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CHAPITRE III. LA COURONNE MORTUAIRE

III.3. La couronne mortuaire chez les auteurs chrétiens

III.3.3. La couronne chez Lactance

Les informations de Lactance sur la couronne sont à situer dans le contexte de sa condamnation du paganisme, des injustices des persécutions et des persécuteurs. C’est au passage de son argumentation contre le paganisme que Lactance évoque les ineptiae hominum en prenant l’exemple des couronnes des Saliens283 et des Luperques dont il dépeint tout le ridicule.

Il tourne en dérision l’attitude des humains, qui consiste à entretenir avec Dieu des relations utilitaristes. Dieu est invoqué seulement lorsque l’homme est en péril, mais une fois le danger passé, l’homme retourne à ses idoles : « Ainsi, ils (les hommes) ne se souviennent jamais de Dieu que lorsqu’ils sont dans les périls. Après que la crainte s’est dissipée et que les dangers se sont éloignés, alertes, ils courent donc vers les temples des dieux ; ils leur font des libations, ils leur sacrifient, ils les couronnent. Ils ne rendent même pas grâces au Dieu

282 Ibid., Lettre X, IV, 2, où Cyprien paraphrase 1 Co. 9, 24-25 en ces termes: «Hic est agon

quem nobis ostendit et beatus apostolus Paulus, in quo oportet nos currere et ad coronae gloriam peruenire. Nescitis, inquit (apostolus Paulus), quia qui in stadio currunt omnes quIdem, currunt, unus tamen accipit palmam. Sic currite ut occupetis. Et illi quIdem, ut corruptibilem coronem accipiant, nos autem incorruptam ».

283Lactance, Institutions divines I, XXI, 45 : « Si quis autem percepta sapientia deposuerit

errorem, profecto ridebit ineptias hominum paene dementium, illos dico qui uel inhonesto saltatu tripudiant uel qui nudi uncti coronati aut personati aut luto obliti currunt ».

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qu’ils imploraient dans la même nécessité » 284 . Lactance pointe ici

l’inconséquence des hommes qui rendent un culte indu aux faux dieux à travers sacrifices et libations, jusqu’à leur offrir des couronnes comme insigne de leur gloire.

Mais d’un autre point de vue chrétien, la couronne chez Lactance est aussi, de façon métaphorique, en lien avec la question de la conduite de l’homme qui vit dans les vertus. Elle est la conséquence heureuse d’une vie de droiture, dans une vision sotériologique. L’homme de bien, d’après Lactance, emprunte le chemin étroit semé d’embûches, tandis que l’homme mauvais suit la voie large où tout lui réussit, et qui pourtant le mène à la perdition285. C’est dans

cette opposition des deux voies, qu’il affirme au sujet de l’homme vertueux : « C’est pourquoi, il (l’homme de bien) sera pauvre, humilié, déshonoré et sujet à l’injustice ; supportant cependant toutes les amertumes ; mais s'il garde la patience et supporte le joug au plus haut degré et jusqu’à la fin, il lui sera donné la couronne de la vertu (corona virtutis) »286. Le fait de tenir dans les

épreuves et d’y faire preuve de constance et de persévérance mérite la couronne que Dieu accorde à ses fidèles après leur mort. Cette couronne pour la foi persévérante est l’immortalité en Dieu après la vie présente. Lactance l’évoque dans une adresse à Donat, en reconnaissant la pax ecclesiae, après les persécutions répétées contre les chrétiens : « Mon très cher Donat, le Seigneur a entendu les prières que tu lui adressais, de tout ton cœur, quotidiennement, à toutes les heures, ainsi que certains de nos frères, qui cherchèrent, grâce à leur confession glorieuse, la couronne éternelle

284Lactance, Op. cit., II, I, 11 : « Numquam igitur Dei meminerunt, nisi dum in malis sunt :

postquam metus deseruit et pericula recesserunt, tum uero alacres ad deorum templa concurrunt, his libant, his sacrificant, hos coronant, Deo autem quem in ipsa necessitate implorauerant, ne uerbo quIdem, gratias agunt ».

285 Ceci est une référence à l’évangéliste Matthieu 7, 13-14 : « Large est la porte, et spacieux

le chemin qui mène à la perdition, et nombreux sont ceux qui entrent par elle ; car étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la vie, et peu nombreux sont ceux qui le trouvent ».

