• Aucun résultat trouvé

Le christianisme arrive dans un contexte de polythéisme. En effet, l’Afrique sous domination romaine a fait l’expérience d’autres religions venues d’ailleurs. Les antiques divinités africaines, orientales, égyptiennes, grecques et romaines61 étaient présentes dans l’Empire et ses colonies, et elles

recevaient des cultes de la part des citoyens. C’est dans cet environnement multi-cultuel et culturel, que les chrétiens cherchent à se construire une identité. Le syncrétisme cultuel était un des défis que les adeptes de la nouvelle religion monothéiste devaient relever. Les premiers écrivains chrétiens témoignent de cette quête d’identité nouvelle ou de rupture radicale avec les religions païennes. Cette attitude de démarcation crée des conflits et une violence contre les adhérents au christianisme. Les persécutions sont une des manifestations les plus violentes de cette haine contre les chrétiens. L’expansion du christianisme en Afrique du Nord s’est faite assez tôt. Il nous suffit de rappeler ici la passion des premiers martyrs d’Afrique du Nord, telle qu’elle est transmise par les Actes des martyrs scillitains. C’est le plus ancien récit de martyre que nous a légué la littérature chrétienne de langue latine, sur les douze martyrs de Scillium, en Afrique proconsulaire (Carthage)62. Les

premiers manuscrits chrétiens de langue latine, hormis les textes sacrés, sont les Actes des martyrs de Scillium. C’est un document anonyme qui témoigne avec sobriété et émotion de l’audace de chrétiens condamnés devant leurs juges et dont la mort fut scellée le 17 juillet 180 à Carthage. Nous retrouvons les traces de ces martyrs scillitains, au cours de sermons d’Augustin, dans la

basilica Novarum. En effet, lors d’une de ses prédications sur l’image de

l’Église comme la femme forte, la mère des martyrs (mater martyrum), Augustin mentionne la lecture des Actes des martyrs, dans l’assemblée chrétienne. Il affirme, dans le Sermon 37, 1 que « dans la lecture de la passion des martyrs, nous avons entendu des noms de femmes » (in recitatione

61 Pour une découverte des divinités à Rome, l’ouvrage de Robert Turcan, Rome et ses dieux,

Paris, Hachette Littératures, 1998. Caroline Février, « Supplicare deis. La supplication expiatoire à Rome », in Recherches sur les rhétoriques religieuses, collection dirigée par Freyburger G. et Pernot L., Turnhout, Brepols, 2009.

29

passionis martyrum audiuimus feminas). En outre, la passion des saintes

Perpétue et Félicité exécutées dans l’amphithéâtre de Carthage en 203, fait émerger un genre littéraire nouveau, celui des Passions présentées sous une forme élaborée et romanesque, dont la finalité est d’offrir des modèles de vertus chrétiennes sous forme d’enseignement.

Tertullien, l’un des témoins littéraires des débuts de la persécution contre les chrétiens, s’adresse aux autorités de l’Empire et à la population païenne, dans son Apologétique datée de 197-198 :

Nous sommes d’hier, et déjà nous remplissons les îles, les postes fortifiés, les municipes, les bourgades, les camps eux-mêmes, les tribus, les décuries, le palais, le sénat, le forum ; nous ne vous avons laissé que les temples63.

Une quinzaine d’années plus tard, en période de persécution, Tertullien écrivait au proconsul Scapula :

Que feras-tu de tant de milliers d’hommes, de tant de milliers de femmes, de tout âge, de toute condition, qui présenteront leurs bras à tes chaînes ? Combien de bûchers, combien de glaives il te faudra !64.

Les mentions statistiques du nombre des chrétiens chez Tertullien sont évidemment difficiles à vérifier. Elles peuvent être versées dans la rhétorique de l’amplification, et par conséquent, elles ne doivent pas être prises à la lettre. Cependant, la critique moderne admet l’importance considérable de l’Église africaine dès les débuts du IIIe siècle. Paul-Albert Février, dans son

étude sur le Maghreb romain, abonde dans le sens d’une présence chrétienne en Afrique du Nord, au temps de Tertullien et Cyprien : « L’existence de communautés chrétiennes est attestée dans le Maghreb dans la seconde moitié du IIe siècle et, avec le IIIe, les informations qui nous sont parvenues

sont suffisamment importantes…La conservation d’une partie de la correspondance de Cyprien de Carthage, rédigée dans un temps de crise – celui des persécutions certes, mais surtout des conflits internes à l’Église d’Afrique ou nés des relations qu’elle se devait d’avoir avec d’autres

63Tertullien, Apologétique XXXVII, 4 : « Hesterni sumus, et orbem jam et vestra omnia

implevimus, urbes, tribus decurias, palatium senatum forum. Sola vobis reliquimus templa », p. 79.

