• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE III. LA COURONNE MORTUAIRE

III.3. La couronne mortuaire chez les auteurs chrétiens

III.3.4. L’approche augustinienne de la couronne

La couronne chez Augustin n’a pas de signification autre que celle que nous avons déjà exposée chez les auteurs antérieurs. Augustin emploie, à plusieurs reprises, l’expression « corona justitiae » 290 dans le sens de

récompense promise à celui qui vit et persévère dans la foi jusqu’au bout.

289 Ibid., IV, XXVI, 23 : « Electi ergo ex dumis et sentibus sanctum Dei caput cingimus ; quia

conuocati ab ipso, et circumfusi undique ad eum, magistro ac doctori Deo, assistimus, regemque illum mundi et omnium uiuentium Dominum coronamus ».

290 Nous trouvons une cinquantaire d’occurrences de l’expression corona justitiae dans les

oeuvres d’Augustin pour signifier que la justice de Dieu récompense toujours ses fidèles qui tiennent dans les différents combats de la vie : lutte contre le péché, victoire sur leurs tendances charnelles. La corona justitiae est la récompense d’une vie vertueuse empreinte de sainteté véritable, toujours sous une dose fortement morale. Idem, Lettre 199, 1.5 ; 205, 2 ;

140

L’emploi de cette expression se retrouve majoritairement, dans ses Sermons. Elle est toujours largement encadrée par deux verbes « superesse et reddere »291. Augustin reprend l’argumentaire de l’Apôtre Paul dans sa lettre

adressée à Timothée comme un testament spirituel, à la fin de son ministère : « J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé la course, j'ai gardé la foi. Désormais la couronne de justice m'est réservée ; le Seigneur, le juste juge, me la donnera, ce jour-là, et non seulement à moi, mais encore à tous ceux qui auront aimé son avènement » (2Tm 4, 7-8). C’est ainsi que dans les écrits d’Augustin, nous retrouvons la perspective sotériologique de l’expression corona justitiae. Nous avons déjà mentionné deux occurrences de l’expression chez Cyprien qui a été à la fois témoin et victime des persécutions. Chez Cyprien, l’expression « martyrii justitiae » s’incarne dans l’histoire des persécutions de son temps. Chez Augustin, l’expression n’est pas forcément liée à la persécution contre les chrétiens ; elle devient une métaphore dont il se sert pour stimuler les croyants à vivre conformément aux exigences de leur nouvelle identité chrétienne.

En outre, Augustin utilise l’expression « martyrii corona » qui rappelle les persécutions, pour signifier la mort que subit le disciple qui confesse sa foi jusqu’à la mort. Nous la retrouvons dans son combat contre la théorie millénariste292. C’est aussi ce sens que nous retrouvons dans sa diatribe

contre Fauste le manichéen. Augustin argumente sur la contradiction interne dans l’humain. L’homme est capax mali et capax boni si bien que le vertueux est capable de pécher, et le méchant capable de vertu. Comme paradigme de sa thèse, Augustin cite l’expérience de l’apôtre Pierre qui a renié le Christ et par la suite a été capable de témoigner de la couronne du martyre (martyrii

corona testatur) 293.

291 Augustin, Sermons 298; 299; 299B; 299C.

292 Idem, La cité de Dieu XX, 13. Nous trouvons quelques allusions au millénarisme chez

Tertullien. Lactance aussi évoque cette théorie que finalement Augustin essayera de combattre sans en venir à bout.

293 Saint Augustin, Contra Faustum 22, 65 (CPL 0321): « Sed quid in illo obtinuerit,

141

Enfin, lorsqu’Augustin évoque la passion du Seigneur, dans ses Sermons, il

fait référence à la spinea corona (couronne d’épines). En effet, dans son

Sermon 254, 5, où il fait allusion à la Pâque de Jésus, Augustin établit une

corrélation entre les souffrances du Christ et le temps présent des chrétiens qui vivent toutes sortes d’épreuves. Ainsi écrit-il :

La passion du Sauveur rappelle le temps actuel, ce temps où coulent nos pleurs. Eh ! que rappellent en effet ces verges, ces chaînes, ces outrages, ces crachats, cette couronne d'épines (spinea corona), ce vin mêlé de fiel, ce vinaigre au bout d'une éponge, ces insultes, ces opprobres, cette croix enfin, ces membres sacrés qui sont suspendus, sinon nos jours présents, nos jours de deuil, nos jours de mort, nos jours d’épreuves ?