286Ibid., VI, IV, 11 : « Erit itaque pauper, humilis, ignobilis, subiectus iniuriae ; et tamen omnia,

quae amara sunt, perferens. Et si patientiam iugem ad summum illum gradum finemque perduxerit, dabitur ei corona uirtutis ; et a Deo pro laboribus, quos in uita propter iustitiam pertulit, immortalitate donabitur. Hae sunt uiae quas Deus huma ».

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(sempiterna corona) de la foi »287. Dans la perspective sotériologique, la

couronne éternelle est le symbole de la vie éternelle en Dieu, la métaphore de la gloire auprès de Dieu. Lactance rejoint, dans ce passage, la même perspective que celle de Tertullien et de Cyprien.

Enfin, Lactance évoquant la couronne d’épines au moment de la passion de Jésus, donne à celle-ci une signification symbolique et prophétique : « La couronne d’épines placée sur sa tête (de Jésus) montrait qu’il rassemblerait plus tard pour lui le divin peuple parmi les coupables. Car on appelle couronne le peuple qui se rassemble en cercle »288. La couronne d’épines sur la tête du

Christ, qui rappelle ses souffrances et sa mort, devient le symbole par excellence de l’unité autour de sa personne. Cette perspective de Lactance rejoint celle de saint Jean quand il interprète dans son Évangile, la prophétie du grand prêtre Caïphe, pendant le grand conseil tenu par les chefs des prêtres et les pharisiens : « Ce qu'il (Caïphe) disait là ne venait pas de lui- même ; mais, comme il était grand prêtre cette année-là, il fut prophète en révélant que Jésus allait mourir pour la nation. Or, ce n'était pas seulement pour la nation, c'était afin de rassembler dans l'unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11, 51-52). Le Christ en tant qu’il est la tête du peuple, est couronné par les membres du peuple qu’il s’est acquis par sa mort. C’est la conséquence heureuse de la mort de Jésus dont parle l’évangéliste saint Jean, dans son récit de la passion : « Il est mort pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11, 52). Lactance exprime dans un style métaphorique que tous les membres du peuple forment la couronne sur la tête du Dieu saint, le Roi du monde et le Seigneur de tous les vivants :

287 Idem, Épitomé. Des institutions divines 68, 5 : « Audiuit Dominus orationes tuas, Donate

carissime, quas in conspectu eius per omnes horas <cotidie fundebas, ceterorumque> fratrum nostrorum, qui gloriosa confessione sempiternam sibi coronam pro fidei meritis quaesierunt ». Introduction, texte critique, traduction, notes et index par Michel Perrin, Paris, Cerf, 1978. Nous trouvons la même citation dans son oeuvre La mort des persécuteurs I, 1 : «Audivit dominus orationes tuas, Donate carissime, quas in conspectu eius per omnes horas <effundebas, deprecationes que> fratrum nostrorum, qui gloriosa confessione sempiternam sibi coronam pro fidei meritis quaesierunt ».

288 Idem, Institutions divines IV, XXVI, 21 : « Corona spinea capiti eius imposita id declarabat,

fore ut diuinam sibi plebem de nocentibus congregaret. Corona enim dicitur, circumstans in orbem populus ».

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Choisis parmi les buissons et les ronces, nous ceignons la tête sainte de Dieu ; parce que nous sommes convoqués par Dieu Lui-même, et rassemblés de toutes parts pour Lui, le Maître et le Dieu médecin ; et nous sommes attachés au roi de ce monde, et nous entourons le Seigneur de tous les vivants 289.

La couronne est ici une métaphore du salut de Dieu qui s’opère par un choix gratuit, puisque ceux qui ont été choisis sont pécheurs au départ. Elle est le symbole de l’unité que Dieu fait autour de lui. Nous pouvons constater que la thématique de la couronne chez Lactance n’a pas de lien direct avec les rites funéraires, même si elle est accordée par Dieu dans toute sa splendeur après la mort. Elle est surtout liée à la gloire céleste que Dieu accorde à ses fidèles qui quittent la vie terrestre. La couronne est une récompense pour la vertu du disciple qui lutte avec ténacité et constance contre les tendances égoïstes de la chair. Elle est la gloire que Dieu accorde aux martyrs de la foi qui ont poussé le témoignage de fidélité à Dieu jusqu’au don de leur vie, à l’exemple de Jésus couronné d’épines. La couronne est ici évoquée dans une perspective sotériologique où la cohérence vertueuse du croyant rencontre la justice éternelle de Dieu qui récompense les hommes de bien et punit les hommes malfaisants. Elle est enfin l’image de l’unité de tous les chrétiens autour de Jésus. La vision d’Augustin de la couronne n’est pas différente de celle des trois précédents auteurs africains.