64 Tertullien, Ad Scapula 5 : « Quid facies de tantis milibus hominum, tot viris ac feminis, omnis

sexus, omnis aestatis, omnis dignitatis, offerentibus se tibi ? Quantis ignibus, quantis gladiis opus erit ? ».

30

communautés -, aide à restituer les liens hiérarchiques et la vie de certains groupes »65. L’histoire du christianisme en Afrique du Nord à l’époque de

Tertullien et Cyprien, est marquée par des persécutions contre l’Église d’Afrique. Elles n’épargnent ni le petit peuple des cités et des campagnes (les

humiliores), ni les classes aisées (les honestiores). Nous avons le témoignage

de Cyprien sur cette Église africaine au milieu du 3ème siècle, grâce à ses

nombreuses lettres et au rôle de pasteur qu’il y a exercé. Augustin aussi nous renseigne sur l’ancienneté, l’importance considérable et le prestige éminent de Carthage, l’autorité de la cité, et sa proximité avec les pays d’outre-mer. Quand, par exemple, il dénonce l’obstination des donatistes, il rappelle en effet que les évêques de Carthage ont non seulement été en relation constante avec l’Église de Rome, mais aussi, ajoute-t-il, « avec toutes les autres régions d’où l’Évangile est venu en Afrique »66. Dans l’Afrique du Nord chrétienne, la

Proconsulaire Carthage, dans la période qui nous concerne, est l’Église mère. Mais il est difficile de dire de façon nette et précise les canaux par lesquels l’Évangile a pénétré en terre africaine. Le christianisme provenait-il de Rome ou d’Occident ou d’Orient ? Augustin semble donner un indice sur la provenance de l’Évangile en terre africaine. Nous trouvons la mention dans sa

Lettre LII, 2, adressée à Sévérin, par laquelle il s’en prend aux donatistes :

« Le parti de Donat, sur les terres africaines, accuse la terre tout entière, et ne considère pas que la stérilité qui lui fait refuser de produire les fruits de la paix et de la charité, l’a coupé de cette racine des Églises orientales d'où l'Évangile est venu en Afrique »67. Cette allusion d’Augustin est difficile à vérifier et ne

donne aucun élément historiquement indiscutable. Si l’Évangile est arrivé en Afrique par les Églises d’Orient, de quelles Églises orientales, et de quelle partie de l’Afrique chrétienne s’agit-il ? Quelle localité africaine fut la première à accueillir l’Évangile ? Certains historiens tels que Mesnage ont développé la

65 FÉVRIER P.-A., Approche du Maghreb romain, Aix-en-Provence, EDISUD, 1989, p. 178. 66 Augustin, Lettres 47, 3.

67 Augustin, Lettre 52, 2: « Pars autem donati in solis afris calumniatur orbi terrarum et non

considerat ea sterilitate, qua fructus pacis et caritatis adferre noluit, ab illa radice orientalium ecclesiarum se esse praecisam, unde euangelium in africam ueni ». Texte du CPL 0262 (epist. 52, vol. 34.2, par. 2, p. 150). Traduction personnelle.

31

thèse de l’évangélisation de l’Afrique du Nord en la faisant remonter au temps des apôtres ou à l’âge apostolique. Cette pieuse tradition, purement légendaire 68 , qui voudrait faire remonter cet enracinement aux temps

apostoliques est à écarter, car aucun témoignage, à ce sujet, n’émane ni des écrits de Tertullien, ni de ceux de ses devanciers, ni des écrivains qui lui sont postérieurs. D’ailleurs, Dominique Arnauld réfute catégoriquement cette thèse en affirmant que « c’est en effet à partir du Ve siècle qu’une ‘tradition’ de

l’apostolicité de l’Église africaine se développe sur la base, semble-t-il, des

Actes apocryphes de Pierre. Les premières traces historiques certaines datent

du premier quart du deuxième siècle, mais elles nous présentent l’Église d’Afrique déjà nombreuse et structurée »69. Sur la même question, Joseph

