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La fonction de rémunération du « capital humain » : méthodologie et résultats

COMPORTEMENTS ET RESULTATS

2.1 La fonction de gains de Mincer

2.1.1 La fonction de rémunération du « capital humain » : méthodologie et résultats

L’objet de ce paragraphe est de s’interroger sur la capacité des fonctions de gains à saisir efficacement la relation la plus soutenue dans la théorie microéconomique du « capital humain », à savoir la relation éducation - salaire. Trois problèmes se posent. Comment justifier cette liaison ? Comment l’évaluer rigoureusement et quelles sont ses propres limites à partir de l’interprétation de la fonction de gain ?

L’estimation du rendement privé de l’éducation se fait généralement par la fonction de rémunération du « capital humain » due à Mincer (1974). Cette fonction repose sur un « capital

humain » uniforme ou homogène. La rémunération d’une unité de « capital humain » acquise par

chaque salarié en formation initiale, comme en formation post-scolaire, est unique. Les entreprises sont indifférentes à la façon de se procurer la quantité de « capital humain » qu’elles souhaitent : la substituabilité du travail est parfaite et la fonction de demande pour chaque niveau de « capital

humain » est horizontale (Griliches, 1977). L’hypothèse théorique centrale est la suivante : les

individus choisissent d’investir dans le but de maximiser la valeur actuelle de leurs gains sur le cycle de vie. Le modèle d’accumulation de « capital humain » de Becker (1967) avec l’hypothèse d’un

« capital humain » homogène rend compte de la dispersion des salaires entre individus à l’aide de

choix différents en matière d’éducation. Les choix individuels sont justifiés par des écarts dans les capacités individuelles et les accès inégaux aux sources de financement. À partir du moment où l’on peut disposer des informations sur les gains d’un individu pour le niveau d’éducation qu’il a choisi, les rendements s’évaluent à partir des salaires des différents individus qui ont des scolarités différentes. La scolarité, assimilée à un investissement en « capital humain », génère des compétences cognitives

« cognitive skills » améliorant la productivité du travail et rémunérées en tant que telles. Cette

hypothèse repose sur un fonctionnement normal des marchés, où les entreprises rémunèrent davantage les individus si leur travail génère plus de profit. L’aboutissement de ce mécanisme reviendrait à sélectionner les individus les plus productifs. Cette croissance de la productivité justifierait à son tour une rémunération supérieure, dans la mesure où le revenu est lié à la productivité du travailleur. Dérivée et formulée pour servir la théorie du capital humain, la fonction de rémunération ou équation de Mincer (1974) permet d’estimer le rendement privé de l’éducation de la manière suivante :

e

EP

d

cEP

bCH

a

y)=

+

+

+

(

)

2

+

log(

Avec :

y : rémunération du travail de l’individu (revenu annuel du travail ou salaire horaire ou mensuel) CH : nombre d’années d’éducation ou « Capital Humain »

EP : nombre d’années d’expérience professionnelle e : résidu statistique

Le paramètre le plus important à estimer est b (taux de rendement marginal privé), qui représente, en pourcentage, l’augmentation du salaire liée à une année d’éducation supplémentaire, compte tenu de l’expérience professionnelle. La signification du coefficient b n’est valide que si la somme du coût direct de l’éducation et du coût d’opportunité d’une année d’éducation est égale à une année du salaire que l’individu aurait obtenu, en travaillant une année à temps plein s’il n’était pas scolarisé (Chiswick, 1998)55. Dans le cas contraire, le coefficient b ne représente qu’un bénéfice brut de la scolarité. Le rendement privé de l’éducation dépend essentiellement des coûts de formation. Ainsi, le coût de formation dans l’enseignement primaire est généralement faible et le coût d’opportunité associé à ce niveau scolaire est très faible voire nul, ce qui fait de l’éducation primaire un investissement évidemment rentable (Bennell, 1996).

La fonction de rémunération mincérienne, tout comme la méthode « classique » non mincérienne d’évaluation des taux de rendement privé et social de l’éducation, s’avère être un moyen précieux pour guider les politiques publiques d’éducation, notamment sous l’influence de la Banque mondiale (Bennell, 1996). La principale étude empirique menée à partir de cette fonction est celle de Psacharopoulos et Patrinos (2002), après une compilation de premiers résultats obtenus en 1973, 1981, 1985 et 1994.

En général, il est démontré que l’accroissement des revenus individuels associé à une année de scolarité supplémentaire est environ de 10% avec de fortes disparités entre les régions du monde. En comparaison avec les résultats obtenus par la méthode dite « classique » ou « Full Method », les rendements privés obtenus par la fonction de Mincer n’introduisent pas de décalage manifeste sur les ordres de grandeur moyenne des rendements, et confirment les éléments suivants : l’effet de l’éducation est plus élevé pour les catégories de population les plus pauvres et dont le niveau d’éducation est plus faible. Le rendement privé de l’ensemble de la scolarité primaire est supérieur à celui du secondaire ou des études supérieures, ce qui confirme l’idée générale selon laquelle les politiques d’éducation qui favorisent l’éducation primaire sont particulièrement efficaces.

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Le modèle suppose que les coûts d’une année supplémentaire d’éducation sont uniquement composés des coûts d’opportunité. Il y donc totale abstraction des coûts directs à la charge de l’individu (frais d’inscription, uniformes, transports scolaires).

