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La période initiale de mise en exploitation des terres et des Aborigènes dans le régime colonial espagnol

Historicité de l’éducation exogène à Cuba au travers des contextes colonial et néo-colonial de son économie

1.1 La genèse de l’institution esclavagiste à Cuba

1.1.1 La période initiale de mise en exploitation des terres et des Aborigènes dans le régime colonial espagnol

Cristóbal Colon n’a pas « découvert » l’île de Juanna98 le 27 octobre 1492, lorsque sa caravelle touche le port de Bahia Bariay sur la côte nord-est de l’île. À l’évidence, l’entreprise de Colomb a fait seulement trois « découvertes » fondamentales : non seulement une terre jusque-là ignorée par les Européens, mais également la meilleure route maritime entre l’Europe et l’Amérique du Nord, puis la meilleure route dans l’autre sens, soit l’œuvre d’un maître manœuvrier des vents... Tout comme le reste du monde, sauf les Aborigènes présents sur l’île, il ignore l’insularité de l’île et son peuplement, qu’il prend pour un archipel au large de la Chine ou de Cypango (le Japon), ainsi que l’existence des deux grandes masses continentales qu’on appellerait aujourd’hui Amérique du Nord et Amérique du Sud. Le « Nouveau Monde » n’est en effet nouveau que pour les Européens, des hommes vivaient déjà en Amérique du Nord et dans l’aire Caraïbe99. L’histoire de la colonisation des terres d’Amérique

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Pour ce qui est du nom « Juanna », donné par Colomb à Cuba, c'est dans le document qu'il a écrit en 1493, connu sous le nom de « Lettre à Santangel », que Colomb indique le nom qu'il a donné à cette terre.

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Des mesures au radiocarbone font reculer la présence humaine à Cuba jusqu’à 5 000 ans. Nos recherches n’ont pas permis de vérifier l’origine ethnique des populations originelles de l’île, ni leur lieu d’émigration. Il a été estimé par les historiens avec une forte probabilité que les premiers habitants de l’île ont migré de Floride, du Yucatan et d’Amérique du Sud. La majeure partie des investigations se recoupent en faveur de la prédominance

n’est donc pas celle de la « conquête »100 – pour employer une expression courante dans l’historiographie de l’Amérique hispanique – d’un territoire vide par les hommes blancs, mais bien celle d’un « ethnocide » (cf. infra), aboutissant dans son extrême, à la disparition physique presque totale de la population aborigène.

Les données que nous possédons sur l’évolution de la population de Cuba à l’époque ne peuvent être qu’imprécises. Il aura fallu consulter de très nombreux documents pour avoir quelques idées de sa composition et avancer des chiffres raisonnables. L’évaluation approximative de la population aborigène amérindo-cubaine – composée originellement par les Guanahatabeyes, puis par un groupe arawak, les Taïnos, et enfin les Ciboneys101 –, indiquerait la présence très approximative de 100 000 ou 112 000 aborigènes dès 1510, puis de seulement 15 000 en 1530, 5 000 en 1537 (Núñez Jiménez, 1959) et 893102 en 1544, soit 0,7% de la population originelle après seulement une quarantaine d’années de présence espagnole (Pérez de la Riva, 1946, p. 57). Rosenblat parvient à établir le chiffre de 1 350 aborigènes en 1570 (Rosenblat, 1954, p. 88).

La citation de ces chiffres est à considérer avec une extrême prudence. Le critère quantitatif a ses forces et ses faiblesses, même s’il a envahi l’essentiel du débat sur la disparition accélérée des aborigènes. Une question demeure au-delà du chiffrage forcément imprécis : une dépopulation aussi rapide, même si les massacres ont été multiples et importants, paraît techniquement impossible, d’où l’idée raisonnable d’avancer l’hypothèse microbienne, non pas opposée à celle des massacres, mais complémentaire. L’explication principale de cette chute démographique pourrait être le développement des maladies infectieuses amenées par les colonisateurs (Pichardo Moya, 1945). Les germes se propagèrent sur les divers objets de traite (outils, verroterie), les animaux (bovidés, porcs, volailles), ainsi que sur les parasites (rats). Les Européens étaient porteurs de germes qui n’étaient plus

de l’Amérique du Sud. Le cas des Aborigènes Taïnos est clair à ce sujet : leur ethnie descendait des Aborigènes

Aruacos qui peuplaient la côte Nord-occidentale de l’actuel Venezuela (Canton Navarro, 2000, p. 19). 100

