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Le taux de rendement privé de l’éducation

Le rôle de l’éducation dans la théorie du capital humain : revue de littérature et mise à l’épreuve à partir des données cubaines

1.2 La demande d’investissements des ménages en « capital humain »

1.2.2 Le taux de rendement privé de l’éducation

Nous avons vu précédemment que la théorie du capital humain impose un comportement rationnel de recherche de la formation comme une décision d’investissement éducatif, en niant les préférences individuelles qui ne se ramènent pas au seul gain monétaire. Le « capital humain » fait l’objet d’une demande individuelle, il possède un taux de rentabilité et permet d’apprécier une efficacité externe de l’éducation sur les marchés. Le taux de rendement privé est un facteur déterminant de la demande d’éducation : il représente la confrontation entre la somme des gains sur l’ensemble de la vie active et le total des coûts (frais d’inscription, dépenses de fournitures, de transport et de cantine), et ainsi le manque à gagner ou coût d’opportunité. Deux méthodes principales permettent d’évaluer le rendement externe de l’éducation. La première est celle de la fonction de revenus, ou équation de Mincer (1974), dans laquelle les années d’expérience sur le marché du travail et les années de scolarité sont les principaux déterminants des salaires. La seconde, plus classique, est celle du taux de rendement interne privé applicable aux différents niveaux d’éducation. Sur la base de l’analyse de Blaug (1968), la formule généralement utilisée pour le calcul des taux de rendement est spécifiée de la manière suivante :

=

+

+

+ i t j j t

r

C

r

y

)

1

(

)

1

(

Avec t

C

= le coût total (coûts privés directs et indirects).

j t

y

+

= différentiel de revenu obtenu suite à l’investissement éducatif (le supplément de revenu engendré par l’éducation).

r = taux de rendement de l’investissement éducatif. i = nombre d’années d’étude.

j = l’âge légal de la retraite.

Dans la théorie, l’agent rationnel choisit le niveau d’éducation qui égalise le taux de rendement avec le taux d’intérêt. En effet, l’individu peut emprunter au taux r pour l’investissement éducatif tant que le taux de rendement de l’éducation est supérieur au taux d’intérêt des marchés financiers. L’arbitrage s’opère donc entre l’investissement dans un produit financier, dont le taux rémunérateur est r, et l’investissement dans l’éducation. Dans le raisonnement qui précède, des hypothèses « fortes » sont postulées pour évaluer ce taux de rendement privé : 1) les différences de revenus des individus sont supposées imputables directement à leur niveau d’éducation ; 2) l’individu ne se révèle sensible qu’aux effets de l’éducation sur son revenu présent ou futur ; 3) la mesure de la rentabilité de l’investissement est considérée comme une valeur minimale. Si elle est supérieure au taux de référence du marché des actifs financiers, l’investissement éducatif sera alors souhaitable ; enfin, 4) le marché financier est supposé parfait avec un taux d’emprunt (taux d’intérêt universel et constant) égal au taux de placement.

Concernant le dernier point, Gurgand relève qu’ « il existe vraisemblablement une limite au

montant qu’un individu pourrait emprunter pour financer un investissement qui ne produit pas de collatéral susceptible d’être saisi (le capital humain) » (Gurgand, 2005, p. 39). Au-delà de cette

difficulté, le type de calcul pose d’autres préoccupations quant à la fiabilité des données, de la méthodologie mise en œuvre par les auteurs, des hypothèses énoncées et de la relation avec le contexte particulier de valorisation des connaissances sur les marchés du travail. Le degré de fiabilité des données permettant une évaluation correcte de la rentabilité peut être remis en cause en raison d’un très faible nombre d’observations, notamment dans les pays en développement (ex : nombre de diplômés par cycle d’enseignement et par sexe). De même, la non complétude des recensements (ex : transferts de sécurité sociale ou bénéfices de la collectivité) est susceptible de changer la structure incitative de l’investissement dans le « capital humain » (Vandenberghe et Ries, 2000). En réalité, la méthodologie utilisée pose l’épineux problème de faire dépendre le revenu futur issu de l’accroissement de la productivité individuelle sur la seule et unique variable qu’est l’éducation. L’étude de Vinokur (1987) a dévoilé les principales faiblesses du calcul des rendements privés de l’éducation. Le problème central, souligne-t-elle, a trait à l’évaluation des rendements privés fondés uniquement sur les seuls revenus des salariés du secteur moderne, or ce secteur est considéré comme privilégié (en termes d’accès et de rémunération) dans de nombreux pays. Le choix « simpliste » qui est proposé à l’individu entre investir dans l’éducation et épargner ne correspondrait pas réellement aux conditions de vie, où il s’exerce davantage une pression entre choisir de s’éduquer ou de travailler (ibid., p. 927). L’hypothèse qui est postulée sur les marchés du travail (concurrence parfaite) élimine la possibilité dite de « segmentation » pour l’anticipation des salaires (ibid., p. 929). Enfin, l’auteur

