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N Corniche des Cévennes

IV LES MARGES DE LA MISE EN VALEUR DU TERRITOIRE 4.1 L A CHENAIE DE C HENE BLANC ET ROUVRE

5.1 G ENERALITES SUR LA CHATAIGNERAIE

5.1.1 Sa situation

La présence naturelle du châtaignier est liée à deux facteurs incontournables :

- le sol : c'est une espèce strictement calcifuge ; il ne se développe pas si le calcaire assimilable dépasse un taux de 4% ; sa présence se limite en Cévennes aux sols siliceux (principalement schistes et granites) ;

- le climat : celui qui lui convient le mieux est caractérisé surtout par une moyenne des minima du mois le plus froid supérieure à 0 ou -1°C (ROUSVOAL, 1973) et par des températures moyennes annuelles comprises entre 10 et 15°C (ARNAUD & BOUCHET, 1995).

L'altitude et l'exposition renforcent ou atténuent l'effet du froid, si bien que le châtaignier se développe bien en Cévennes entre les altitudes suivantes : 350 à 600 m pour l'adret, 400 à 700 m pour l'ubac. Il redoute cependant la chaleur excessive des fonds de vallées.

Outre ces contraintes, le développement du châtaignier dépend de la teneur en eau du sol. Il est sensible à l'asphyxie racinaire dans les sols mal drainés (BOURGEOIS, 1992). Comme toutes les essences forestières, il se développe bien sur les sols sains, fertiles, frais et profonds. Il régénère bien malgré la concurrence interspécifique et produit de beaux sujets en particulier sur les traversiers , dans les concavités et en fond de vallée.

Il est sensible à l'érosion des pentes, qui provoque un déchaussement des racines, et à l'appauvrissement des sols. Il supporte toutefois les sols pauvres, ce qui a permis aux hommes d'étendre sa culture dans toutes les Cévennes à des sols de type ranker. L'épuisement des sols, le vieillissement

des arbres et surtout le manque d'entretien précipitent aujourd hui la dégénérescence des châtaigneraies. Leur production diminue alors, ainsi que le calibre des fruits qu'il donne. Le châtaignier est alors dans un état de faiblesse physiologique qui en fait une proie facile pour les attaques parasitaires de l Encre, et du chancre (Endothia).

Le châtaignier a été planté en Cévennes partout où les conditions pédologiques et climatiques le permettait, y compris en dehors de son domaine agro-écologique optimum. Il s étend ainsi sur la majorité des parcelles de l'exploitation agricole, enserrant la première auréole de cultures autour des hameaux. Il est cultivé en association avec de l'agriculture et de l'élevage, dans un système technique étroitement associé aux autres productions.

L'extension de la châtaigneraie est étroitement liée à la démographie, comme le prouvent des études locales (MESTRE, 1991 ; ROLLAND, 1992). La culture du châtaignier a gagné du terrain au rythme de la croissance de la population rurale. Cette croissance n'a pas été continue ; elle a été marquée par des phénomènes de déprise lors des modifications climatiques (1300, 1709, 1788-89), des maladies (1348) et des guerres (100 ans, Camisards) (Cf. Annexe 1). Elle recule avec l'exode rural et le vieillissement des actifs agricoles, ainsi qu avec l'évolution des systèmes de production vers des systèmes spécialisés (Cf. Annexe 3). La châtaigneraie se maintient dans le paysage comme élément dominant, parfois encore exploitée, le plus souvent sous forme de reliques dans les secteurs de déprise.

5.1.2 Ses productions

Planté comme culture vivrière valorisant bien un milieu difficile, le châtaignier a acquis une fonction monétaire dès le XIème siècle. La châtaigne sert alors à payer les rentes des fermages ou de monnaie d'échange contre d'autres denrées, comme les céréales ou le vin, dont manquent les Cévennes (TRAVIER, 1993). Avant le ver à soie et l'élevage intensif, il a procuré aux paysans de l'argent frais. Il a été dans l'économie cévenole un moteur, avant d'être ensuite remplacé par d'autres sources de profit. Parfois aussi, il a pu servir de valeur refuge, comme pendant la crise séricicole de la fin du XVIIIème siècle.

C'est surtout comme élément charnière de l'économie que la châtaigneraie joue un rôle central (Cf. Fig. 46, Annexe 1). Tous les systèmes techniques de l'exploitation s'articulent autour de cet élément, que ce soit l'élevage, l'agriculture ou l'artisanat. Dans le passé, la châtaigneraie était l'un des piliers principaux des systèmes de production cévenols basés sur la dualité entre : d'une part, un espace extensif qui assure la viabilité de l'exploitation ; et d'autre part, un espace intensif qui abrite des activités de rapport, agricoles ou artisanales, et assure le développement de l'exploitation pendant les périodes favorables.