La « conquête » est d’ailleurs le prolongement de la « reconquista », c’est-à-dire de la « reconquète » chrétienne des royaumes musulmans. Le moteur idéologique porté par l’évangélisation des Indiens et l’extension du christianisme agissaient aux dépens de l’islam. Il convient de préciser tout de suite que les guerres de

« conquête » liés à la domination coloniale étaient déjà une réalité dans les temps anciens. Par exemple, lorsque

la domination des Musulmans arabes s’étend vers l’Europe, le commerce d’êtres humains est une activité millénaire parmi les Européens. Le règne de l’islam en Espagne, de 711 à 1492, a simplement dynamisé la traite d’esclaves intra-européenne, faisant du continent un important fournisseur d’esclaves, femmes et hommes, expédies vers les pays de l’islam (à ce sujet, cf. Verlinden, 1977).

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Peu de certitudes existent sur la seule présence de ces trois tribus. Les Aborigènes appartenaient à beaucoup d’autres ethnies selon certains auteurs. La liste des tribus aborigènes de Cuba, à l’époque de la découverte par Colomb a été présentée par Lehman (1920), elle contiendrait les tribus suivantes : Bani ; Baracoa ; Barajagua ;

Barbacoa ; Bayamo ; Bayaquitiri ; Boyaca ; Camagüey ; Cayaguayo ; Cubanacan ; Cuciba ; Gaimaro ; Guamahaya ; Guanacahibe ; Guaniguanico ; Havana ; Hanamana ; Iagua ; Macaca ; Macorixe ; Maguano ; Maisi ; Maiyé ; Mangon ; Maniabon ; Marien ; Ornofay ; Sabaneque ; Segua. Pour plus de précisions à ce sujet,

voir les archives inédites de la Real Instituto de Historia (1885).

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Ce chiffre est contesté par Pichardo Moya qui fait état d’une population de 1 143 Aborigènes à partir des documents de recensement réalisé par Sarmiento, Evêque de Cuba et Répartiteur des Aborigènes en 1544 (Pichardo Moya, 1945, pp. 41-42).

pathogènes par suite d’une longue coexistence et résistaient relativement bien aux maladies contagieuses, ce qui n’était pas le cas des Aborigènes qui constituaient avant l’arrivée des Espagnols, un « isolat ». L’expression couramment utilisée de « choc microbien et viral » est des plus révélatrices de ce phénomène. Les écrits de l’historien cubain, Pérez de la Riva, témoignent à ce sujet :

« la présence de maladies amenées d’Europe et d’Afrique comme la variole, la rougeole, le paludisme et surtout les infections broncho-pulmonaires, toutes inconnues en Amérique, et pour lesquelles l’Aborigène ne possédait pas de système immunitaire suffisant comme l’Européen, le choc violent avec une culture qui les humiliait et les brimait, qui détruisait ses rites et ses coutumes, l’intensité du travail qui leur était exigée, ont fait que non seulement les Aborigènes moururent massivement, mais qu’ils perdirent l’intérêt pour la vie et basculèrent vers le suicide » (Pérez de la

Riva, 1972, pp. 61-70).

Pour appuyer cette thèse du « choc microbien », nous disposons de données tout aussi approximatives sur l’origine virale ou bactérienne de la mortalité de l’ensemble de la population aborigène dans les Amériques. Celles-ci confirmeraient que plusieurs vagues épidémiques furent responsables de la chute démographique. Pour Cuba, quelques données sporadiques semblent confirmer la thèse d’un choc microbien : l’épidémie de variole de 1519 fit mourir à elle seule entre 30 et 50% de la population aborigène (Pérez de la Riva, 1972, pp. 78-79).

Tableau II.1 – Estimation sur l’origine de la mortalité des Aborigènes en Amérique par maladie et

par période historique, 1494-1633

Maladies Période historique Contribution en % de la mortalité globale Grippe Variole Sarampión Typhus exanthématique Peste pneumonique Sarampión Variole Sarampión Typhus exanthématique Sarampión Sarampión Typhus exanthématique 1494-1515 1519-1528 1531-1534 1545-1546 1545-1546 1557-1563 1576-1591 1576-1591 1576-1591 1596-1597 1611-1614 1630-1633 20 35 25 20 15 20 20 12 15 8 8 10

Source : Cook et Borah (1977).

D’autres raisons pourraient expliquer l’hécatombe démographique. Les premiers animaux importés d’Europe (bovins, ovins, porcins, oiseaux de basse-cour, etc.) ont bouleversé l’écosystème des populations locales. Les conquistadores ont introduit le bétail (surtout bovins et chevaux) sur des terres réservées aux cultures aborigènes, où étaient cultivés principalement la yuca (manioc), le maïs, la courge, les patates douces, les cacahuètes, le tabac... (Cantón, 2003, p. 21). Le changement radical de la structure primitive d’alimentation correspond aux nécessités alimentaires des Espagnols, notamment l’objectif d’avoir des réserves suffisantes en viandes. Les Aborigènes ont été obligés de

cultiver différemment, et ont provoqué leur propre destruction pour nourrir les Espagnols (Pérez de la Riva, 1951).

