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TYPES DE CHÂTAIGNERAIE À GABRIAC

I LES PRATIQUES D’ELEVAGE

1.1 L ES DETERMINANTS DU CIRCUIT PASTORAL

Le choix du circuit pastoral dépend de plusieurs facteurs (ELLSÄSSER, 1985) :

- la stratégie de l'exploitant ;

- la disponibilité des ressources fourragères qui est liée aux facteurs climatiques et aux pratiques ;

- l'état du foncier et des rapports sociaux ; - le cycle annuel du troupeau ;

1.1.1 La stratégie de l'exploitant

L'exploitation de type traditionnel en hautes et moyennes vallées cévenoles possède :

- un petit troupeau ovin dont l'importance est fonction de celle de la propriété, en moyenne de 20 moutons ;

- quelques chèvres productrices de lait avec lequel on prépare le pélardon. Les petits troupeaux ovins ou troupeaux mixtes ovins et caprins, de vingt à trente têtes, sont la règle.

Ces pratiques traditionnelles s'insèrent dans le cadre d'une polyculture- élevage non spécialisée. Elles sont encore observées par des agriculteurs âgés ou travaillant à temps partiel, ou par des agriculteurs "non-productivistes". Dans ce cas, des revenus complémentaires sont fournis, entre autres, par la cueillette de petits fruits ou de champignons, ou par le tourisme, et permettent le maintien de la polyactivité traditionnelle.

La tendance actuelle est une orientation de l activité vers des élevages modernes intensifs visant :

- la production de viande ovine ou caprine ; - la production de lait de chèvres.

En Cévennes, la spécialisation de l élevage peut prendre deux formes suivant qu il s agit des ovins ou des caprins :

- pour les ovins, la spécialisation se fait vers la production d'agneaux de boucherie pour trois raisons : les animaux de réforme ne se vendent pas ; le lait n est pas collecté dans ces vallées à l accès difficile ; enfin, la vente de laine rembourse à peine les frais de la tonte. Dans les années 1960, les maquignons ont imposé la production de l'agneau de lait, destiné à l'engraissement. Les troupeaux sont constitués en moyenne de 50 brebis mères par exploitation ;

- pour les caprins, la spécialisation se fait vers la production de pélardons ou de lait. C'est une activité en Cévennes qui a été touchée vers 1960 par la modernisation des systèmes de production, mais dont le succès a été accéléré avec les retours à la terre dans les années 1970.

1.1.2 La disponibilité des ressources fourragères

Les élevages traditionnels, caprins et ovins, sont fortement liés à l'état de la châtaigneraie(1). Cependant, avec les nouvelles conditions socio-économiques

de production, les élevages se déroulent sur un espace restreint, autour des bâtiments d'exploitation, avec une utilisation accrue de la complémentation en bergerie. Cette évolution des pratiques d'élevage influence fortement l'état du couvert végétal.

(1) Selon M.-T. ARNAUD (1987), seulement 11% de la châtaigneraie cévenole seraient utilisés pour le

pâturage, essentiellement la châtaigneraie fruitière qui est un milieu ouvert, mais cette châtaigneraie constituerait à elle seule plus de 60% de l espace utilisé par les troupeaux

L'éloignement des parcelles pâturées est déterminant. Il signifie perte d'énergie lors du déplacement du troupeau et une perte de temps pour le berger. L'intérêt de l'exploitant se porte vers les pâturages les plus proches de son lieu de résidence, au détriment des espaces en périphérie de son domaine. Cette concentration de l'élevage sur les parcelles proches à forte valeur fourragère, participe à l'enfrichement de l'espace périphérique et à la fermeture du paysage.

Les quantités de nourriture disponibles dépendent de l'étendue des groupements végétaux. Les châtaigneraies sont largement dominantes et fournissent en hiver la nourriture principale du bétail.

La densité alimentaire élevée sur une parcelle permet de réduire le temps de pâturage. Les châtaigneraies et les prés sont de ce fait les espaces privilégiés par l'activité pastorale.

La disponibilité de la ressource fourragère varie en fonction du cycle de production annuel de chaque groupement végétal. Les conditions de croissance végétale varient au cours de l'année en fonction de l'étagement altitudinal, puis à l'intérieur des étages, en fonction de la dynamique propre à chaque groupement et espèce. ELLSÄSSER (1985) distingue :

- les herbacées qui connaissent un accroissement précoce dans l'année en forêt et dans les prés. Leur productivité chute avec la sécheresse estivale pour reprendre au début de l'automne.

- les ligneux bas sous lesquels les herbacées se maintiennent plus longtemps. La croissance des landes est plus tardive que celle des prés. L'espèce dominante n'intervient que ponctuellement dans la ration pastorale pendant sa floraison ainsi qu'en complément pendant la période des châtaignes. Les landes jouent un rôle de tampon dans l'alimentation sur parcours, puisque les troupeaux y trouvent à brouter toute l'année.

- les ligneux hauts restent verts pendant l'été et fournissent des feuilles et des fruits comme complément aux moments où d'autres aliments ne sont pas disponibles : fagots de frêne et de mûrier au retour de la transhumance en fin de gestation ; feuilles de mûrier en complément des châtaignes pour l'engraissement des agneaux ; glands et châtaignes pendant l'hiver.

La combinaison de ces quatre facteurs : éloignement des parcelles pâturées, quantités de nourriture disponibles, densité alimentaire et cycle de production annuel, influence le choix du parcours du bétail. Toutefois, ce choix est contraint par le statut foncier des pâturages utilisés par l'éleveur.