En Cévennes, la châtaigneraie est conduite pour la production fruitière sur l'ensemble du pays, à l'exception notable d'une vieille tradition de châtaigneraie à bois dans le Viganais, et ponctuellement dans les hautes vallées (ARNAUD, CHASSANY & DEJEAN, sous presse). La châtaigneraie a

été plantée, greffée, entretenue et exploitée pour la production de fruits et, accessoirement, pour les multiples services que rend le châtaignier dans le cadre d'une économie domestique. Les souches des arbres, disposées à des écartement d'environ 10m x 10m un peu partout, résultent de cette logique de production. Actuellement, les châtaignes sont le plus souvent destinées à la vente, l'exigence des utilisateurs se portant sur des fruits gros et non cloisonnés. La conduite de la châtaigneraie, qui était traditionnellement une agroforesterie , devient à une arboriculture classique, avec un marché organisé.

Ceci nous amène à développer un point majeur de notre analyse de la châtaigneraie : compte-tenu de son histoire, des pratiques intégrées qui s'y développent et de sa valeur culturelle, il semble pertinent de considérer, au départ, la châtaigneraie cévenole comme un ensemble forestier cohérent émanant d'une même stratégie de production. La châtaigneraie cévenole, c'est d'abord une arboriculture, qui produit de la nourriture dans des conditions difficiles et même si elle est peu entretenue. C'est la valeur sûre d'une économie de montagne qui assure l'essentiel, c'est-à-dire l'autosubsistance, rend de nombreux services et peut, éventuellement, rapporter de l'argent par le commerce avec les bourgs de débouché de vallées.

5.1.2.1 La production de fruits

Le châtaignier commence à produire des fruits à l'âge de 10 ans ; il atteint sa pleine maturité à 35 ans, est un excellent producteur à 70 ans et peut encore donner des fruits jusqu'à 150-200 ans. Au-delà, il peut être utilisé pour la production de bois de charpente et de service, ainsi que d'extraits de tanins. Son entretien régulier fournit du bois de feu, du fourrage pour les petits ruminants, ainsi que des éléments d'artisanat.

Dans le système traditionnel, la production de fruits constituait la base de l'alimentation humaine. Il y avait quelques châtaignes de bouche consommées fraîches au moment de la récolte et peu commercialisées ; la majorité des châtaignes était séchée pour la conservation. Cette pratique est ancienne puisque les châtaignes étaient déjà blanchies par dessiccation en Vallée Française au XIIIème siècle (TRAVIER, 1993). Une fois blanchies, les châtaignes pouvaient se conserver et assurer l'alimentation de base de la famille de l'exploitant. Les fruits moisis étaient donnés aux animaux ; une partie de la récolte était vendue dans les foires et les marchés de piémont.

Dans le cadre de l'économie moderne, la châtaigne assure encore une part de l'alimentation des exploitants, mais l'avenir de la châtaigneraie dépend davantage des lois du marché, que ce soit pour la châtaigne de bouche ou pour la blanchie.

Le fruit intervient aussi dans l'alimentation des petits animaux. Il sert à engraisser le porc et les agneaux. En automne et en hiver, la châtaigneraie assure un complément de nourriture aux troupeaux de petits ruminants, chèvres et moutons, qui la parcourent en mangeant les résidus de récolte (feuilles, bogues et fruits non récoltés).

5.1.2.2 Les autres productions de la châtaigneraie

Les feuilles sont aussi utilisées comme fourrage pour ces petits ruminants au printemps, avant qu'ils ne montent dans les pâturages d'estive.

Les produits de l'entretien de la châtaigneraie constituent la source de combustible la plus importante, en particulier pour le séchage des châtaignes et pour le foyer des maisons.

Le bois de châtaignier était utilisé traditionnellement pour la construction (linteaux, charpente porteuse, planchers) et la menuiserie (intérieure et extérieure). Il servait en outre à la confection de nombreux objets : vannerie d'éclisses, douelles de tonneau, collier de mouton avec des lamelles de "bouscas" non refendues, conduites d'eau, auges pour le bétail, coffres, ruches, etc. Autrefois, il n'y avait pas de sylviculture particulière en fonction des variétés pour la production de poutres de construction (G. VERDIER, com. pers.). Celles-ci étaient débitées dans les arbres de réforme et la construction s'adaptait à la forme de la poutre en général tordue et à peine équarrie. Les planches étaient débitées dans les arbres gros et droits dans le fond des vallées. Aujourd'hui, ces pratiques d'usage domestique du bois de châtaignier fruitier tombe en désuétude.