• Aucun résultat trouvé

III LES CONCEPTS MOBILISES

3.2 L E PAYSAGE , révélateur du système rural et support de l'aménagement Avant de définir le paysage puis de mettre en évidence qu'il est

3.2.2 Définition du paysage

Ayant situé le champ conceptuel du paysage dans le rapport dialectique espace-objet / observateur, nous allons préciser cette définition, attendu que :

1. l'analyse du paysage requiert un ensemble de lectures spécifiques de celui-ci en fonction de la thématique abordée (il s agit bien de lectures et pas de définitions) (INRAP (Ed.), 1986 ; LIZET & RAVIGNAN, 1987 ; ROUGERIE & BEROUTCHACHVILI, 1991) ;

2. le paysage est considéré comme un objet qui se perçoit du sol, dans toute sa profondeur et selon plusieurs plans de vision. Sa caractérisation met en jeu la multiplicité des points de vue d'où un observateur peut le percevoir. Toutefois, on admet l'idée que le paysage a une organisation propre, faite de la combinaison de composantes visibles de l'espace. Ses formes peuvent être modélisées par projection et cartographiées sur un plan horizontal.

Définir le paysage demande de préciser à la fois son organisation et sa dimension spatiale, ce qui conduit à placer le paysage, ou plus exactement le système qu'il reflète, dans la hiérarchie des ensembles spatiaux.

3.2.2.1 Le niveau d'organisation et de perception du paysage

Pour définir le paysage, il faut s'appuyer sur un (ou plusieurs) découpage(s) de l'espace en unités spatiales cohérentes. Cela a été un des principaux résultats du D.E.A. (GAUTIER, 1993) dans lequel un essai de synthèse a été tenté entre les partitions de l'espace réalisées par les disciplines géographiques et écologiques. Citons en particulier les travaux réalisés par G. BERTRAND et par BLANC-PAMARD pour la géographie, par FORMAN et GODRON, et par LEFEUVRE pour l'écologie, avec une référence particulière pour l'ouvrage de ROUGERIE et de BEROUTCHACHVILI (1991) qui est une remarquable synthèse.

Le découpage de l'espace est conçu comme une "partition hiérarchisée de l'espace en ensembles définis à chaque niveau par une organisation interne spécifique de caractères physiques et anthropiques " (LARCENA, 1986). Cette partition n'est possible que s'il existe des unités spatiales emboîtées, comme l'ont montré des écologues (LONG, 1974-1975). On peut ainsi définir, à plusieurs niveaux d'organisation, des unités spatiales caractérisées par leur agencement interne et par des caractéristiques biophysiques et humaines spécifiques :

- Depuis THALÈS, la zone est l'unité correspondant à la structure écologique majeure visible à l'échelle des continents. C'est une entité bioclimatique liée aux grands climats et principalement déterminée par la latitude. Sa définition est équivalente en géographie.

- La région est définie en écologie, à l'intérieur des zones, par un type de climat (FLAHAULT, 1901 ; GODRON, 1968). En géographie, la notion de région n'est pas un concept défini de façon stricte, en dehors de la maille de gestion qui est construite selon deux principes d'unité : l'action coordinatrice d'un centre et le critère d'uniformité des paysages. Les deux

notions ne s'excluent pas et se correspondent souvent pour des raisons systémiques.

- Après le facteur climatique, l'intégration des processus géomorphologiques et pédologiques permet en écologie de définir des "secteurs écologiques" (MANIL, 1963). L'emprise spatiale d'un secteur écologique est une petite région, correspondant à une entité géographique intermédiaire entre le pays et le quartier.

- L'intégration des activités humaines est habituellement visible sur des ensembles spatiaux qui ont l'aspect d'une mosaïque à l'échelle du kilomètre ou de l'hectomètre. Il s'agit d'unités qui regroupent des éléments génétiquement et dynamiquement liés les uns aux autres, et qui relèvent d'une organisation particulière. Ces unités spatiales intègrent les interactions entre le milieu et son utilisation par l'homme. Elles se caractérisent par une structure répétitive des éléments qui constituent la mosaïque. Leur émergence est le paysage.

- Les "éléments" qui composent la mosaïque sont les plus petites unités spatiales ayant des ressemblances morphologiques et fonctionnelles et étant liées entre elles par des relations dynamiques. Ces "éléments" ont été recherchés par tous les courants de recherche qui ont eu la volonté de prendre en compte la réalité complexe du paysage : géofaciès (BERTRAND, 1968), terroir (DEFFONTAINES et al., 1977), biotope (OZENDA, 1982), écocomplexe (LAMOTTE, 1985), segment (RICHARD, 1985), unité paysagère (HOTYAT, 1985), tesselle ou élément (FORMAN & GODRON, 1986), pavé (LARCENA, 1986), facette (BLANC-PAMARD & SAUTTER, 1990). Tous ces concepts ont leur logique spécifique, mais ce sont toujours les unités spatiales dont la combinaison interactive permet de caractériser un paysage. Par commodité, nous les nommons : "éléments de paysage".

