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CHAPITRE III. LA COURONNE MORTUAIRE

III.2. Du côté des auteurs païens

Le premier témoignage que nous faisons valoir sur la couronne est celui de Pline l’Ancien qui nous renseigne sur la nature des couronnes, sur leur finalité et leur usage dans le culte rendu aux morts. Il aborde le thème de la couronne dans son Histoire naturelle, lorsqu’il traite de la nature des fleurs et des guirlandes. Tout en donnant une description de la matière de la couronne, il dévoile en quoi consistait son usage. Les couronnes étaient d’abord tressées, puis cousues, ensuite faites de feuilles de nard, enfin de tissu de soie. En qualité de polygraphe, Pline décrit la couronne et les évolutions constitutives

236 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, Livre XXI, V, 1. Inde illa XII Tabularum : « Quis coronam

parit ipse pecuniave ejus, virtutis suae ergo duitor ei ».

237 Cicéron, De legibus, Livre II, XXIV, 60 : « Ne sumtuosa respersio, ne longae coronae, nec

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de sa matière au travers de l’histoire de Rome. Sous sa plume, nous apprenons que les couronnes furent d’abord faites de branches d’arbres destinées aux vainqueurs des jeux sacrés238 ; ceux-ci sont les sacra certamina

qui ne sont rien d’autre que les jeux de la Grèce (agones). Ensuite, elles furent des fleurs mêlées les unes aux autres, remarquables quant à leur parfum et à leur couleur. Cette invention eut pour initiateur le peintre Pausias239 et le

fleuriste Glycère. Pline l’Ancien atteste : « Ce fut à Sicyone, par le génie du peintre Pausias et de la bouquetière Glycère qu’il aimait passionnément »240.

Pline affirme que cette invention remonte à la centième olympiade, c’est-à- dire entre 380 et 376 avant J.C, les premiers Jeux olympiques s’étant déroulés, selon la tradition à l’été 776 av. J.-C. Les couronnes de fleurs s’imposèrent de plus en plus à l’usage, à telle enseigne que l’on importa les couronnes de fleurs dites Égyptiennes ; ensuite, on inventa les couronnes d’hiver fabriquées de lamelles de corne colorées. Les Égyptiennes reçurent le nom de corolles grâce à leur finesse. Par la suite, il y eut des couronnes conçues de minces lames d’airain dorées ou argentées que l’on appela corolles (corollae), utilisées en hiver. Pline atteste que le très opulent Crassus241 fut le premier à attribuer les corolles (corollae) aux vainqueurs lors

de ses jeux. Ces corolles reçurent du lustre par adjonction d’espèces de bandelettes nommées lemnisques (lemnisci), en imitant les couronnes étrusques dont les lemnisques étaient en or242. Le souci de l’ornement

238 Pline L’Ancien, Histoire naturelle XXI, III, 4: « Arborum enim ramis coronari in sacris

certaminibus erat primum». Traduit et commenté par Jacques André, Paris, Les Belles Lettres, 1969.

239 Pausias, élève de Pamphilos, est le premier artiste qui acquit sa célébrité en peignant à

l’encaustique, son maître d’Apelle.

240 Pline l’Ancien, Op. cit., Livre XXI, III : « Sicyone ingenio Pausiae pictoris atque Glycerae

coronariae dilectae admodum illi ».

241 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, Livre XXI, IV p. 28 : « Crassus Dives primus argento auro

que folia imitatus ludis suis coronas dedit » « Crassus le riche fut le premier qui fit faire avec des feuilles d’argent et d’or des coronnes artificielles et les donna aux jeux ». Marcus Licinius Crassus Dives (115-53 avant J.C) est connu pour son immense fortune et sa victoire lors de la grande révolte servile de Spartacus en 70 av. J.-C. Il constitua avec Pompée et Jules César le premier triumvirat en 60 av. J.-C. pour l’exercice du pouvoir républicain.

242 Idem, Op. cit., Livre XXI, IV, p. 28 : « Accesseruntque et lemnisci, quos adici ipsarum

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n’existait pas jusqu’à ce que P. Claudius Pulcher243 les fît travailler ; c’est ainsi

qu’elles furent ornées de bractées d’or (feuilles d’or) à la mince lamelle.