Cuoq affirme catégoriquement :« On ne peut avancer aucune date, même approximative sur cette première rencontre avec l’Évangile »70. Il est donc

difficile de dire comment, quand et par qui la première évangélisation de l’Afrique s’est opérée. Même si Carthage était la province la plus importante de l’Afrique du Nord, cela ne suffit pour déduire qu’elle fut la première à avoir accueilli l’Évangile. La notoriété ou le prestige n’est pas la règle absolue de la primauté. François Décret reconnaît la grandeur de la Proconsulaire lorsqu’il écrit : « Carthage fut très probablement la première à l’accueillir. La capitale de la Proconsulaire était bien ouverte aux influences de l’hellénisme sous toutes ses formes ; elle était aussi le premier centre de la littérature latine du temps, et Tertullien s’y instruisit. Or, Alexandrie et Antioche étaient les deux principaux centres d’évangélisation »71.

Au début du Ve siècle, Augustin, dans une de ses lettres, atteste de la

grandeur et de la notoriété de Carthage, de l’importance de son siège épiscopal. En effet, durant son combat contre le schisme de Donat dans

68 ARNAULD D., Histoire du Christianisme en Afrique. Les sept premiers siècles, Paris,

Éditions Karthala, 2001, p. 59. Cf. MANDOUZE A., Avec et pour Augustin, Paris, Cerf, 2013, p. 120-127.

69 ARNAUD D., Op. cit., Paris, Éditions Karthala, 2001, p. 59.

70 CUOQ J., L’Église d’Afrique du Nord du IIe au XIIe, Paris, 1984, p. 14.

71 DECRET F., Le christianisme en Afrique du Nord ancienne, Paris, Éditions du Seuil, 1996,

32

l’Église africaine, soucieux de l’unité de l’Église catholique, Augustin affirme que l’Évangile y est arrivé par plusieurs lieux au sujet desquels il ne donne aucune précision :

Elle (Carthage) était voisine des régions transmaritimes, et sa très large rénommée la rendait noble ; ainsi elle a un évêque dont l'autorité n'était en tout cas pas ordinaire, et qui ne pouvait pas s’occuper de la multitude des ennemis conspirant contre lui, quand il se voyait uni à l'Église de Rome, dans laquelle la primauté du siège apostolique fut toujours en vigueur, et aux autres terres d’où l'Évangile est venu vers la même Afrique72.

Augustin avait déjà affirmé, dans sa querelle contre les donatistes, que l’Orient est le pôle par lequel l’Évangile est parvenu en Afrique du Nord. Carthage est au cœur de la méditérannée, encadrée par Rome et l’Orient. Ces deux lieux sont à prendre en compte dans l’histoire de la primitive évangélisation de l’Afrique du Nord. L’ouverture cuturelle, cultuelle de Carthage sur Rome, son attraction économique et les influences possibles d’’Alexandrie et d’Antioche sur elle en matière d’évangélisation, ne suffisent pas à déduire que Carthage fut la première région de l’Afrique du Nord à avoir été christianisée. Cependant, on admet aujourd’hui que le christianisme est venu en Afrique via Rome, mais on perçoit aussi des traces d’influence orientale des professions de foi baptismales73.

Le christianisme introduit en Afrique allait être confronté, nous l’avons rappelé, à des persécutions sanglantes. Les tortures contre les chrétiens, aux trois premiers siècles du christianisme, portaient la marque des édits impériaux. Il existait aussi une opposition entre les religions venues de Rome, de Grèce, d’Égypte, d’Asie, d’Orient et le christianisme. Le christianisme qui se

72 Augustin, Lettre 43, 3 : « Erat etiam transmarinis uicina regionibus et fama celeberrima

nobilis. Unde non mediocris utique auctoritatis habebat episcopum, qui posset non curare conspirantem multitudinem inimicorum, cum se uideret et romanae ecclesiae, in qua semper apostolicae cathedrae uiguit principatus, et ceteris terris, unde euangelium ad ipsam africam uenit ». Texte du CPL 0262 (vol. 34.2, par. 3, p. 90). Traduction personnelle.

