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LA PLATEFORME THEORIQUE DE LA MODERNISATION DE LA PENSEE

CHAPITRE 1 : De la Nahdha aux néo-modernistes

1. Des origines :

Il est convenu de situer les débuts du mouvement réformiste moderne vers la moitié du XIX° siècle. Interpellé par la Renaissance européenne dont les effets dans le monde arabo-musulman se sont fait sentir après l‟évolution de la communication avec l‟Europe, les séjours de membres de l‟élite intellectuelle arabe et la traduction vers l‟arabe de livres d‟histoire, d‟ouvrages sur les mouvements intellectuels occidentaux et d‟œuvres politiques et littéraires. L‟esprit réformiste arabo-musulman s‟est articulé autour de deux thèmes, celui de la décadence des nations musulmanes, et celui de leur renaissance, Nahdha.

Le mouvement réformiste moderne désigne une dynamique de renouveau, engendrée principalement par deux courants : le courant moderniste de la fin du XIX° siècle, dans le sillage de la renaissance culturelle d‟une part, et le mouvement de réformisme salafiste, représenté par le courant al-Manar et notamment Mohammad Abduh d‟autre part, tous les deux étant soucieux de progrès, de renouveau et d‟évolution. C‟est à ce dernier que nous nous intéresserons dans cet exposé critique, vu que ce courant s‟inscrit dans le cadre de la problématique religieuse du renouvellement.

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Dans la forme qu‟il a prise alors, ce réformisme a cherché à s‟éloigner des expressions adoptées dans les siècles précédents , c'est-à-dire un sens purificateur, radicalisant, de la religion comme préconisé par le wahhabisme au XVII° siècle, ou bien un aspect européanisant, taxé de copier des mesures prises en Europe et de transplanter un modèle européen sur des secteurs isolés tels que l‟organisation politique, les aspects de la vie sociale, la tenue vestimentaire, l‟emploi de la langue et la traduction d‟ouvrages occidentaux, comme ce fut le cas dans l‟esprit des Tanzimat qui avaient déclenché l‟évolution libérale du régime ottoman. (1) On peut aussi citer dans ce cadre les mesures préconisées par Mohammed Ali en Egypte et le Général Khair-Eddine en Tunisie pour la réorganisation de l‟armée, de l‟administration, des institutions de l‟Etat et surtout la promulgation d‟une constitution en 1861.

Le mouvement réformiste, issu de la Nahdha, s‟est articulé autour de deux symboles, l‟un nationaliste, panislamiste, Jamâl Eddîne al-Afghâni, et l‟autre théologien azharîte, Mohammed Abduh. C‟est ce dernier qui développera le contenu de cet effort de renouvellement et les thèmes aussi bien que la doctrine du réformisme arabo-musulman. C‟est donc à ses écrits que nous ferons référence, vu son influence sur le mouvement réformiste arabo-musulman et ses prolongements ultérieurs chez les conservateurs ou les modernistes ultérieurs.

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(1) Les Tanzimat sont une série de mesures entreprises sous le règne de Abdul-Majid

I (1839-1861), notamment celles du 3 novembre 1839 et du 1er février 1856, qui mirent en marche un processus de libération au niveau des institutions et de la vie politique (garanties des libertés civiles, égalité des sujets musulmans et non-musulmans au sein de l‟empire.) Voir Islah, Encyclopédie de l‟islam, nouvelle édition IV, Leiden, E.J Brill, Paris, G.P. Maisonneuve et La ROSE S.A, 1978, p.150.

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La pensée de Mohammed Abduh répondait principalement aux thèses traditionalistes et aussi à celles des libéraux modernistes de son époque. Il part de la conviction que la doctrine musulmane peut encore être le cadre capable de répondre aux exigences de la modernité et que la supériorité des nations étrangères, auxquelles les populations musulmanes se trouvaient soumises, n‟a pas de causes religieuses ou morales mais qu‟elle est due essentiellement à une supériorité technique aboutissant à une prépondérance politique.

Il est aujourd‟hui convenu de dire que le réformisme de la Nahdha, dominé par l‟esprit de Mohammad Abduh et de Jamâl Eddîne al-Afghâni, a été sur-étudié, voire épuisé. Aussi nous contenterons-nous ici d‟en donner un aperçu sommaire, d‟autant plus que le réformisme de la Nahdha n‟est pas le cœur de notre sujet. Il nous servira de point de départ pour nous pencher davantage sur le renouvellement actuel, celui préconisé par les néo-modernistes pour lesquels la pensée islamique est au centre de leur problématique. Contrairement à certains libéraux modernistes du début du XX° siècle, pour lesquels la religion n‟entrait pas dans leur démarche de modernisation de la société, les néo- modernistes actuels ne cherchent pas à écarter l‟islam de la problématique de renouvellement et de réforme, mais ils œuvrent plutôt pour une relecture du patrimoine et une reconstruction du savoir religieux qui couperait avec les modèles anciens, avec toute approche traditionnelle. C‟est sur la base de cet intérêt à la religion que nous avons choisi de suivre l‟évolution du réformisme en prenant le mouvement dominé par M. Abduh comme point de départ.

Pour cela, nous donnerons un aperçu général de la pensée et des œuvres de réforme du mouvement de la Nahdha, mais nous ne nous attarderons que sur les points qui nous ont semblés avoir une relation avec la nouvelle problématique de renouvellement de la pensée islamique chez les néo-modernistes de la période actuelle, notamment en ce qui concerne la

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méthodologie, la portée religieuse de la réforme, le rôle de la raison, l‟attitude face à la Tradition et la portée sociopolitique de la réforme. Nous nous intéresserons à délimiter les points de continuité et de rupture entre les deux approches, notamment leur apport dans le renouvellement de la pensée islamique.

Les tâches essentielles de la réforme religieuse, préconisées par Mohammad Abduh notamment, se sont axées sur un certain nombre de points dont essentiellement une tentative de recentrer le discours théologique sur la raison, une nouvelle approche de l‟exégèse coranique et un nouveau regard sur la Sunna.