Les souffrances et les humiliations du Sauveur, dont la couronne d’épines et la croix au moment de sa passion deviennent le modèle de la vie présente des disciples. C’est une invitation à l’adresse de ses auditeurs, à tenir ferme devant les adversités de la vie quotidienne, à l’exemple du Christ qui a supporté la souffrance jusqu’à la mort sur la croix. Si de cette mort du Sauveur a jailli la vie au jour de sa résurrection, le chrétien doit aussi garder l’espérance que les tourments de son existence portent en germe la gloire future, promesse faite par Dieu lui-même : « Mes frères, louons donc le Seigneur, parce qu’Il nous garde fidèlement ses promesses que nous n’avons pas encore reçues »294. Augustin invite ainsi les chrétiens à ne pas douter

d’une telle promesse de vie, de bonheur et de gloire, après les tribulations de la vie terrestre. La couronne renvoie non seulement à la passion du disciple à l’exemple du Maître, mais aussi à la gloire qu’il partage avec Lui par sa mort audacieuse. La couronne est symboliquement la gloire dans le martyre ou dans la vertu. Il rappelle que la passion du Seigneur est un acte de souveraine liberté même si cela lui en coûtait de l’affronter. Augustin cite ainsi les mots de la prière de Jésus au jardin des Oliviers : « Pater, si fieri potest, transeat a me calix iste »295. Puis, il poursuit son commentaire sur la mort à laquelle Jésus va

294 Augustin, Sermon 254, 6 : « Laudemus ergo Dominum, fratres, quia eius fidelia promissa

retinemus, nondum accepimus ». Traduction personnelle.

295 Augustin, Sermon 375B: «Hoc est, calicem salutaris, quia salutare nostrum Christus. Ergo

accipiam, inquit, calicem eius, et retribuam illi. De ipso calice dixit et ipse patri ante passionem: Pater, si fieri potest, transeat a me calix iste». «Voci le calice du salut, parce que le Christ est notre salut. Donc, je prendrai son calice, dit-il, et je le lui donnerai. De ce même calice il dit

142

librement s’avancer : « Pati uenerat, mori uenerat ; in potestate habebat mortem »296.

Nous pouvons tirer la conclusion que, chez les auteurs africains chrétiens, le symbole attaché à la couronne demeure le même : la vie en Dieu après les tribulations de la vie présente, le bonheur après la mort, partager la gloire de Dieu après une existence vertueuse et sacrifiée au nom de la foi. Il est cependant une nuance à faire valoir. En dehors de Tertullien qui discute de façon explicite du couronnement des morts auquel il s’oppose, les autres auteurs africains chrétiens se contentent d’allusions symboliques dans la double perspective sotériologique et eschatologique. Ils incitent à imiter surtout la passion de Jésus qui procure la couronne de gloire, la seule qui vaille la peine d’être cherchée. Leur approche constitue une rupture avec les usages païens.

avant sa passion: Père, si tu peux faire que ce calice s’éloigne de moi ». Traduction personnelle.

296 Ibid., Sermon 375B: « Pati uenerat, mori uenerat; in potestate habebat mortem. Aut, si

mentior, ipsum audite: potestatem, inquit, habeo ponendi animam meam, et potestatem habeo iterum sumendi eam. Nemo tollit eam a me, sed ego pono eam a me, et iterum sumo eam. Audistis potestatem? Nemo tollit ». « Il était venu souffrir, il était venu mourir; il a la mort en son pouvoir ». Traduction personnelle.

143