Ils considèrent que toute production passe en Cévennes par un entretien complet de l'espace (châtaigneraies, prairies, bois, landes) (JUSSAUME, 1993).

Dans le système de mise en valeur traditionnel, le berger est l acteur principal de l entretien de l espace. La garde permet de réaliser des travaux d'entretien en même temps que la surveillance du troupeau, rendant moins pénible le travail sur les pentes fortes. L'entretien de la châtaigneraie et des terrasses peut être réalisé pendant ce temps là. Cela permet à l'exploitant de se dégager du temps pour la transformation et la commercialisation des produits.

Cela est vrai toutefois surtout pour les brebis, les chèvres étant plus difficiles à garder. Les pratiques pastorales et d'entretien de la châtaigneraie ne sont réellement compatibles que pour un troupeau de brebis qui permet de s'occuper à autre chose, tout en ayant une attention dirigée sur le troupeau. Il faut aussi que ce troupeau ne soit pas trop important quand le relief est escarpé, moins de 100 têtes, sinon il est trop difficile à garder et le berger ne peut rien faire d autre que de courir après ses bêtes.

L élevage participe ainsi, depuis les temps anciens, à l entretien de l espace dans les trois auréoles de mise en valeur : celle des prés ou des vergers, mais surtout celle de la châtaigneraie et celle des landes et boisements, luttant contre l envahissement des fructicées, et permettant une pérennisation de l activité agricole.

Les châtaigneraies en particulier sont un atout pour l élevage car elles mettent à disposition de l éleveur une nourriture variée, apportant 10 à 70% de la ration alimentaire des bêtes selon les milieux (ARNAUD & DIMANCHE, 1995) : châtaignes non ramassées et non commercialisables en hiver et en automne ; herbes, arbustes et rejets de châtaignier au printemps et en été. Dans les peuplements exploités régulièrement, vergers ou taillis clairs, l'éclairement du sous-bois favorise l'installation d'espèces herbacées et ligneuses basses consommables par les animaux.

La valeur pastorale d une châtaigneraie varie ainsi de 0 (pour un taillis âgé) à 1500 jours de pâturage brebis/ha/an, dont 2/3 au printemps-été et 1/3 en automne-hiver. Les variations de cette valeur pastorale sont liées à la situation de la châtaigneraie : les secteurs de basse vallée sont généralement plus riches que ceux situés en altitude ; les stations fraîches abritent des espèces plus appétantes que les stations sèches. Cette valeur pastorale peut être détaillée pour chaque type de châtaigneraies identifié dans le chapitre 3.

Tableau 14 : Valeur pastorale des types de châtaigneraies (adapté de S.I.M.E., 1989 ; et de BELLON, CABANNES & GUÉRIN, 1991)

Type de châtaigneraie

Nombre de jours

brebis/ha/an

Parcours par saison

Verger sur sols peu épais 600 j

soit 30 brebis par ha pâturant :

- 15 à 18 j. en hiver : les brebis à l entretien pâturent les châtaignes - 3 à 5 j. au printemps : le passage des animaux contient le genêt et la bruyère

Verger bien

entretenu 1500 j.

soit 100 brebis par ha pâturant

- 10 j. en hiver : dès la chute des fruits et jusqu au gel, les brebis en lactation mangent les châtaignes et l herbe

- 5 j. au printemps : dès la pousse de l herbe, les brebis pâturent et entretiennent le tapis herbacé

Verger à

l abandon 750 j.

soit 50 brebis par ha pâturant :

- 10 j. en hiver : les brebis à l entretien mangent les châtaignes, l herbe et les genêts

- 5 j. au printemps : la présence du troupeau empêche les genêts et les fougères de progresser

Verger évoluant en taillis 400 j.

soit 20 brebis par ha pâturant :

- 15 j. en hiver : le troupeau se nourrit de châtaignes

- 5 à 8 j. en été : les brebis sont nourries de feuilles de bouscas

Taillis après

éclaircie 600 j.