La « conquête » par occupation du sol et exploitation intensive a commencé en 1510 ou 1511 par Diego Velázquez dans la région de Baracoa, première ville fondée par les colonisateurs (

Barcía

et

alii, 1996). L’objectif de cette campagne de colonisation est la recherche d’or pour permettre, en

autres, de financer les frais d’expédition et de satisfaire les besoins des colons Espagnols103 en biens manufacturés notamment. Les besoins à satisfaire des colons (nourriture, produits manufacturés...) accroissent les conditions d’exploitation, afin de pouvoir payer en métal précieux l’État fournisseur. Défricher et cultiver le sol, creuser, transporter, laver les sables, abattre et transporter le bois pour fondre le métal exigeaint une main d’œuvre que les conquistadores à eux seuls ne pouvaient assurer. L’hypothèse du « bon vouloir » des Aborigènes était évidemment rejetée par les colonisateurs et la mise en exploitation forcée devenait une obsession. L’opération de colonisation a pris la forme d’une domination de la population blanche espagnole et conduit à un processus de formation sociale, où « la

division du travail est avant tout raciale » (Herrera, 2003, p. 15). Les expéditions se transformaient en

véritables entreprises privées, dont le projet n’était pas de cultiver la terre, mais de vivre au détriment des Aborigènes, et de mener une politique de domination systématique par le travail contraint. L’intensification du rythme d’exploitation des placers aurifères reflètait, en réalité, l’absence d’or en quantités importantes sur l’île, ce qui imposait une reconversion pour les colonisateurs. Le rôle de l’île était avant tout stratégique pour les conquêtes plus lointaines et plus enrichissantes en or (Mexique et Pérou notamment), d’abord comme base arrière des expéditions vers l’Amérique centrale, puis dans l’organisation des liaisons entre l’Espagne et l’Amérique. La Havane, fondée en 1519, devenait pour longtemps le port militaire de la Nouvelle Espagne, où transitaient les galions chargés de marchandises ou de métaux précieux, avant de franchir l’Atlantique pour Séville.

La mise au travail forcé des populations aborigènes fut l’un des premiers objectifs essentiels de la colonisation, représentant le premier degré de l’exploitation coloniale. Velásquez, en charge de l’opération de colonisation ou « opération de repeuplement », reçut du roi la faculté de répartir les terres et les Aborigènes. La répartition de la propriété foncière aura pour conséquence immédiate de figer la « structure de classes sur d’énormes inégalités de patrimoine », en donnant naissance aux premiers « latifundios » dédiés surtout à l’élevage du bétail (Herrera, 2003, p. 15). Cette distribution ne tient pas compte des structures sociales préexistantes de la population aborigène, de ses lieux de vie et de reproduction. La conquête s’est faite soit sur des terres libres, qu’elles le soient réellement ou que la présence aborigène y ait été ignorée, soit sur des terres dont on savait pertinemment qu’elles appartenaient à des Aborigènes. La question doctrinale portée par la « conquête », dans ce qu’il est communément appelé la « guerre juste » (entendue comme la guerre contre les infidèles) (Le Riverend, 1967, p. 42), se fondait sur le droit légitime de coloniser et de répartir les biens conquis. La

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On estime qu’en 1544, il ne restait à Cuba que cent cinquante familles espagnoles, soit l’équivalent de moins de 700 personnes. À la fin du siècle, un millier de familles espagnoles vivaient dans l’île, dont huit cents à La Havane (Grelier, 1970, p. 101).

terre des Aborigènes devait passer aux mains des chrétiens au nom de cette « guerre juste ». Les rois d’Espagne sollicitaient sur ce problème l’approbation de la papauté. Le 3 mai 1493, la fameuse bulle

Intercetera du pape Alexandre VI Borgia nommait Ferdinand et Isabelle « seigneurs des terres et continents découverts et à découvrir avec pleine, libre et absolue autorité et juridiction ». Quelques

jésuites, comme Bernardino de Manzaneda, estimaient que le droit de propriété des terres accordé aux Aborigènes apparaissait légitime, mais que l’exercice de ce droit aboutirait à ne laisser aucune terre aux conquistadores, ce qui ruinerait la politique coloniale (Le Riverend, 1967, p. 44). Les premiers propriétaires fonciers, en l’occurrence ceux des placers aurifères, estimaient par le droit colonial, être d’office les propriétaires du « Nouveau Monde », et pouvoir soumettre les Aborigènes au travail contraint dans leurs exploitations.

