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La demande individuelle d’éducation et les déterminants du choix.

Le rôle de l’éducation dans la théorie du capital humain : revue de littérature et mise à l’épreuve à partir des données cubaines

1.2 La demande d’investissements des ménages en « capital humain »

1.2.1 La demande individuelle d’éducation et les déterminants du choix.

Les investissements en « capital humain » constituent l’une des principales applications de l’économie de la famille et des ménages. L’éducation comporte des composantes de

« consommation », comme un bien de consommation courante voire durable. Les déterminants

essentiels de la demande d’éducation sont les préférences individuelles, le revenu et le prix du service éducatif. Tentons de préciser ces variables qui décrivent le processus du choix de la demande individuelle d’éducation.

Premièrement, pour la théorie du capital humain, le postulat est que l’individu est influencé par le désir de maximiser son gain sur une vie entière, et qu’il va en conséquence chercher à définir son projet individuel d’études en fonction de cet objectif. L’appartenance sociale qui joue un rôle prépondérant dans la trajectoire des études des élèves n’est pourtant pas prise en compte à ce niveau d’analyse. Or, c’est bien parce qu’ils disposent de revenus plus importants et une préférence plus forte pour la poursuite d’études supérieures que les enfants issus des classes sociales « aisées » sont plus

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« le lecteur pressé de la plupart des études économétriques du capital humain en retient cependant que, certes

il y a des problèmes de mesure, mais que, grosso modo, ces études vérifient – ou n’infirment pas – l’hypothèse que le « capital humain » résulte de choix économiques individuels rationnels. À preuve, la vérification de prédictions telles que : le salaire est croissant avec le niveau d’éducation, le rendement de l’éducation opère à taux décroissant, etc. Mais cette vérification (ou non-falsification) de la théorie est une illusion très clairement dénoncée par Mark Blaug : ‘Il serait difficile de trouver un meilleur exemple de différence entre la simple prédiction d’un résultat et l’explication par un mécanisme causal convaincant. Parfois la différence n’est pas très importante, mais à d’autres moments elle est vitale’ (Blaug [1976]) » (Poulain, 2001, p. 95).

nombreux à être représentés dans les études supérieures longues et sélectives. Mais cette manifestation est considérée par la théorie économique comme une « demande sociale », donc supposée indépendante des gains espérés sur le marché du travail. L’individu guidé par le désir de maximiser son gain sur sa vie entière va chercher à préciser la relation entre la formation et cet objectif. Les goûts et préférences individuelles interviennent dans la décision, mais le calcul coûts-avantages sur la base monétaire donne finalement le même résultat pour la théorie : une augmentation des gains, à coûts constants, génère un accroissement de la demande de formation et inversement.

Deuxièmement, la demande individuelle d’éducation est influencée par le passé scolaire de l’individu, dans la mesure où le choix de poursuivre ou non ses études suppose qu’il va estimer une probabilité de succès au diplôme terminal et une probabilité de pouvoir poursuivre le cursus proposé. Le choix n’intervient qu’après la prise en compte de tous ces éléments. De nombreuses études font état de corrélations très fortes entre l’éducation des parents et leur position sociale dans la société, l’éducation et la santé des enfants d’une part (qu’il s’agisse de la scolarisation, de la mortalité infantile ou de mesures anthropométriques) et l’éducation d’un individu et sa santé d’autre part. La difficulté réside dans l’interprétation de ces résultats, qui peuvent simplement refléter l’effet de caractéristiques du ménage non observées, plutôt que celui du « capital humain ». L’analyse des préférences fait intervenir le problème méthodologique opposant généralement l’économie et la sociologie27. Soulignons certains travaux empiriques montrant toutefois que l’impact de l’éducation des parents et leur parcours scolaire représentent bien celui de leur « capital humain ». Strauss et Duncan font référence à quelques études montrant un impact positif de l’éducation des parents sur celle des enfants, dont Lillard et Willis (1994) pour la Malaisie, Deolalikar (1993) pour l’Indonésie et Parish et Willis (1993) pour Taïwan, et concluent : « il existe une forte évidence que les résultats scolaires des enfants,

en particulier le nombre d’années de scolarité et les niveaux de scolarisation, soient corrélés positivement avec l’éducation des parents » (Strauss et Duncan, 1995, p. 1923). Cet aspect du

problème, fondamental pour un débat sur l’équité, est « soigneusement » écarté de la formulation de la demande d’éducation dans la théorie du capital humain.