Le paysage est donc l'émergence d'un système spatial situé à un niveau d'organisation et de perception intermédiaire entre le pays ou le secteur écologique d'une part, et l'élément de paysage d'autre part. Cela conduit à essayer de préciser l'étendue couverte par un paysage. Pour de nombreux auteurs, et en particulier pour FORMAN & GODRON (1986), et DEFFONTAINES (1985), l'étendue d'un paysage correspond en première approximation à l'espace pouvant être perçu par un observateur, ce qui permet naturellement de relier l'espace à son observation. Cette étendue est généralement de l'ordre de 10 à 50 km2, ce qui correspond à une échelle à laquelle peut s'exprimer une organisation sociale. De ce fait, l'étendue du paysage peut également être définie, à titre d'hypothèse, comme l'espace de vie et d'activités d'une petite société. Le paysage est situé à un niveau d'organisation spatiale qui permet de prendre en compte de façon explicite la construction de l'espace et son observation par l'homme.

A l'échelon intermédiaire entre l'élément de paysage et le paysage, il existe des motifs élémentaires qui sont des assemblages d'éléments de paysage disposés dans un coin de la mosaïque. Ces motifs sont répétitifs, répartis d'une certaine manière spécifique à chaque motif, et reliés par des interstices.

ENSEMBLES SPATIAUX

GÉOGRAPHIQUES ÉCOLOGIQUES

Zone Zone

Région Région écologique

Pays Type de paysage

Sous-région Étage de végétation Quartier Paysage Secteur écologique Parcelle Élément de paysage Station Ordre de grandeur Échelle 1 are à 1 ha 500 à 1000 km 2 1 à 20 km2 10 km7 2 10 km4 2 1/10.000.000 ou moins 1/200.000 à 1/100.000 1/50.000 à 1/20.000 1/10.000 à1/5.000 1/1000 à 1/500 PAYSAGES Motif de paysage

Fig. 4 : DÉCOUPAGES HIÉRARCHIQUES DE L'ESPACE ET RELATIONS AVEC LES PAYSAGES

Le paysage peut être défini comme l'image d'une portion d'espace hétérogène, pouvant être embrassée par la vue d'un observateur et correspondant au territoire contrôlé et utilisé par une petite société, qui est constituée par la combinaison répétitive d'éléments visibles différenciés, naturels et sociaux, en interaction.

Pour que cette définition générale du paysage ait une application concrète, il faut préciser les attributs essentiels du paysage qui sont les éléments de paysage, leur combinaison interactive et les limites du paysage.

3.2.2.2 Caractérisation d'un paysage 3.2.2.2.1 Les éléments de paysage

Les éléments de paysage ont été définis précédemment comme les plus petites unités spatiales ayant des ressemblances morphologiques et fonctionnelles. Il ne s'agit pas, selon nous, d'écosystèmes à qui serait attribué une dimension spatiale, historique et dynamique (BLANC-PAMARD, 1982 ; C. & G. BERTRAND, 1986), puisque l'écosystème est fondamentalement sans dimension(8) et ne peut de ce fait être un élément permettant de caractériser

le paysage.

En première analyse, il est pratique de décrire un paysage comme une combinaison d'unités spatiales caractérisées chacune par leur physionomie. Cela permet de débuter l'analyse de l'espace par sa structure visible, avec des faits inscrits dans le territoire.

(8) L'écosystème est défini par TANSLEY (1935) comme l'ensemble des interactions entre les

organismes vivants et leur milieu ("a combination of a plant community ans its environment as a unit"). L'écosystème peut donc se définir à toutes les échelles d'observation et est sans dimension.

Cela ne suffit pas, bien entendu, pour établir des liens de causalité entre une physionomie et un système de forces, naturelles et sociales, induisant la dynamique de l'élément de paysage et de la mosaïque à laquelle il appartient. Ce n'est qu'un point de départ de l'analyse, qui offre principalement deux intérêts :

- Les unités qui sont définies par leur physionomie sont cartographiables par des méthodes d'analyse visuelle (GAUTIER, 1993). Ce pré-découpage de l'espace est un point de passage utile pour définir les paysages. Il donne des informations partielles mais importantes sur les logiques de mise en valeur de l'espace.

- D'autre part, les unités de même physionomie représentent aussi un objet concret de discussion et de concertation avec les acteurs du territoire puisqu'ils peuvent eux-mêmes les percevoir, ou plus exactement les appréhender, puisqu'il est admis que la vision verticale d'un espace ampute la profondeur de l'observation d'un paysage (PINCHEMEL, 1987). C'est le croisement de l'organisation du paysage avec de l'information constituée par des données et des entretiens, qui permet d'attribuer ensuite un système de pratiques à une unité spatiale d'égale physionomie, et d'affiner le découpage de l'espace en éléments de paysage caractérisés à la fois par leur physionomie et par leur mode de mise en valeur.