Nous avons également des informations sur les différentes sortes de couronnes qui connurent, pas à pas, un affinement qualitatif. Pline nous renseigne aussi sur les différents usages des couronnes et sur les étapes de leur usage. D’abord liée aux combats de cirque ou d’amphithéâtre, la couronne servit dans le domaine cultuel. Pline explique que les couronnes n’ont pas comme seule finalité de récompenser les citoyens. Elles servent aussi dans le culte religieux. En effet, Pline écrit :

Les couronnes servaient à honorer les dieux, les lares publics et privés, les tombeaux et les mânes. La plus estimée était la couronne piquée, comme les couronnes solennelles que nous trouvons dans les cérémonies sacrées des Saliens244. On en vint ensuite aux couronnes de roses. Le luxe fit tant de

progrès qu’on ne prisa plus que les couronnes faites seulement de pétales cousus, puis les couronnes demandées à l’Inde ou au-delà de l’Inde. Car la suprême élégance était d’offrir des couronnes de feuilles de nard ou de tissu de soie multicolore et inondé de parfums245.

aussi des lemnisques aux couronnes mêmes, à l’imitation des couronnes étrusques auxquelles on ne devait attacher que des lemnisques d’or ».

243 Ibid., Livre XXI, IV, p. 28 : « Puri diu fuere hi ; caelare eos primus instituit P. Claudius

Pulcher bratteas que etiam philyrae dedit » « Ils furent longtemps sans ciselures. Le premier à les faire ciseler fut P. Claudius Pulcher, qui ajouta des feuilles d’or même aux philyres ». Publius Claudius Pulcher qui naquit vers 92 et fut assassiné le 18 janvier 52 avant J.-C., fut un ennemi juré de Titus Annius Milon et de Cicéron. Descendant de l’illustre famille patricienne des Claudii, il choisit d’appartenir à la plèbe.

244 La mythologie raconte au sujet des Saliens ce qui suit: « Un matin que Numa debout

devant la demeure royale, tendait en priant les mains au ciel, il lui en tomba un bouclier. En même temps il entendit une voix qui promettait à Rome une prospérité inouïe tant qu'il ne perdrait pas ce bouclier. Il en fit fabriquer onze autres et pour les garder il fonda un collège de douze prêtres, dits Saliens, parmi les plus nobles. Prêtres inspirés, ils manifestaient leur activité sacerdotale par des processions publiques qui frappaient d'une stupeur superstitieuse les profanes. Ils déambulaient à travers la ville revêtus d'une tunique bariolée, ceints d'une épée, le bouclier sacré au bras gauche, une petite lance dans la main droite. Ils avançaient en dansant au son d'une flûte et en psalmodiant des invocations sacrées. Leur nombre fut doublé : douze Salii Palatini qui honoraient Mars. Douze Salii Collini qui vénéraient Quirinus. Tous ensembles ils prenaient part aux exercices saltatoires de la fête des boucliers sacrés (ancilia) en Mars, une fois par an : ils exécutaient publiquement une danse guerrière (saltatio) rythmée par un chant sacré » (http://mythologica.fr/rome/religion/salien.htm). Dictionnaire des

antiquités romaines et grecques, Paris, Éditions Molière, 2004, p. 549.

245 Pline l’Ancien, Op. cit., Livre XXI, VIII : « Coronae deorum honos erant et larum publicorum

privatorumque ac sepulchrorum et manium summaque auctoritas pactili coronae, uti Saliorum sacris invenimus sollemnes coronas. Transiere deinde ad rosalia. Eo luxuria processit ut non esset gratia nisi mero folio sutilibus, mox petitis ab India aut ultra Indos. Lautissimum quippe

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La couronne, au vu du témoignage de Pline, remplissait une triple fonction. Primo, les dieux étaient honorés de couronnes lors du culte qui leur était rendu. Secundo, les couronnes étaient offertes aux lares, esprits protecteurs, qui représentaient dans la croyance romaine, les âmes des morts246. Ces lares

étaient censés assurer la protection de l’intérieur de la maison, sur toute la famille et ses richesses. Ils étaient regardés comme des génies tutélaires. Ils avaient leur autel dans le foyer domestique, dans un coin où leurs statues étaient placées. Les foyers les plus aisés avaient leur lararium, une sorte d’oratoire particulier où se déroulait le culte en leur faveur. Ils recevaient même des libations d’encens. Ce sont ces génies protecteurs qui avaient droit à des couronnes dans le cadre du culte, comme nous l’atteste Pline l’Ancien. Tertio, d’après le témoignage de Pline, les morts ordinaires étaient honorés par des couronnes, celles qu’ils avaient probablement gagnées dans leur vie, et celles que les vivants auraient pu leur donner comme ultime hommage posthume. Leurs tombes en étaient ainsi honorées comme signe visible de leur valeur. Ce couronnement pourrait aussi signifier que la gloire qu’ils ont reçue au cours de leur existence devait être manifestée jusque dans leur dernière demeure.

