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CHAPITRE III. LA COURONNE MORTUAIRE

III.3. La couronne mortuaire chez les auteurs chrétiens

III.3.2. La couronne chez Cyprien

Lorsque nous considérons la thématique de la couronne chez Cyprien, nous nous apercevons qu’elle est en lien avec les persécutions auxquelles les chrétiens de son temps sont en butte. Nous percevons chez Cyprien un lien avec Tertullien quant au regard chrétien sur la couronne en tant qu’elle est symbole de souffrance et de gloire. Au travers de sa Correspondance, il établit une corrélation entre le martyre des chrétiens et la couronne de gloire qu’ils recevront en récompense de leur fidélité. Au cœur des persécutions, Cyprien essaie, en sa qualité de pasteur contraint à l’exil, de réconforter les chrétiens afin qu’ils aillent jusqu’au bout de leur témoignage au Christ avec qui ils sont destinés à vivre après les épreuves de cette vie. Il écrit sur la foi ferme et persévérante des confesseurs qui progressent « ad accipiendam coronam »264. Il y fait mention de l’exemplarité de témoins aux visages

multiples, tels que des vieillards, des ecclésiastiques, des hommes. Il fait l’éloge de femmes qu’il qualifie de « beatae », non seulement pour leur consentement au martyre qui les mène au bonheur, mais encore pour leur capacité à donner du courage aux autres femmes dans le témoignage :

263 Idem, De corona 1, 3: « Et nunc, rufatus sanguinis sui spe, calciatus de euangelii paratura,

succinctus acutiore uerbo dei, totus de apostolo armatus et de martyrii candida melius coronatus, donatiuum Christi in carcere expectat».

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« De bienheureuses femmes, qui partagent la gloire de votre confession, fidèles au Seigneur, ne sont pas seulement près de recevoir elles-mêmes la couronne, mais ont, de plus, donné aux autres femmes un exemple de courage »265.

La couronne est sans nul doute celle qui vient couronner une vie de témoignage jusqu’à la mort ; elle nous renvoie donc à l’état céleste, à la vie dans la gloire de Dieu. La couronne devient ainsi la métaphore de la vie éternelle en Dieu que donne la mort par le martyre. Elle est une image de la vie du chrétien dans le Royaume de Dieu, de son triomphe après les affres des persécutions. C’est ainsi que Cyprien formule le vœu que les confesseurs puissent « parvenir à la gloire de la couronne céleste »266 (ad coronae

caelestis gloriam pervenire).

Cyprien développe toute sa conviction sur le sens de la mort pour le chrétien ; une mort qui est précieuse conformément aux Écritures dont il cite un verset : « Elle est précieuse aux yeux de Dieu, la mort de ses justes »267,

« cette mort précieuse est celle qui achète l’immortalité au prix du sang, qui reçoit la couronne en déployant le suprême courage »268. Le lien entre la

couronne glorieuse et la mort comme conséquence du martyre est indissociable. Cette couronne céleste est le partage des confesseurs et des martyrs qui témoignent des mêmes vertus, celles du courage, de la constance et de la persévérance dans la foi. Elle est le prix d’un « agon caelestis » remporté au bout d’un effort soutenu, comme si le martyre, tel un combat acharné, fait partie du dessein de Dieu pour la gloire des fidèles. Nous sommes dans la vision paulinienne des événements qui touchent le quotidien

265 Saint Cyprien, Correspondance, Lettre VI, III, 1 :« Beatas etiam feminas quae vobiscum

sunt in eadem confessionis Gloria constitutae, quae dominicam fIdem, tenant, non solum ipsae ad coronam proximae sunt, sed et ceteris quoque feminis exemplum de sua constantia praebuerunt ».

266 Ibid., Lettre VI, IV : « Opto uos, fratres carissimi ac beatissimi, in Domino semper bene

ualere et ad coronae caelestis gloriam peruenire ».

267 Ps 115, 25. Cyprien, Correspondance, Lettre X, II, 3 : « Pretiosa est in conspectu Dei mors

iustorum eius ».