souligne l’irrationalité économique de ce calcul, en objectant les limites d’une théorie des choix que l’on pousserait à la généralisation.

La circularité du raisonnement théorique entre formation et salaire, même pris en sens inverse est totale, et apparaît insurmontable, comme le précise Poulain :

« Pour avoir une théorie vraiment explicative, il faudrait mesurer la productivité du capital humain en dehors de toute référence aux salaires, par ses effets sur la production et non sur les revenus, en mesurant des productivités marginales individuelles. Or, et c’est là le talon d’Achille de cette théorie, il est totalement impossible d’isoler empiriquement le produit marginal du capital humain individuel sinon en faisant référence aux salaires. La seule explication du caractère productif du capital humain, de l’existence effective de différences de productivité entre des capitaux humains individualisés, ce sont les différences de salaires » (Poulain, 2001, p. 93).

La démarche méthodologique ne distingue pas non plus l’effet de l’éducation de celui issu de l’expérience acquise sur le marché du travail. Nous pensons précisément aux formations dites informelles pouvant être reçues au contact des autres, des supérieurs, par learning by experience ou encore par learning by watching, lesquelles sont indissociables de l’activité productive du salarié. Il serait plus raisonnable d’admettre que l’éducation agirait comme un potentiel de productivité. Barron et Kreps (1999) soutiennent que la formation a environ dix fois plus d’impact sur la productivité que sur le salaire. Même la transposition simple qui est proposée, en se référant aux profils de revenus obtenus par des diplômés plus anciens, est largement contestable dans des conditions économiques et sociales généralement instables. Les « coupes transversales », qui consistent à relever, à une date donnée, les salaires d’une certaine catégorie de diplômés à différents âges, peuvent affiner l’analyse, mais des imprécisions demeurent. Des biais importants (chômage, productivité…) s’introduisent dans les calculs de taux de rendement, bien que ceux-ci se limitent à évaluer des différentiels et non des valeurs absolues de salaires. Afin d’affiner le calcul des taux de rendement, la méthodologie consiste à suivre la carrière d’une cohorte de travailleurs sur une période de temps pour mieux détecter la variation de revenu. Si toutes les informations sont collectées et que le suivi des candidats est réalisable, on parvient alors à estimer les effets de l’âge ou de l’expérience sur les gains (profils âge- gains), et à se protéger des variations de l’inflation.

Pour revenir sur les limites théoriques du calcul, les hypothèses sont très discutables en règle général dans l’économie, et le sont davantage lorsqu’elles intègrent un « capital » aussi complexe que l’éducation (concurrence pure et parfaite des marchés, égalité de la rémunération et de la productivité marginale en l’absence d’effets externes…). Il convient d’insister sur le fait que le questionnement sur ces hypothèses est indispensable car elles constituent le noyau dur de la théorie du capital humain sur lesquelles viennent se greffer des « hypothèses périphériques » toutes aussi contestables que celles relatives aux indicateurs retenus (éducation, expérience…). Enfin, il faut mentionner que la rentabilité de l’éducation ne peut être dissociée du contexte économique de valorisation du « capital humain ». L’investissement éducatif apparaît moins rentable lorsque l’économie a atteint un degré avancé de développement de son économie, mais il l’est aussi lorsque les capacités de production ne progressent pas au même rythme que la croissance du « capital humain ».

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