soit 30 brebis par ha pâturant : - 5 à 15 j. fin d automne - 7 j. au printemps

En retour, le pâturage est bénéfique à la gestion de la châtaigneraie puisqu'il permet l'entretien du sous-bois et facilite la récolte des châtaignes et la cueillette des champignons. Il favorise la dégradation de la litière. Il limite la concurrence des autres ligneux et permet une limitation des risques d'incendie. Avec le pâturage de brebis, de quelques chèvres et un feu contrôlé, la châtaigneraie peut être bien nettoyée. Le parcours est ainsi parfois intégré aux schémas d'aménagement DFCI (DIMANCHE, 1995), la conduite des troupeaux étant organisée en fonction des objectifs d'entretien des zones de coupures stratégiques et de limitation de la phytomasse combustible. Enfin, si l'utilisation de la châtaigneraie est forestière, le parcours permet de réduire le nombre d'éclaircies dans les taillis lorsque les rejets sont consommés à temps.

Ainsi, lorsqu il est bien conduit, le pâturage sous châtaigneraie facilite le travail d exploitation forestière ou agronomique et constitue un apport supplémentaire pour l exploitant. Toutefois, s il est trop intense, il participe à une dégradation du milieu, en particulier dans les milieux fragiles où la pelouse se dégrade avec le piétinement, certaines espèces étant éliminées par le troupeau. Lorsqu il est trop extensif, la châtaigneraie subit une évolution par reconquête forestière, avec régression du couvert de la strate herbacée.

Aujourd hui, l'espace pastoral n'est pas l objet d un entretien homogène et efficace. Son évolution, consécutive à la déprise agricole et aux blocages fonciers, est rapide. Les rachats d'exploitation sont rares. La proportion de terres en friche augmente. Une telle situation a un impact sur l'état de la végétation, des parcours, par suite, sur les pratiques des éleveurs. Alors que l'espace pâturable potentiel est de plus en plus vaste, à la suite des cessations d activité, cet espace est de plus en plus mal géré par ses utilisateurs qui, n'en étant pas propriétaires, ne cherchent plus à l'améliorer.

L espace de gestion pastorale se contracte sur les prés, essentiellement autour des maisons et le paysage se ferme par enfrichement des espaces jusqu alors ouverts (prairies sur terrasse, landes). Les terrasses se détériorent par passages répétés des troupeaux qui les effondrent. Les secteurs d altitude traditionnellement dévolus aux estives sont mités par des reboisements, privés ou d'état, qui découpent l'espace sans logique apparente dans la gestion des pâturages.

La châtaigneraie , quant à elle, est de plus en plus inégalement pâturée et entretenue. Les troupeaux sont temporairement éloignés des vergers destinés à la production de fruits de qualité, avant que ceux-ci ne soient récoltés, alors que ce sont justement les châtaigneraies présentant une bonne valeur pastorale qui sont les plus accessibles. Ils ne sont pas non plus conduits dans les vergers d'abandon ancien et les taillis quand ceux-ci sont touffus et difficiles à parcourir, en particulier les châtaigneraies envahies par du genêt purgatif, ainsi que dans les taillis d'abandon ancien avec un fort recouvrement de la strate haute et un sous-bois pauvre avec une strate arborée de moins de 10%.

Le pâturage sous châtaigneraie ne donne plus satisfaction aux éleveurs car l'impact des animaux n'est pas suffisant pour entretenir le milieu et, a fortiori, pour l'ouvrir. Les animaux doivent se déplacer beaucoup et perdent en capacité de production.

De plus, avec la fermeture du couvert arboré, il y a une augmentation des risques d'incendie, les parcours mal entretenus ou sous-pâturés s'enfrichant tellement que le feu pastoral présente un risque d'incendie aggravé. Il y a aussi déficit alimentaire pour les animaux et difficulté de savoir où les bêtes vont paître.