73 BADCOCK F. J., « Le credo primitif d’Afrique », Revue Bénédictine, 45 (1933), p. 3-9. Au

temps de Cyprien, l’Afrique professait un credo différent de celui de Rome. Le Credo africain déduit des écrits de Cyprien est le suivant : Credo in deum Patrem ; in Christum Filium ; in Spiritum Sanctum ; Remissionem peccatorum/ Et vitam aeternam per sanctam ecclesiam. « Toutes les preuves tendent à montrer que dans le Credo romain, primitif ou postérieur, les mots relatifs à l’Église suivaient immédiatement ceux sur l’Esprit Saint, tandis que vitam aeternam n’y fut ajouté qu’après le IVe siècle » (Ibid., p. 4).

33

présentait comme une religion exclusiviste, écartant tout autre culte, condamnait les divinités païennes dans les provinces, leur culte et leurs adeptes. Le fait de revendiquer la transcendance du christianisme sur les autres religions n’était pas de nature à garantir la paix ni un possible dialogue inter-religieux, ni à exorciser les peurs, ni à changer les regards haineux contre les chrétiens qui devenaient par leur conversion un groupe à part. François Decret écrit : « Le christianisme ne venait pas rafraîchir les couleurs des vieux cultes : il voulait les détruire pour demeurer seul, imposant à ses fidèles de renier un passé récent, de brûler ce qu’ils avaient adoré. Cette prétention à la religion unique, à l’uniformisation des croyances, de l’Orient à l’Occident, était non seulement intolérable et insultante pour les fidèles des divinités qui avaient déjà leurs autels et seraient ainsi ravalées au rang de grossières superstitions, mais elle venait aussi toucher au vieux réflexe particulariste des Africains et à leur aversion pour tout alignement »74.

Les chrétiens revendiquaient une identité qui condamnait celle des partisans des autres religions. Le passage du paganisme au christianisme ne s’opèra donc pas sans heurt. Il était source de divisions sociales et familiales. La conversion au christianisme fracturait les relations humaines à toutes les échelles sociales. Comme le paganisme imprégnait toute la vie sociale75, les

chrétiens, fidèles à leur foi, vivaient, au moins dans les premières générations, coupés de leurs compatriotes, à l’écart de la vie domestique avec son culte traditionnel. D’où leur absence aux cérémonies familiales, privées ou publiques telles que les mariages et les funérailles qui rythmaient la vie sociale dans un contexte à dominante païenne. Cette attitude des chrétiens menaçait sérieusement la cohésion sociale et familiale et avait pour conséquence leur ostracisation. Et pour faire le lien avec notre sujet, concernant les célébrations funéraires, l’enjeu était de vivre la mort du chrétien en milieu païen. La

74 DECRET F., Ibid., p. 30.

75 Les réjouissances collectives étaient inaugurées par des sacrifices aux divinités tutélaires :

combats de gladiateurs et chasses dans l’amphithéâtre, courses de char autour du cirque, théâtres mettant en scène des épisodes mythologiques. Tertullien, d’abord ardent admirateur de ces festivités teintées de passions et de délires collectifs, puis farouche opposant, les dénonce dans son traité Sur les spectacles, comme incompatibles avec la morale chrétienne.

34

nécessité d’une démarcation cultuelle spécifique à l’échelle ecclésiale s’imposait. Les premiers écrivains du christianisme en Afrique vont se heurter à la mentalité culturelle, aux traditions ancestrales de leur environnement. C’est ainsi que naît l’apologétique chrétienne en l’Afrique du Nord, qui défend une nouvelle identité. Tertullien, l’un des défenseurs du christianisme en Afrique du Nord, est connu pour ses positions tranchées, sa vision rigoriste. Il défend, comme l’écrit Dominique Arnauld, « un christianisme prophétique, de rupture plutôt que de continuité, se refusant à toutes compromissions dans une société où le religieux païen est sans cesse présent »76. C’est dans cette

situation complexe des relations humaines et sociales, des conflits cultuels, des chocs d’identités que Tertullien, Cyprien, Lactance et Augustin nous renseignent, par leurs écrits, sur la façon dont les chrétiens honoraient leurs morts, dans une période qui voit, au début du 4ème siècle, le christianisme

devenir religion « licite » et la situation changer en faveur des chrétiens. De façon générale, ces auteurs chrétiens ne dissertent pas sur le sujet de la mort et de ses rites en contexte chrétien. C’est au travers de leur apologie du christianisme qu’ils nous livrent des informations utiles sur le culte funéraire païen et chrétien. Augustin est celui qui nous fournit le plus d’informations sur le rôle de l’Église dans la célébration des funérailles de ses membres. Il est le seul qui ait traité brièvement le sujet dans son œuvre De cura pro mortuis

gerenda ad Paulinum.