Une des implications fondamentales de la concentration des terres a été d’accélérer la formation des élites nationales en étroite dépendance, au départ de la colonisation, avec le pouvoir espagnol. Ces élites en « état de procréation », dont la protection par l’État colonial leur garantissait les activités d’exploitation du travail contraint, étaient issues d’éléments formant la bourgeoisie foncière créole et des éléments appartenant à la bourgeoisie marchande espagnole :

« Le trait majeur des classes dominantes locales était d’être bicéphales, composées, d’éléments aristocratiques créoles formant l’oligarchie des grands propriétaires fonciers qui régnaient sur les latifundios primitifs et les mines, d’autres part, d’éléments bourgeois, marchands urbains, presque tous espagnols, tirant leurs fortunes du commerce avec la métropole, sous monopole » (Herrera, 2003,

p. 16).

La systématisation de la mise au travail contraint des Aborigènes s’est produite grâce à l’instauration d’une institution d’origine médiévale : l’« encomienda ». Cette institution représentait un moyen d’imposer à l’Aborigène la servitude, consistant à avoir en « commande » les Aborigènes sous la pression militaire, donnant droit au bénéficiaire, l’« encomendero », de percevoir des tributs (produits agricoles, vêtements...) échangeables en corvées (Zavala, 1935). Un des effets de la politique du tribut a été d’accroître la destruction de la polyculture pré-hispanique et de pousser les Aborigènes vers une production agricole dirigée vers des besoins spécifiques : les colonisateurs espagnols mirent alors en place de grandes exploitations pour « mettre en valeur » des territoires et fournir les marchés européens en produits alimentaires délocalisés, c’est-à-dire n’étant plus produits pour des besoins locaux, mais pour des besoins métropolitains et européens. En un sens, par la création d’une économie coloniale extravertie, en concentrant et déplaçant les activités productrices en fonction des calculs de rentabilité des entrepreneurs coloniaux privés, la colonisation détruisait la structure agraire aborigène.

Les caractéristiques de l’ « encomienda » ont été considérées comme étant proches des conditions de l’esclavage104 (Le Riverend, 1967, p. 59). Or, juridiquement, la bulle papale interdisait

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de réduire à la condition d’esclavage les aborigènes, mais cette réglementation était marquée par une certaine ambigüité. Ce qu’il faut souligner est que les classes dominantes dans l’île vivaient immédiatement de l’extraction des richesses minérales. L’Aborigène, comme force de travail, ne devait ni s’enfuir, ni disparaître. Il représentait à la fois une âme à convertir et de la main-d’œuvre rare pour la mise en valeur des terres confisquées. Dans la vision catholique, dès qu’il était avéré que les aborigènes avaient une âme – c’est à dire qu’ils étaient des hommes –, il apparaissait comme un devoir envers Dieu et envers l’Église de convertir, de reconduire les âmes nouvellement conquises sur le chemin de la foi. Toutefois, Charles Quint, qui avait autorisé l’esclavage des Aborigènes en 1517, en interdisait la pratique en 1526. Les textes officiels ne seront pas ou peu respectés par les potentats locaux, et les couronnes se rendront coupables de laisser faire. La dureté imposée par les

« encomenderos » et leurs contremaîtres provoquait des réactions extrêmes de la part des Aborigènes,

comme la conséquence des chocs psychologique et physique qu’ils subissaient : ils refusaient le travail, ils se révoltaient105, ils s’abstenaient d’avoir des relations sexuelles, ils recouraient à l’avortement et parfois à l’infanticide, ils se suicidaient (Zerquera et de Lara, 1977). D’autres facteurs pourraient expliquer ces comportements conduisant à l’ « auto-destruction » des Aborigènes : les expériences d’assimilation débutées dès les premières années de la conquête, comme la dépossession de la plus grande partie des terres, la destruction de l’encadrement social, religieux et culturel, la lutte contre les spiritualités et les mœurs, l’extirpation des langues.