Troisièmement, l’utilité attribuée à la poursuite d’études par rapport aux perspectives professionnelles est un déterminant de cette demande individuelle d’éducation. En liaison étroite avec le rôle du marché du travail et la valorisation économique du diplôme sur ce marché (Groot and Oosterbeek, 1992), l’obtention d’un titre universitaire peut ne pas être indispensable pour accéder à un emploi, mais en affecter positivement la probabilité de l’obtenir (Vincens, 2000). Une autre dimension importante à ce niveau est de considérer que si le diplôme est une condition nécessaire pour l’obtention d’un emploi, la rémunération de celui-ci peut ne pas permettre de rentabiliser les études en

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Vincens (2000) exprime à cet égard : « pour l’économiste (ou certains d’entre eux), le problème n’est pas de

rechercher des changements de préférences, pas davantage explicables que les préférences éventuellement observées à un moment. La question est toujours de savoir comment ces préférences conduisent à des comportements différents en fonction de l’évolution de variables indépendantes : si la participation des femmes à l’activité économique a augmenté au cours du temps, ce n’est pas parce que leurs préférences ont changé, mais parce que les salaires féminins ont augmenté…Le sociologue aura probablement une opinion différente ».

termes monétaires. Cette situation provoquerait, dans une logique de marché et du calcul économique rationnel, une baisse du nombre de candidats pour un diplômé donné et une hausse relative du salaire de cet emploi. Cette tendance n’est pas toujours observée en raison de préférences non monétaires qui guident vers cet emploi (valorisation sociale, satisfaction intellectuelle, culture générale…).

Quatrièmement, se pose le problème du financement de l’éducation qui, dans la grande majorité des cas, repose sur la contribution des familles ou de l’individu directement. Le problème du coût intègre alors celui fondamental du coût direct (frais de scolarité et frais d’entretien spécifiques liés à la localisation des établissements d’enseignement et généraux liés à la charge supportée par la famille si l’étudiant est toujours dans la maison familiale). L’hypothèse la plus robuste est que la probabilité de poursuivre des études dépend du revenu par tête dans la famille considérée : plus le revenu de la famille est élevé et plus celle-ci est prête à accepter la continuité des études.

Cinquièmement, l’intégration du coût d’opportunité représenté par le salaire ou, de façon plus élargie le gain perdu en préférant poursuivre ses études, est un élément primordial dans la détermination de la demande individuelle d’éducation. Les aides diverses (bourses ou subventions) et les réductions fiscales accordées généralement pour la scolarité post-obligatoire viennent en déduction de ce coût d’opportunité. Mais ce coût d’opportunité n’intègre pas pour Vincens (2000) la désutilité du travail en fonction de l’appartenance sociale : « plus le revenu des parents est élevé et plus il est

probable que le choix de poursuivre des études après la scolarité obligatoire ne prendra pas en compte le gain éventuel d’une entrée immédiate dans la vie active, car l’emploi que pourrait occuper le jeune, marquerait un déclassement social. » Là encore, le « jeu sociétal », pour reprendre

l’expression de Berthelot (1983), est effacé de la théorie du capital humain, ce qui pose d’évidentes interrogations sur un « capital » considéré comme reproductible.

Enfin, intervient dans la détermination de cette demande individuelle d’éducation, un « coût

d’option » associé à la continuité des études (Vincens, 2000). En effet, il intègre le fait que les études

n’aboutissent pas forcément au résultat espéré, et donc que la probabilité d’obtenir le diplôme de fin d’études est faible (tandis que pour le coût d’opportunité, la probabilité est proche de 1). Cette situation ramène l’étudiant à la position initiale avec des possibilités et donc des coûts d’option liés à une réorientation globale (recommencer la totalité du cursus dans une autre filière) ou partielle (bénéficier de l’acquis pour changer de filières). Le coût d’option prend également en compte le retard de carrière du travailleur parce qu’il n’a pas complété la totalité de ses études. Mais l’expérience accumulée durant cette phase d’activité, donc de non poursuite d’études, peut jouer en faveur d’une augmentation de salaire réduisant ainsi le coût d’option. Certains travaux montrent que des études, interrompues ou non finalisées par le diplôme, peuvent aussi accroître le salaire (Vincens, 2000).

En conclusion partielle, la formulation de la demande d’éducation dans la théorie du capital humain se situe au croisement de deux disciplines, économie et sociologie en particulier, mais se concentre fondamentalement sur les flux monétaires associés à l’investissement éducatif. L’analyse de la demande à laquelle nous avons procédé révèle deux choses importantes :

1) la construction économique de la demande d’éducation des jeunes ou de leur famille est associée étroitement au fait que l’accumulation des connaissances et des savoir-faire qui rend plus productifs les individus justifie de meilleures rémunérations, qui à leur tour incitent à investir davantage dans l’éducation. Précisons que le contenu, les conditions d’acquisition et de valorisation de l’éducation sont escamotés dans l’approche « capital humain ». Gazier précise ce réductionnisme : « le

capital humain n’existe que s’il est valorisé sur le marché du travail » (Gazier, 1992, p. 2000). Les

aptitudes productives, constituant le seul contenu du « capital humain », n’ont d’existence que par l’attribution d’une valeur (le salaire) sur un marché du travail.

2) Le rapport du « capital humain » à l’investissement plutôt qu’à la consommation fait de la demande d’éducation un processus de choix financier, en procédant à la comparaison entre l’augmentation de revenu espéré et le coût initialement supporté par la formation.

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