Sur la question des rites funéraires chrétiens, les deux premiers siècles du christianisme en Afrique du Nord n’ont guère laissé de témoignages. Nous n’avons pas de traces littéraires ou archéologiques qui permettent de lever le voile sur la vie des premiers chrétiens dans leur milieu. En effet, Cyrille Vogel a fait une étude concernant cette période, et situe sa documentation sur la problématique de l’environnement cultuel du défunt à partir de 200-250 qu’il considère comme le terminus ante quem non77. Il dit qu’« avant cette date, en

76 ARNAULD D., Histoire du Christianisme en Afrique. Les sept premiers siècles, Paris,

Éditions Karthala, 2001, p. 65.

77VOGEL C., limite son enquête à la période paléochrétienne à l’époque antérieure à

l’apparition du plus ancien Ordo defunctorum (Ordo XLIX : Ordo qualiter agatur in obsequium

35

effet, nous n’avons gardé la trace d’aucune sépulture chrétienne, tombes apostoliques et tombes de martyrs non exceptées, ni d’aucune catacombe, privée ou communautaire. Aucun indice non plus d’une activité liturgique quelconque relative au défunt, aucune inscription funéraire, aucune peinture cimetériale, aucun sarcophage chrétien »78.

Pour la même période, la Tradition apostolique du IIIe siècle qui mentionne

le devoir de donner une sépulture à tous, ne fait pas d’allusion à un rite liturgique sur la mort du chrétien. Nous y lisons : « Qu’on n’impose pas une lourde charge pour enterrer dans le cimetière, car c’est la chose de tous les pauvres. Cependant qu’on paie le salaire de l’ouvrier qui fait la fosse et le prix des briques. Que l’évêque entretienne ceux qui prennent soin de ce lieu, afin qu’ils ne soient pas à charge à ceux qui y viennent »79. Chacun a le droit,

surtout le pauvre, à une sépulture. La sépulture ne doit pas être discriminante ; c’est la raison pour laquelle l’évêque qui a la charge de la communauté doit veiller à ce que tous aient une sépulture d’une part, et à ce que les préposés aux sépultures que sont les travailleurs des pompes funèbres comme les

fossores soient payés pour leur travail d’autre part. Un minimum de frais

incombera cependant à tous ceux qui feront enterrer leurs morts. Tertullien, qui fournit des données sur les rites funéraires chrétiens, ne rapporte pas les usages funéraires spécifiquement chrétiens. Il mentionne, dans sa défense du christianisme contre le paganisme, le souci des chrétiens à exercer la solidarité qui leur permet de faire vivre les plus démunis et de procurer la sépulture aux pauvres de leurs communautés : « Car personne n’est forcé ; on verse librement sa contribution ; c’est là comme un dépôt de la piété. En effet, on n’y puise pas pour des festins ni des beuveries, ni pour des lieux de stériles ripailles, mais pour nourrir et inhumer les pauvres (alendis humandis) »80.

78 Idem, L’environnement cultuel du défunt durant la période paléochrétienne, in « La maladie

et la mort du chrétien dans la liturgie », Roma, Edizioni Liturgiche, 1978, p. 381-382.

79Tradition Apostolique 37, Paris, Cerf, 1946, p. 68. Passage conservé seulement en version

sahidique. GRELOT P., Tradition apostolique : règle de foi et vie pour l’Église, Paris, Cerf, 1995.

80 Tertullien, Apologétique XXXIX, 5-6: « Nam nemo compellitur, sed sponte confert. Haec

quasi deposita pietatis sunt. Quippe non epulis inde nec potaculis nec ingratis voratrinis dispensator, sed egenis alendis humandisque ».

36

En revanche, pour la période allant du IIIe au IVe siècle, nos quatre auteurs-

source dominent l’histoire littéraire du culte des morts dans l’Église. Cette Afrique chrétienne a dû aussi faire face à des figures littéraires hostiles pétries de la culture romaine qui y brillait déjà bien avant le IIIe siècle dans l’Africa

romana. Apulée81, le célèbre écrivain de Madaure, est du nombre des

intellectuels de Carthage qui était devenue la rivale intellectuelle de Rome.