268 Saint Cyprien, Correspondance, Lettre X, II, 3 : « Pretiosa mors haec est quae emit

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de notre existence où l’Apôtre perçoit la main de la Providence divine : « Ceux que Dieu aime, Il fait tout concourir à leur bien » (Rm 8, 28). Même si la mort par le martyre n’est pas voulue par Dieu, elle devient un instrument pour sa gloire et pour la victoire de ses fidèles. En tant qu’il est la souffrance suprême, la couronne lui est intrinsèque, si bien que l’Église-mère qui pleure amèrement ses enfants, trouve aussi de la joie de les savoir déjà couronnés. Leur vaillance dans l’épreuve agonistique où Dieu est engagé avec eux est source de gloire et d’exaltation par la couronne269.

Il semble important de noter que Cyprien emploie le terme corona en lien

avec pax. Après le combat pour la foi, les martyrs reçoivent de Dieu la paix. Nous trouvons en effet dans ses écrits les expressions corona pacis270, in

pace coronam dare271. Il y a aussi l’expression corona vitae272 inspirée du livre

de l’Apocalypse 2, 10. L’expression est également citée par Tertullien, dans son De corona273 ainsi que par Augustin, dans son Speculum274. Il est évident

que cette couronne est liée à la paix que Dieu donne après les atroces

269 Ibid., Lettre X, IV, 4 : « Hic est agon fidei nostrae qua congredimur, qua uincimus, qua

coronamur. Hic est agon quem nobis ostendit et beatus apostolus Paulus, in quo oportet nos currere et ad coronae gloriam peruenire ».

270 Cyprien de Carthage, La bienfaisance et les aumônes 26, 13: « Praeclara et diuina res,

fratres carissimi, salutaris operatio, solacium grande credentium, securitatis nostrae salubre praesidium, munimentum spei, tutela fidei, medela peccati, res posita in potestate facientis, res et grandis et facilis, sine periculo persecutionis corona pacis, uerum dei munus et maximum, infirmis necessarium, fortibus gloriosum, quo christianus adiutus perfert gratiam spiritalem, promeretur christum iudicem, deum computat debitorem ». Introduction, texte critique, traduction, notes et index, par Michel Poirier, Paris, Cerf, 1999.

271Cyprien, Correspondance, Lettres XIV, II, 2 : « Plus enim superest quam quod transactum

uidetur, cum scriptum sit : ante mortem ne laudes hominem quemquam, et iterum : esto fidelis usque ad mortem, et dabo tibi coronam uitae, et Dominus quoque dicat : qui tolerauerit usque ad finem, hic saluabitur ».

272 Cyprien, Ad Quirinum 3 : « Esto fidelis usque ad mortem, et dabo tibi coronam uitae ».

« Sois fidèle jusqu’à la mort et je (Seigneur) te donnerai la couronne de vie ». Ici, Cyprien cite

Apocapypse 2, 10, où Jésus lui-même soutient ses disciples qui subissent la persécution. La

couronne est une récompense immédiate de la vie avec Dieu, scellée par la perte de la vie présente.

273Tertullien, De corona : « Immo et uult ; denique inuitat : qui, uicerit, inquit, dabo ei coronam

uitae. Esto et ut fidelis ad mortem, decerta et tu bonum agonem, cuius coronam et apostolus repositam sibi merito confidit ».

274 Augustin, Speculum 46: «Beatus uir, qui suffert temptationem, quia cum probatus fuerit,

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souffrances du martyre. Alors que le chrétien persécuté a enduré dans sa chair les pires atrocités, sa vie connaît désormais le glorieux repos paisible. Enfin, nous pouvons noter chez Cyprien des emplois tels que corona

justitiae275, incorruptibilis corona276, coelestis corona277, corona fidei278, divina

et caelestis corona279. Ces expressions traduisent la même réalité, celle de la

récompense que Dieu accorde aux témoins de la foi. La couronne est alors un insigne immatériel remis à ses fidèles par le Seigneur ou par le Christ qui habite éternellement les cieux. Puisqu’Il est juste, éternel, incorruptible, Il est capable de donner une couronne de victoire (corona victoriae)280 à son image