1.1.3 La situation foncière

Le statut foncier d'une parcelle détermine en principe le droit d'usage, et donc de parcours, définissant ainsi les contours de l'espace parcouru par les troupeaux d'élevage.

En Cévennes, cet espace est flou. La location des surfaces agricoles est presque toujours un arrangement verbal, reconduit ou modifié année après année au sein d'un réseau de connaissances locales. La grande majorité des parcours est donc utilisée avec des baux oraux, entre propriétaires et éleveurs, la parole donnée étant en général une garantie de sérieux en Cévennes. Une

faible partie des parcours appartient aux éleveurs eux-mêmes et les baux écrits sont rares. Par ailleurs, la notion de bail oral recoupe une réalité diversement interprétée et appliquée par l'éleveur, allant de la location payée en espèce ou en nature, à l'utilisation sans l'accord explicite du propriétaire.

Tout éleveur connaît sa position vis-à-vis du statut foncier de la terre que son troupeau parcourt. Cependant, l'utilisation pastorale a des règles propres qui transgressent souvent celles de la propriété foncière (JUSSAUME, 1993). Ces règles sont déterminées par un ensemble complexe de relations sociales et sont précaires.

De ce fait, les bergers transgressent facilement les interdictions de parcours. Sur un territoire où les espaces pâturés ne sont pas garantis par un titre juridique mais par des pressions sociales, la garde du troupeau est une manifestation personnelle pour tenter de préserver son droit d'usage.

L'accès au foncier, notamment la maîtrise des prés de fond de vallée et, dans une moindre mesure, des parcours de versant, est un élément déterminant dans l'évolution récente du paysage. En 1981, une enquête auprès de 27 éleveurs ovins et caprins montre que 65% des surfaces en prés et 80% des surfaces en parcours utilisées par les troupeaux sont en location verbale (BOURBOUZE & DEDIEU, 1992).

1.1.4 Le cycle annuel du troupeau

Les besoins de l'animal en ressources fourragères varient en fonction de son cycle de reproduction. Un animal en lactation a des besoins en matières azotées plus élevés qu'un animal en phase de récupération ou de gestation.

Le parcours du bétail doit donc combiner dans l'espace et dans le temps les unités végétales, pour arriver à une alimentation équilibrée de l'animal. Les châtaigneraies en particulier sont pauvres en matières azotées digestible(2) ; elles

doivent être complétées par du lest pour éviter une chute de la production laitière, en particulier par des fibres riches en azote, soit dans la châtaigneraie (herbe, genêt), soit à la bergerie et sur les prairies (paille, foin, herbe).

La distance de parcours à la parcelle est également influencée par le cycle pastoral. Les parcours les plus proches sont réservés à la fin de la période de lactation, les plus éloignées aux périodes de récupération et de lactation.

(2) valeur alimentaire des châtaignes fraîches : 309 MAD et 0,5 U.F./kg d aliment ;

valeur alimentaire des feuilles : 0,5 U.F./kg de M.S. et 80g/kg de M.S. de MAD. (M.A.D. = matière azotée digestible ; M.S. = matière sèche ; U.F. = unité fourragère)

1.1.5 La disponibilité du berger

Le temps de sortie au pâturage peut être réduit par les facteurs suivants : - la sélection animale qui s'est opérée au profit des animaux les plus actifs sur

les parcours ;

- la qualité nutritive du parcours ;

- une partie du parcours peut être compensée par une alimentation en bergerie.

En dernier ressort, c'est la disponibilité du berger qui est l'élément limitant le temps de parcours. Étant donné la polyactivité fréquente en Cévennes, le temps disponible pour la garde est limité et les troupeaux sortent en moyenne 6 heures par jour (ELLSÄSSER, 1985). Toutefois, ce temps varie de 3 à 12 heures selon l'âge et le dynamisme du berger, la durée du jour ou les activités agricoles et non-agricoles du moment.

En Cévennes, tous les membres de la famille gardent le troupeau. Etre berger n'est pas un statut mais une fonction. L'activité pastorale est liée au degré de disponibilité de la main d'oeuvre familiale et notamment la mobilisation de plusieurs générations au sein d'une même exploitation. En général, ce sont les vieux ou les jeunes qui gardent. Avec la disparition des vieux exploitants et la scolarisation des jeunes dans des villes éloignées, cette tendance disparaît.

1.1.6 Autres facteurs

D'autres paramètres interviennent encore dans le choix du circuit pastoral.

Les bergers évitent de faire pâturer ovins et caprins sur un même espace, pour éviter la propagation des maladies infectieuses. Il se crée ainsi un secteur faiblement pâturé entre deux espaces pratiqués pour l'élevage.

Le marché a une influence immédiate sur les pratiques pastorales par l'intermédiaire de la périodicité très prononcée de la vente des produits de l'élevage (fromages, agneaux, chevreaux). Les productions doivent être vendues à des moments précis pour assurer un bénéfice optimal : les agneaux sont vendus à la fin de l'année et les agnelages doivent se situer en septembre ; les chevreaux sont vendus à Pâques et les mises bas doivent avoir lieu aux mois de janvier-février.

Les pratiques pastorales sont caractérisées par leur grande souplesse d'adaptation aux évolutions naturelles, sociales et économiques.

Le cycle pastoral annuel montre :

- une combinaison fine entre les groupements végétaux sous contrainte du statut de la terre ;

- un lien étroit entre le cycle de reproduction du bétail, le cycle de la végétation et les conditions du marché.

Dans le contexte de forte hétérogénéité locale des Cévennes, ces pratiques pastorales varient dans l'espace et dans le temps, avec une certaine capacité d'adaptation.