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L’effet de l’éducation sur les revenus dans une structure productive en modernisation : des résultats non convaincants

Relation croissante entre le salaire et la productivité

2.2.3 L’effet de l’éducation sur les revenus dans une structure productive en modernisation : des résultats non convaincants

La théorie du capital humain emploie l’éducation comme une variable dépendante dans un système en équilibre, où le comportement de l’individu n’intervient pas directement. C’est-à-dire, la formation, mesurée principalement à partir du nombre moyen d’années d’études, joue un rôle clé dans une structure productive considérée comme donnée et permet de générer des revenus, même si cette mesure simple du « capital humain » n’est pas la meilleure approche pour juger de l’efficacité externe de l’éducation. Des travaux intéressants, mais néanmoins incomplets, mettent l’accent sur les conditions de transformation de l’environnement économique, conditions qui pourraient amplifier l’impact de l’éducation sur l’efficacité productive dans les milieux agricoles, et donc rendre plus palpable la relation entre l’éducation et les revenus de l’activité indépendante. Cet impact serait notamment plus significatif lorsque l’activité agricole est exercée dans un environnement en cours de modernisation (Phillips, 1994). Les travaux de Welch (1970) et Schultz (1975) approfondissent la notion de « potentialités productives » à partir de l’éducation. On retrouve donc l’idée selon laquelle, pour dépasser la « staticité » des modèles walrasien, il convient de modéliser l’économie dans un environnement soumis à des déséquilibres, où seraient davantage révélés les comportements des individus pour s’adapter et participer à la production. La capacité d’adaptation aux déséquilibres pourrait dépendre du « capital humain » (Schultz, 1975). Welch (1970) estime que lorsque l’efficacité des comportements n’est pas totale, l’éducation est un moyen d’allouer efficacement les ressources des individus – c’est l’ « effet d’allocation ». À la différence, l’ « effet technique » correspond au fait qu’un individu plus éduqué peut utiliser de manière plus efficace l’ensemble des facteurs en quantités données, et cela indépendamment de l’environnement économique. La distinction doit aider à expliquer les différences entre les estimations fondées sur les revenus (dépendantes des décisions économiques) et les estimations des fonctions de production (ne mesurant que des relations de technicité). Schultz considère quant à lui que l’évolution rapide de l’environnement économique peut détériorer les conditions d’allocation optimale des ressources. Cette transformation du contexte économique ne peut en revanche affecter cette allocation pour l’agriculture traditionnelle. Le rendement de l’éducation est alors élevé dans les contextes de déséquilibre et faible dans un environnement stable. Ainsi, il apparaît que l’éducation a un impact décisif quand l’agriculture est en phase de modernisation. Une revue de littérature ciblée (Lockheed, Jamison et Lau, 1980), largement reprise par la Banque mondiale, a accrédité l’idée que l’éducation a un fort effet sur l’efficacité productive des agriculteurs : sur la base de la valeur moyenne des estimations (pondérées par leur significativité statistique), il apparaît que la production augmente de 7 à 8 % quand un agriculteur a suivi quatre années d’école.

Le contexte de déséquilibre de l’économie est déterminant pour définir clairement l’impact de l’éducation sur l’efficacité productive. Le niveau d’instruction des agriculteurs permet d’utiliser

progressivement toutes les potentialités dont ils disposent (et principalement d’effectuer une sélection optimale des technologies), afin d’accroître la production. Le niveau de modernisation de l’agriculture ainsi que la rapidité avec laquelle évolue le contexte économique sont des déterminants importants des rendements obtenus de l’éducation. La capacité des individus à s’adapter aux déséquilibres, où l’éducation pourrait déterminer des comportements proactifs ou d’anticipation, aurait une influence sur les revenus individuels, comme le soulignent également Bowles, Gintis et Osborne (2001).

Pourtant, les effets observés sont très disparates selon la région géographique avec des résultats particulièrement positifs sur la production physique des paysans pour les pays d’Asie (Corée du Sud, Thaïlande, Malaisie). Quelques travaux limités attestent du contraire. Les études économétriques de Gurgand (1993) sur la Côte-d’Ivoire indiquent que l’éducation ne favorise pas l’efficacité productive des agriculteurs. Si l’on prend en compte d’autres secteurs d’activité avec des niveaux d’éducation plus élevés, les recherches aboutissent à des résultats aussi ambigus que ceux de l’agriculture.

Globalement, l’éducation a un effet faible et en tout état de cause instable et incertain sur la productivité ou le revenu des indépendants, en particulier dans l’agriculture. Et ces résultats ne semblent pas être plus convaincants dans les autres secteurs d’activités. Berg (1970) a réalisé des travaux sur l’industrie et les services dans les pays industrialisés et n’a pu mettre en évidence une relation significative entre éducation et productivité pour des activités exigeantes en termes de qualifications. Horowitz et Sherman (1980) qui ont étudié les performances des techniciens de chantiers navals aux États-Unis concluent à une influence positive de l’éducation sur la productivité. Mais ces résultats ont été critiqués en raison d’une étude statistique sur des moyennes de groupe et non sur des performances individuelles (Maranto et Rodgers 1984). Les études font finalement état de difficultés à fournir une liaison significative entre l’éducation et la productivité individuelle. Ces problèmes proviennent, à partir des observations aux États-Unis, et selon Rumerger (1987), d’une

« surqualification » des travailleurs face aux compétences exigées pour les postes. Il estime qu’un

ajustement ou une correction des qualifications offertes sur le marché permettrait de montrer une liaison significative entre éducation et productivité.