Pour préciser cette tendance générale à la désaffection des lieux de pâturage, il convient de distinguer les deux types d élevage, ovin et caprin. Les troupeaux de moutons continuent, pour leur part, d'entretenir en partie l'espace. Il se différencie grossièrement deux modes de conduite du troupeau ovin (BOURBOUZE & DEDIEU, 1992), avec leurs implications sur la gestion de l espace :

- les éleveurs possédant peu de surface en prés (5 ha) sont contraints de valoriser au maximum les parcours et de s'adapter aux caractéristiques du milieu. Cet élevage demande un faible investissement en capital mais contraint d'acheter des compléments car peu de foin est distribué ;

- les éleveurs possédant une surface importante en prés (15 à 20 ha), récoltent suffisamment de foin (200 kg par brebis) pour s'affranchir des contraintes du milieu grâce à ce stock. Le parcours est moins indispensable, les temps de gardiennage moins longs, le calendrier plus souple.

Les animaux pâturent pendant neuf mois sur plusieurs types de végétation : parcours en taillis de chêne vert, châtaigneraies après récolte, prés, anciens champs à l'abandon, prairies sur terrasse, landes de moyenne altitude, hêtraies, landes de transhumance, Une part de la châtaigneraie, en particulier les vergers âgés, dont le sol est couvert d'une pelouse pastorale, continue d'être bien entretenue par les moutons.

Cependant, les moutons, on l a vu, ne consomment que les espèces ligneuses à feuilles tendres. Cela a des inconvénients dans l entretien de l espace et de la châtaigneraie en particulier. D une part, ils ne consomment pas les fougères, ce qui oblige à brûler sous châtaigneraie. D autre part, en diminuant le nombre de germes de châtaignier, ils limitent les possibilités de rénovation de la châtaigneraie par régénération. Enfin, en bordure de l aire géographique du châtaignier (méso-méditerranéen supérieur) et du chêne vert (méso-méditerranéen inférieur), les moutons favorisent les espèces à feuilles coriaces, ce qui modifie sensiblement la structure des paysages de ces secteurs de transition.

Les chèvres, quant à elles, ont de moins en moins d'impact sur l entretien de l espace. Elles sont tenues à l'écart de la châtaigneraie. L'embroussaillement leur provoque des blessures aux pis. Quand le milieu se ferme, elles ne veulent plus rester en place et deviennent imprévisibles, difficiles à garder. L'embroussaillement est incompatible avec un élevage caprin à haut potentiel laitier. En général, les taillis sont donc peu parcourus par les chèvres. Les vergers sont également de moins en moins parcourus par les chèvres, même si certains exploitants prennent l'option de ne pas ramasser les fruits et d'y faire pâturer les bêtes.

La rénovation de la châtaigneraie par coupe rase est, quant à elle, incompatible avec le pâturage des chèvres. Celles-ci mangent les jeunes feuilles et l'écorce lisse des arbres. Elles aiment peler l'écorce des arbres quand elles sont rassasiées. Elles blessent en particulier les greffons de châtaigniers entraînant l'apparition de l'Endothia et leur mort. Lorsque la châtaigneraie vient d'être rénovée, il faut attendre environ 50 ans avant d'y remettre des chèvres.

Actuellement, l'élevage caprin mobilisent essentiellement des prairies. Le parcours ne représente plus qu'une petite part de l'alimentation, à l'automne au tarissement de la plupart des bêtes. Il se déroule dans les châtaigneraies âgées encore ouvertes et dans les prairies les moins mécanisables.

Les éleveurs de chèvres concentrent leurs efforts sur l'aménagement et l'entretien des prairies de fauche. Ils luttent surtout pour que les meilleures prairies ne deviennent pas des friches à la suite de l'arrêt de l'activité d'une exploitation agricole. La châtaigneraie, et l'espace de mise en valeur extensive en général, ne sont pour eux désormais que d'un faible intérêt en ce qui concerne leur production.

Tout en restant interdépendants au sein de l'unité de production, les terres cultivables et les parcours sont désormais sujets à des types de gestion de l'espace totalement différents et le paysage présente une mosaïque contrastée entre :

- des taches aux limites qui deviennent floues avec l'enfrichement, qui sont situées dans l'espace de mise en valeur extensive ;

- des taches bien nettes dans l'espace de mise en valeur intensive et sur lesquelles se concentrent les pratiques pastorales modernes.