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Enchaînement causal de la théorie du capital humain

Mais il apparaît nécessaire de considérer d’autres effets de l’éducation sur les revenus individuels que celui du « capital humain ». Les théories remettent en cause cette relation, expliquant les différences salariales à partir des stocks de « capital humain ». De son côté, Arrow expose la théorie de « screening » ou théorie du « filtre », et met en évidence que les propositions théoriques du

« capital humain » et du filtre ne sont pas contradictoires. De l’autre, Spence, à partir des « signaux éducatifs », remet en cause le modèle théorique dominant, en démontrant que l’impact direct de

l’école sur la productivité repose directement sur l’information indirecte que les employeurs perçoivent sur la capacité productive d’un individu. L’inconvénient est que tous ces modèles n’expliquent qu’une part limitée de la variance des salaires et des niveaux de productivité. Les théoriciens de la conception alternative ne parviennent pas à « extirper » la production de « capital

humain » du milieu de l’entreprise pour se révéler et se valoriser. Ils ne parviennent donc pas à saisir

des dimensions « hors marché » de la valorisation de l’éducation. C’est en soi le problème fondamental de l’éducation considérée comme « capital humain ».

2.2.1 La théorie du « filtrage par l’éducation » – Arrow (1973)

Dans le modèle d’Arrow (1973), les entreprises ne connaissent pas la productivité des personnes qu’elles souhaitent employer, et jugent donc celles-ci à partir de leur niveau d’éducation (diplômes). L’auteur estime que le système éducatif représenterait uniquement un dispositif de sélection permettant de trier selon les capacités productives différentes des individus. Arrow considère en effet que l’éducation représente un moyen de révéler le niveau d’aptitude (et de motivation) de l’individu. Ces aptitudes (de type scolaire) sont fortement corrélées avec la capacité productive. L’éducation n’a alors aucun effet direct mesurable sur la productivité, mais indique que l’individu peut être plus efficace dans son emploi. L’éducation n’ajoute pas de valeur à l’individu, mais fournit un « filtre » (educational sorting) pour la sélection des individus potentiellement plus productifs dans le futur. Le modèle du « filtre » cherche donc à optimiser le processus d’appariement de la main-d’œuvre aux marchés du travail. La similarité avec quelques années d’avance sur les théories du salaire d’efficience depuis les années 1980 est ainsi remarquable : le raisonnement consiste à considérer que le produit du travail n’existe pas au moment de la signature du contrat de travail entre l’employeur et le salarié, ce qui détermine une forte incertitude de l’employeur au sujet de la productivité réelle de son futur travailleur, d’où la nécessité de faire confiance à des informations concrètes comme un diplôme. Pour étayer concrètement son analyse, Arrow formule pour les universités un système de filtre optimal, excluant ainsi tout excès de diplômés par rapport au nombre de postes à pourvoir. Il soutient ainsi le maintien d’une pénurie relative de diplômés à partir de l’ « hypothèse-clé de filtrage positif ». Le

« filtrage » sert donc à produire le plus riche et productif « capital humain » à partir de l’enseignement

sensibilité très forte de sélectionner ou de contingenter le « capital humain » selon des objectifs répondant moins à l’équité qu’à l’efficacité. En soi, la théorie du « filtre » ne remet pas en cause le fondement théorique du « capital humain » pour analyser la demande d’éducation. Comme le précise Gamel : « L’intérêt de la version élémentaire du modèle est alors de montrer que personne (y compris

ceux qui ont le plus de chances d’être diplômés) n’a intérêt à entrer à l’université et chacun devrait souhaiter sa suppression, dès lors que l’accès aux études supérieures est possible pour tous ceux qui veulent y accéder » (Gamel, 2000, p. 48).