à ceux qui, ayant subi l’injustice des persécutions, témoignent hardiment de leur foi jusqu’à la mort. Ainsi, le Christ couronne ses soldats281 qui ont

triomphé par l’agon de la foi. Et pour appuyer son argumentation, alors qu’il s’adresse aux martyrs et aux confesseurs, Cyprien en appelle à l’autorité de

275 Cyprien, Ad Quirinum III, 16 : « Iam superest mihi corona iustitiae, quam mihi reddet

dominus in illo die ille iudex iustus, non solum autem mihi, sed et omnibus qui dilexerint aduentum eius ». Idem, Correspondance, Lettre X, IV, 3. Ces deux références sont des citations textuelles de l’apôtre Paul en 2 Tm 4, 7-8.

276 Idem, Ad Quirinum III, 26.

277 Idem, Ceux qui sont tombés (De lapsis) IV ; Idem, Correspondance, Lettre VI, 4 ; XIV, 2. 278 Idem, L’unité de l’Église 14. C’est dans sa condamnation de ceux qui ont déserté l’Église

catholique, que Cyprien utilise l’expression corona fidei, à laquelle ceux qui sont hors de l’Église ne peuvent prétendre, même s’ils sont morts martyrs. Il écrit à Corneille avec qui il s’entretient de Novatien qui a quitté la grande Église pour former son Église et sa hiérarchie, après avoir été excommunié en 251 au cours d’un synode tenu à Rome. Ainsi il écrit : « Ardeant licet flammis, et ignibus traditi vel objecti bestiis animas suas ponant, non erit illa fidei corona sed poena perfidiae », « Peu importe qu’ils brûlent dans les flammes, que livrés au feu ou jetés aux bêtes ils donnent leur vie, ils n’y gagneront la couronne de la foi mais la punition de l’infidélité ». Texte critique du CCL 3 (M. Bévénot), Traduction Michel Poirier, Paris, Cerf, 2006, p. 216-217.

279 Saint Cyprien, Correspondance, Lettre LX, IV, 1 : « Parati omnes pro animi sui devotione

ad divinam et caelestem coronam », « Tous (les clercs) préparés par la dévotion de leur cœur pour la couronne divine et céleste ». Cyprien, s’adresse ici à Successus, évêque d’Abir, de l’épiscopat de l’Église d’Afrique. Il y évoque la situation des clercs persécutés, prêts à subir le martyre qu’il compare à une couronne céleste donnée par Dieu.

280Ibid., Lettre X, I, 2 : « Ex quibus quosdam jam conperi coronatos, quosdam vero ad

coronam victoriae proximos » : « J’ai appris que certains d’eux (martyrs) sont déjà couronnés, mais que d’autres (confesseurs) sont très près de la couronne de victoire ». Traduction personnelle.

281Ibid., Lettre XXVIII, II, 4 : « Honoris uestri participes et nos sumus, gloriam uestram nostram

gloriam conputamus, quorum tempora inlustrauit tanta felicitas ut aetate nostra uidere contingeret probatos seruos dei et Christi milites coronatos ». « Votre gloire est la nôtre, et nous avons cette heureuse fortune qu’il nous est donné de voir, de notre temps, des serviteurs de Dieu loués, et des soldats du Christ couronnés ».

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l’apôtre Paul dans 1 Co 9, 24.25 qu’il cite : « Ne savez-vous pas, dit-il, qu’à la course du stade tous courent, et qu’un seul reçoit la palme. Courez de manière à l’obtenir. Eux, ils courent pour une couronne périssable, au lieu de nous en disputer une qui est impérissable »282. La couronne devient la

métaphore par excellence pour traduire la récompense, la gloire, le triomphe des chrétiens qui bravent les souffrances au nom de leur foi jusqu’à la mort, pour la vie éternelle. La couronne nous renvoie donc à la sotériologie et à l’eschatologie. Cyprien ne traite pas de la couronne mortuaire, mais plutôt de la couronne comme symbole du triomphe, de la victoire, pour tous ceux qui acceptent l’agon pro Christo. Nul ne peut prétendre à cette couronne céleste s’il ne vit sa foi au Christ jusqu’au bout, et même jusqu’à la mort.