Malgré tous les approfondissements possibles dans les contextes économiques en transformation, les rapprochements entre les secteurs agricoles et les secteurs salariaux ne sont pas directement comparables. Les conclusions de ces recherches ne sont donc pas généralisables. L’imparfaite qualité des données est une piste prioritaire pour la justification de ces résultats contre- intuitifs. Il apparaît aujourd’hui que la principale priorité de la recherche sur les rendements privés de l’éducation ne doit pas se baser sur des suppléments d’estimation à partir de méthodes perfectibles, mais de réaliser des évaluations adaptées aux contextes des pays ou des économies locales, afin de cerner précisément le véritable effet causal de l’éducation sur le revenu du travail.

Section 3 – « Capital humain » et croissance : le constat macroéconomique

À l’analyse microéconomique des effets de l’éducation sur les revenus individuels est associée une analyse macroéconomique des effets de l’éducation sur le revenu agrégé, et en particulier sur la croissance du revenu par tête. Dans cette section, on va analyser si les modèles néo-classiques supportent le fait que l’éducation joue un rôle primordial dans la croissance.

L’une des principales caractéristiques des « nouvelles » théories de la croissance développées ces dernières années a été l’élargissement du concept de capital utilisé. Alors que les modèles traditionnels néo-classiques se focalisaient presque exclusivement sur l’accumulation du capital physique (équipements et structures), les contributions les plus récentes - notamment fondée sur la

« croissance endogène » - ont attribué une importance croissante à l’accumulation du « capital humain » et de connaissances « productives », ainsi que l’interaction entre « capital humain » et

capital physique.

Les différents modèles théoriques relatifs au « capital humain » et à la croissance sont élaborés autour des hypothèses néo-classiques « qu’il faut s’avoir repérer dans la continuité de Solow (1956),

plutôt qu’en rupture avec lui » (Herrera, 2000). Le problème central est donc que ces « nouveaux modèles » de croissance enrichie du « capital humain » puisent leur développement sur des

fondements microéconomiques, dont nous avons soulignés leur relative incohérence dans la section 2. Le point névralgique sur lequel nous insisterons dans cette section est l’inaptitude des modèles à saisir

« la dimension collective de l’accumulation du capital humain et de la nature fondamentalement sociale de cette activité » (Herrera, 2000).

Le « renouveau néo-classique » qui s’est attaché à mesurer empiriquement l’impact du « capital

humain », en se fondant sur une version étendue du modèle néo-classique de « croissance exogène »

de Solow (1956), aboutit à des résultats contradictoires et contre-intuitifs avec des problèmes de données et de méthodes d’estimation. Malgré un consensus sur le fait que le « capital humain » puisse avoir un impact positif sur la croissance, l’apport des travaux tentant de l’apprécier paraît très limité, essentiellement par le manque de données, la qualité des sources statistiques et la méthode faillible de

« comptabilité des savoirs acquis » dans la population. L’absence de prise en compte précis de

l’environnement (institutionnel, culturel, socio-économique), dans lequel se valorise un certain type de

« capital humain », semble être une faille majeure à notre avis. La question des externalités, qui

seraient massives, serait au cœur du problème, mais l’impossibilité de quantifier précisément leur contenu empêche de déterminer les canaux par lesquels l’éducation affecterait indirectement la croissance.

Notre démarche consistera finalement à présenter, malgré les problèmes conceptuels et méthodologiques, les résultats connus du « capital humain » cubain dans les modèles théoriques de croissance. Ce pays connaît depuis 1959 une profonde restructuration de la formation sociale favorisée par une production éducative massive et de qualité. L’ « effet » de la qualification de la main-d’œuvre semble donc, a priori, jouer un rôle prépondérant dans le processus de croissance. La reconstruction

de bases de données de « capital humain » cubain nous a amené à revoir en profondeur les sources de données statistiques relatives à l’éducation, et à discuter de l’incapacité méthodologique néo-classique à appréhender dans le « capital humain » des dimensions non quantitatives. Les indicateurs retenus pour l’évaluation restent marqués par un empirisme valorisant trop souvent le quantitatif au détriment du qualitatif. Ne tenant pas compte de ces insuffisances, les rares analyses empiriques du « capital

humain » cubain dans la croissance, de nature comptable ou économétrique, révèleraient une « sous- utilisation » du stock de connaissances dans l’économie. Mais l’idée de « sous-utilisation » du point

de vue économique est conclue, à notre avis, trop rapidement, sur des formalisations néo-classiques inadaptées et non fondées conceptuellement, aux dépens de la méconnaissance de la profondeur et de l’originalité de l’éducation multidimensionnelle et multifonctionnelle cubaine, dont la scolarisation comptabilisée dans le « capital humain » n’est qu’une « composante » de mesure imparfaite. Hugon souligne à cet égard : « La quantification, la comptabilité, et la mesure ne peuvent être dissociées du

contexte socio-historique et des objets étudiés enchâssés dans des rapports sociaux divers et évolutifs et des institutions plurielles » (Hugon, 2005). L’élément essentiel de l’empirie, essentiel selon nous,

pourrait nous amener à remettre en cause la relation de causalité généralement retenue dans l’analyse néo-classique, celle de l’éducation vers la production, qui s’avèrerait contre-intuitive à Cuba. En effet, cette relation s’exprimerait davantage dans le sens inverse, de la production vers l’éducation, comme la conséquence cohérente d’une politique axée sur le développement de la « formation humaine », et non réellement du « capital humain ».

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