Ensuite, Virgile ne nous renseigne pas sur la couronne mortuaire, mais sur son usage dans la vie sociale. En effet, dans le Livre V de l’Enéide, la couronne est le fruit d’une récompense méritée suite à un exploit. Elle est destinée à récompenser les galériens victorieux dans les jeux nautiques : « Et d’abord, on place bien en vue au milieu de l’enceinte les trépieds sacrés, les vertes couronnes (virides coronae) et les palmes, les armes, les vêtements de pourpre, un talent d’argent et un talent d’or, tous les prix des vainqueurs. Puis du haut d’un tertre, la trompette annonça l’ouverture des jeux »247. Nous

sommes dans une situation de compétition âpre où les acteurs en scène rivalisent d’ardeur, de force musculaire et de puissance mentale. Au terme,

habetur e nardi folio eas dari aut veste Serica versicolori, unguenta madida. Hunc habet novissia exitum luxuria feminarum ».

246 Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, Paris, Éditions Molière, 2004, p. 354-355. 247 Virgile, l’Enéïde V, 109-113 : « Munera principio ante oculos circoque locantur/ in medio,

sacri tripodes uiridesque coronae/ et palmae pretium uictoribus, armaque et ostro perfusae uestes, argenti aurique talenta ; et tuba commissos medio canit aggere ludos ». Traduit par André Bellessort, Paris, Les Belles Lettres, 1974.

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les vainqueurs reçoivent, en récompense, des biens divers, dont les couronnes vertes qui sont l’un des symboles de la victoire.

Dans le même livre, lorsque Virgile fait remonter à Énée l’origine des jeux troyens, institués par Sylla et remis en honneur par Auguste, il peint, pour les jeux équestres, un défilé d’enfants cavaliers portant sur leur chevelure une couronne : « Tous (pueri) portaient sur la tête une couronne bien taillée, selon la coutume »248. Nous n’avons ici aucune précision sur la matière de la

couronne. Nous savons seulement, d’après Virgile, que les enfants cavaliers de ces jeux de cirque portaient des couronnes, et jouaient un rôle mimétique (simulacrum) dans l’arène249.

D’après le témoignage de Virgile au Livre VII, le feu allumé sur l’autel par Latinus présageait une grande guerre. Ce même feu embrasa la jeune Lavinia et sa couronne constellée de pierres précieuses : « Tandis que la vierge Lavinia enflamme les autels avec de chastes torches et se tient auprès de son père, on vit l’horreur ! Ses longues tresses prendre feu, tous ses atours brûlés par la flamme crépitante, sa royale chevelure et sa couronne étincelante de gemmes embrasées »250.

La couronne, chez Virgile, est accordée en récompense d’un mérite reconnu aux jeux ; elle sert également comme ornement de la tête. La couronne, chez lui, est aussi portée par des enfants : c’est le cas particulier des enfants cavaliers qui portent des couronnes de branches d’olivier, au cours d’un défilé. Virgile ne témoigne pas de l’usage funéraire de la couronne, mais de son usage dans la vie sociale. Il est chez lui un élément révélateur du statut du personnage (comme c’est le cas de Lavinia), de la valeur de l’individu (comme dans le cas des galériens), et de la gloire de la République dans les jeux de cirque.

248 Virgile, Ibid. V, 556, p. 149 : « Omnibus in morem tonsa coma pressa corona ».

249 Ibid., V, 583: « Inde alios ineunt cursus alios que recursus adversi spatiis, alternos que

orbibus orbes impediunt, pugnae que cient simulacra sub armis; et nunc terga fuga nudant, nunc spicula vertunt infensi, facta pariter nunc pace feruntur».

250 Ibid., Livre VII, 72-76 : « Castis adolet dum altaria taedis et juxta genitorem astat Lavinia

virgo, visa (nefas) longis comprendere crinibus ignem atque omnem ornatum flamma crepitante cremari regalisque accensa comas, accensa coronam insignem gemmis ». Texte établi et traduit par Jacques Perret, Paris, Les Belles Lettres, 2007.

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Ces différents usages des couronnes en milieu païen seront désavoués, voire condamnés par les écrivains chrétiens de l’Afrique du Nord. Ni l’engouement que provoquaient les couronnes chez les citoyens, ni l’usage cultuel de la couronne en l’honneur des dieux, ni son usage funéraire, ne recevront de crédit de leur part. Mais les couronnes ne disparaîtront pas pour autant. Elles seront plutôt valorisées, dotées d’un sens nouveau, dans une perspective nouvelle.