Tableau I.3 – Taux de rendement privé selon la moyenne régionale (à partir de la fonction de

gains de Mincer-Becker-Chiswick)

Revenu par habitant (US$)

Nombre d’années

d’étude Coefficient b

Asie 5 182 8,4 9,9

Europe / Afrique du

Nord / Moyen Orient 6 299 8,8 7,1

Caraïbes / Amérique latine 3 125 8,2 12,0 OCDE 24 582 9,0 7,5 Afrique sub- saharienne 974 7,3 11,7 Monde 9 160 8,3 9,7

Source : Psacharopoulos et Patrinos (2002).

Tout comme la méthode complète des rendements éducatifs, la fonction de gains de Mincer reste, à notre connaissance, « acceptable », comme démarche opérationnelle à partir de laquelle on peut analyser des rendements éducatifs sur données longitudinales. Toutefois, les résultats obtenus des méthodes économétriques pour guider les politiques publiques d’éducation ont fait l’objet d’un nombre important de critiques, portant sur le modèle de « capital humain » sur lesquelles nous avons déjà discuté (Bennell, 1996 ; Vinokur, 1987).

Mais nous souhaitons surtout insister ici sur d’autres éléments spécifiques, démontrant les faibles capacités du modèle de Mincer à traiter la relation éducation/salaire dans toute sa diversité et au-delà du contexte particulier56 dans lequel cette relation s’est développée initialement :

1) la variable « capital humain » mesuré à partir d’un proxy, le nombre d’années d’études, est un faible indicateur de la qualité de la formation reçue, puisque tous les élèves de toutes les classes ne reçoivent pas de façon homogène les mêmes connaissances. Ces années d’éducation n’ont pas le même poids selon qu’elles se finalisent ou non par un diplôme (primaire, secondaire ou supérieur), et n’ont donc pas toutes la même influence sur les gains. L’équation mincerienne implique que le « capital humain » d’un individu se résume au temps qu’il a passé dans le système éducatif. Il est fortement probable que des niveaux de scolarité différents peuvent être

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Il convient de rappeler ici, comme l’on fait les auteurs Heckman, Lochner et Todd (2003), que les hypothèses de base qui ont servi à formuler cette équation des salaires ont été émises dans un environnement particulier, celui des hommes blancs issus du recensement américain en 1960 (Mincer, 1958) avec : 1) des courbes identifiant les revenus en fonction de l’expérience parallèles les unes aux autres ; 2) des courbes divergentes identifiant les revenus dépendants de l’âge pour des niveaux d’éducation différents ; 3) la variance des revenus en fonction de l’âge décrivant une courbe en U. Ce schéma est donc relativement différent de celui observé dans les autres pays où les dernières études ont été menées.

intégrés au même nombre d’années d’éducation en fonction des filières et des écoles distinctes. L’appréciation du « capital humain » est donc une mesure trop restrictive, sans compter les années expériences qui valorisent effectivement le « capital humain » initial. Des tentatives d’amélioration visent justement à affiner la qualité de ce proxy. Jarousse et Mingat (1986) proposent de supprimer des années d’éducation intégrées au « capital humain » celles qui ont été redoublées et celles qui n’ont pas été certifiées par un diplôme. Heckman et Polachek (1974) ont mis en évidence l’existence d’un effet-diplôme, selon lequel les années de scolarité ne débouchant pas sur l’obtention d’un diplôme, engendraient un rendement plus faible que les autres. Goux et Maurin (1994) formulent une distinction très nette entre les années

« redoublées », les années « certifiées » et les années « non certifiées ». Cette démarche tend à

souligner l’importance du diplôme, puisque les auteurs mettent en évidence une stratification des salaires très proche de celle qui correspond au nombre d’années nécessaires pour l’obtention du diplôme. Les travaux révèlent surtout l’intérêt crucial de tenir compte de la qualité de l’itinéraire scolaire pour évaluer la rentabilité de l’éducation.

2) l’unicité du « capital humain » qui est présentée au travers de cette méthode entre en contradiction avec l’idée fondatrice de Becker (1967) qui spécifie que les préférences des individus sont hétérogènes et les choix de scolarisation diffèrent entre chaque individu57. Ainsi, le rendement marginal privé de l’éducation ne peut refléter dans ce calcul qu’une moyenne très vague de ses effets totalement inégaux de l’éducation. Pour expliquer les différentiels de salaire à partir des investissements éducatifs, Willis (1986) suppose raisonnablement un « capital

humain » hétérogène, où chaque profession nécessite un ensemble particulier d’actifs éducatifs

qu’un travailleur peut acquérir selon une durée appropriée d’éducation. La fonction de gains mincérienne ne serait plus alors qu’un cas particulier du modèle de « capital humain » hétérogène (Hanchane et Moullet, 2001).

3) l’hypothèse que les rendements de l’éducation restent fixes dans le temps est difficilement recevable. Comme le « capital humain » est variable selon chaque individu ou chaque groupe social, les rendements de l’éducation apparaissent également variables dans le temps au sein d’un même pays, entre régions, entre groupes sociaux (Lemieux et Card, 2001). La difficulté à faire ressortir empiriquement le lien entre le nombre d’années d’éducation et les revenus individuels à partir de l’équation mincerienne proviendrait également de la non-linéarité des rendements. Les dernières années sont supposées offrir de meilleurs rendements puisqu’elles signifient la fin d’un cycle scolaire ou l’obtention d’un diplôme (Jeager et Page, 1996). D’autres données montrent que la non-linéarité des rendements scolaires peut ne pas venir des années qui marquent la fin de la scolarité (Patrinos, 1996).

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La distinction faite par Becker entre « capital humain » général ou spécifique, ou bien entre différents niveaux possibles de « capital humain », ne remet pas en cause l’idée d’homogénéité. À l’intérieur de chacune de ces catégories, le « bien éducation » est homogène. Il n’y a pas de différence de qualité au sens où nous l’entendons.

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