2.2.2 La théorie du « signalement » – Spence (1973)

L’hypothèse de « signalement » (educational signaling) chez Spence (1973) met davantage l’accent sur le futur employé, qui a le choix d’acquérir un certain niveau d’éducation en fonction des informations ou des « signaux » émis par les marchés et les employeurs. Dans les modèles dits de

« signalement », les rendements sociaux et privés n’ont aucune raison de coïncider, et les seconds sont

généralement supérieurs aux premiers. Certes, le processus de « signalement » permet d’apparier correctement les individus et les postes de travail (Stiglitz, 1975), mais les tests empiriques de ces modèles n’ont pas donné de résultats fructueux, car il est difficile de distinguer le signal lui-même des enseignements reçus (Altonji et Dunn, 1996). Le travail de Lang (1994) est fort enrichissant pour la compréhension du phénomène de signalement pur. Pour l’auteur, le signal révèle à l’employeur le talent non généré par l’éducation des individus. Si l’on parvenait à maîtriser cet effet de talent dans les équations de salaire, l’estimation du rendement privé hors signalement de l’éducation serait celle du rendement social. Mais il est empiriquement délicat de corriger le biais lié au talent non-observé. Un certain nombre de travaux empiriques ont été entrepris pour tester ces modèles. On citera les travaux de Jarousse et Mingat (1986), qui démontrent que la part de la variance des gains individuels liés à l’éducation n’est que de 18% en relation aux années d’études effectives, mais de 35% pour les années d’études « théoriques normalisées » (années d’études normalement nécessaires pour obtenir le diplôme concerné). L’employeur s’appuierait sur une valeur moyenne de productivité supposée et non sur les caractéristiques propres de l’individu (circuit scolaire réel de l’individu comprenant les redoublements et les abandons). Spence souligne cet aspect, il est très difficile de déterminer ou séparer la valeur productive de la valeur de signalement de l’éducation. L’employeur disposerait d’une information imparfaite émise par le système éducatif, et proposerait donc des salaires en rapport. Les étudiants et futurs salariés agiront, à leur tour, de manière adaptative en décidant d’investir plus ou moins en l’éducation (en fonction de choix du recrutement, de la rémunération proposée et des coûts liés à la poursuite des études). De même, Taubman et Wales (1973) articulent leur développement sur la lignée d’Arrow, et montrent que le salaire est principalement lié aux aptitudes effectives des étudiants futurs salariés et non associé à leur qualification. Le diplôme représente alors la « carte de

visite » nécessaire pour accéder aux salaires élevés. Dans une version plus offensive, la théorie du « signal » suppose, contrairement à la théorie du capital humain, que la transition des individus par le

système scolaire ne donne « rien de nouveau » pour l’individu (Whitehead, 1981). Elle représente donc une forme de régression par rapport à la théorie dominante du capital humain, sans pour autant remettre en cause le fait que les marchés (les employeurs) incitent, à partir justement des rendements privés de l’éducation, à produire les « signaux » pouvant être les mieux sélectionnés. C’est donc ici une complémentarité évidente entre la théorie du capital humain et celle du « signal », comme le démontre Blaug (1994).

Signalons que la théorie du capital humain et les conceptions alternatives ou complémentaires du « tri par l’éducation » se fondent principalement sur une causalité invariable qui va de l’éducation vers le salaire, en transitant par le biais de la productivité.

Or, il est fortement probable que la relation entre productivité et salaire soit inversée.

Schéma I.2 - Relation inversée entre productivité et salaire

Cette objection est rappelée par Alchian et Demsetz : « nous conjecturons que la direction de la

causalité est inversée : le système spécifique de rémunération que l’on utilise stimule une réponse productive particulière » (Alchian et Demsetz, 1972, p. 778). La théorie du salaire d’efficience veut

expliquer les motivations qui poussent les entreprises à assumer la responsabilité de la distribution des salaires, à la place de la coordination par le marché. Un salaire relativement plus élevé, motive les travailleurs pour fournir plus d’effort et donc de productivité. Différents modèles du salaire d’efficience selon le champ disciplinaire expliquent en quoi la productivité du travail dépend du salaire réel payé par l’entreprise (cf. schéma I.3). La version d’Akerlof (1982) retient particulièrement notre attention : l’argument central suppose que l’efficacité du travailleur dépende en grande partie du sentiment de justice de la part des travailleurs. Certes, comme le précisent Fericelli et Khan (2000), la théorie se limite au pouvoir incitatif du salaire. Mais elle permet, à notre avis, de révéler qu’il existe dans le salaire, des composantes ou des variables liées à la théorie du salaire d’efficience qui peuvent représenter un différentiel du poids explicatif des variables du « capital humain » dans la détermination du salaire.

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