Par cette mise en relation de la forme et de la genèse du paysage, il est possible de définir des éléments de paysage comme des ensembles de parcelles foncières contiguës, de mêmes aptitudes et contraintes écologiques, et faisant l'objet des mêmes pratiques de mise en valeur. Pratiquement, ce sont les éléments de paysage qui permettent d'étudier, en les combinant, les relations entre les pratiques de gestion des ressources et l'organisation du territoire.

3.2.2.2.2 Les limites du paysage

Une des questions principales qui se posent actuellement aux décideurs de l'aménagement est de savoir combien de paysages présente le domaine qu'ils souhaitent aménager. Répondre à cette question toute simple implique de définir précisément les paysages et de circonscrire leurs limites : où commence un paysage et où s'arrête-t-il ? La limite entre deux paysages n'est-elle pas elle-même un paysage ? Un exemple précis illustre bien la difficulté de l'entreprise : dans le cas d'une vallée, la portion d'espace pouvant être embrassée par la vue d'un observateur est constituée de deux versants, l'adret et l'ubac, présentant une organisation spécifique. Le paysage se limite-t-il à un versant ou est-il constitué de l'opposition des versants ?

Une façon de résoudre ce problème est de définir les limites d'un paysage par son contenu en partant de son coeur : puisqu'un paysage est caractérisé par une structure répétitive, où s'assemblent les formes de terrain, les formes de végétation et les éléments construits par l'homme (FORMAN & GODRON, 1986), il commence là où apparaît cette structure répétitive et il finit là où elle disparaît.

Pratiquement, au niveau d'organisation spatiale auquel s'appréhende le paysage, le relief est habituellement le facteur à l'intérieur duquel les autres s'enchaînent le plus visiblement, et la limite d'un paysage est souvent la ligne de crête, ce qui correspond bien à la limite du champ d'observation d'un individu placé au c ur de ce paysage, à ce que l'on peut définir comme un "bassin visuel" (ROUGERIE & BEROUTCHACHVILI, 1991). Ainsi, les frontières des paysages sont souvent des événements biophysiques majeurs, résistants aux dynamiques économiques et sociales des systèmes qui se succèdent sur le même espace. Cela est vrai en particulier pour les Cévennes, région au relief contrasté où les contraintes morphologiques imposent des limites franches entre les paysages.

Toutefois, la limite d'un paysage ne dépend évidemment pas que du relief et, dans un espace où le regard n'est pas arrêté par des crêtes, ce sont d'autres événements qui constituent les limites des paysages : frontière politique, rupture entre les territoires de deux sociétés, etc. Un paysage domestiqué aura tendance à se linéariser et à avoir des limites nettes, tandis qu'un paysage peu artificialisé aura des bordures en gradients plus ou moins nets. C'est alors souvent un changement de la matrice du paysage qui constitue la limite entre deux paysages.

Le débat de savoir si ce sont les paramètres biophysiques ou les constructions humaines qui décident en premier lieu de la frontière d'un paysage est, à notre avis, inutile puisque, par définition, le paysage naît du rapport entre la nature et la société. Il existe des situations où ce sont les frontières physiques qui limitent la mise en valeur de l'espace par une ou plusieurs sociétés qui exploitent les ressources renouvelables d'un espace et participent à l'émergence du paysage. A l'opposé, il existe des situations où un même milieu mis en valeur par deux sociétés crée deux paysages bien différenciés.

Compte tenu des rapports entre paysage et système rural, les limites des paysages peuvent être considérées comme la frontière entre les systèmes dont ils sont le reflet. Le paysage peut être centré sur sa partie la plus humanisée ou avoir l'aspect d'une mosaïque de motifs (masses boisées, finage agricole, village, etc.), ses frontières se définissent quand disparait la combinaison interactive des éléments caractéristiques d'un système rural au profit de ceux d'un autre système rural. Cette transition peut être rapide ou longue, présentant un continuum de changement, ce qui confère à la frontière des dimensions spatiales (largeur) et temporelles (durée). Toutefois, la forme d'un paysage étant liée à la perception humaine, individuelle et collective, la définition de contours est également liée aux points de vue individuels et collectifs des acteurs de l'espace. Il faut que ceux-ci, principaux intéressés par la gestion de l'espace, se reconnaissent dans la définition du paysage. Un touriste qui a un cheminement plutôt linéaire dans le paysage devra combiner son point de vue à celui de l agriculteur qui en a une appréhension plus circulaire, et qui imprime sa marque sur le paysage.