Des efforts ont pourtant permis d’améliorer les conditions de vie des Aborigènes avant d’en arriver à déclarer leur « liberté » avec la promulgation des lois de Burgos de 1512, en précisant le temps de repos nécessaire et la quantité minimale de nourriture à fournir par les colons. Les Aborigènes continuaient pourtant à être comptabilisés communément comme des « pièces de la même

manière que s’il s’agissait du bétail », a souligné Bartolomé de Las Casas106. Le principal objectif des lois de Burgos est à chercher dans « la nécessité de les christianiser et la volonté de les

européaniser », comme le souligne Le Riverend (Le Riverend, 1967, p. 76). L’Aborigène, disait-on,

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Les expéditions des conquistadores à l’intérieur des terres s’accompagnaient des premières exactions contre les Aborigènes les plus récalcitrants à la soumission de l’autorité Espagnole, ou tout simplement ceux qui étaient marqués par la curiosité de la rencontre et des échanges humains, et qui ont été victime de l’exaltation et la folie meurtrière des soldats Espagnols. Un des exemples de ces dérapages est connu sous le nom de « la matanza de

Caonao », où furent tués, dans un petit village près de Camagüey, hommes, femmes et enfants aborigènes sans

défense, par le seul fait qu’un geste mal compris d’un soldat déclencha l’offensive guerrière de tous les autres (Cantón, 2003, p. 26). A la dureté des expéditions espagnoles, les Aborigènes, moins armés et organisés, répondirent par des actions de représailles toutes aussi sanglantes, dont la plus célèbre a été celle menée dans les montagnes par le cacique Taïnos, Hatuey, avant d’être brûlé vif lors de sa capture par les Espagnols (ibid., p. 25)

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« Sur ces terres, les Espagnols adoraient deux idoles, une grande et une petite : la grande idole, c’était celui

qui répartissait les Aborigènes et, pour le contenter, pour qu’il donne ou qu’il ne retire pas les Aborigènes, ils lui faisaient mille manières de cérémonies, flatteries, honneurs en guise de sacrifices ; la petite idole, l’idole sans importance, c’était personne, mais simplement l’usage, le travail et les sueurs, comme on use du froment, du pain ou du vin ; et, si nous voulons, il n’est pas absurde de dire qu’au terme de chaque saison ou campagne dans les mines, on sacrifiait les Aborigènes à l’or, en les tuant dans les mines. » (Las Casas cité in Grelier, 1970,

ne pouvait naturellement apprendre à vivre comme les Chrétiens, se plier à la règle du travail capitaliste, exercer un métier. Il était donc indispensable pour les colons de l’enseigner, de le diriger, de le gouverner et de l’évangéliser. Chaque colon espagnol devait recevoir un certain nombre d’Aborigènes, afin de les prendre sous protection et de les éduquer, de leur inculquer les principes et les enseignements de la foi catholique. En échange de cette « généreuse » tutelle, le colon espagnol pouvait utiliser pleinement le travail de l’aborigène, représentant un « capital » gratuit. Le caractère temporaire du fonctionnement de l’ « encomienda » – selon une période d’une durée initialement d’un mois étendue à neuf mois à partir de 1513 par les autorités espagnoles (Cantón, 2003, p. 28) –, incitait les colons à mener une stratégie d’obtention rapide des bénéfices, ce qui intensifiait l’épuisement des forces de travail aborigènes. Les exigences de rentabilité des colonisateurs étaient constamment insatisfaites, notamment dans les activités d’extraction des placers aurifères : « Ils disaient [à propos des colons] que l’Aborigène ‘ libre’ ne voulait pas travailler à l’européenne, c’est-à-dire ne souhaitait

ni se transformer en une bête de travail typique du monde capitaliste, ni se christianiser » (Le

Riverend, 1967, p. 77). La fin d’interdiction de limiter le temps en servage des Aborigènes décidée en 1522, permettait aux colons de gérer librement la main-d’œuvre, en l’utilisant de manière plus intensive dans les mines. Cette reprise du rythme intensif d’exploitation a sans doute accéléré la chute démographique des Aborigènes. La production d’or connaissait cependant sa période la plus prospère entre 1520 (date de la première mine d’or exploitée dans l’île) et 1530, atteignant une valeur de trois millions de pesos (Le Riverend, 1967, pp. 116-117). De même, la découverte de gisement de cuivre, approximativement en 1530, donnait lieu à une exploitation commerciale dès 1534. Mais à mesure que les activités d’extraction prenaient une relative ampleur dans l’île, les colons se rendaient compte que le rendement imposé aux Aborigènes constituait la cause principale de leur disparition, et réclamaient auprès de la Couronne leur substitution par des esclaves africains (Le Riverend, 1967, p. 77).

Dans l’attente d’arrivées massives d’esclaves africains, les « lois nouvelles » (Leyes nuevas) de 1542 visaient à améliorer le système juridique de la colonie et à réduire l’intensité du travail des Aborigènes. L’objectif de la métropole était théoriquement d’offrir une « liberté » à une population

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