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LA PLATEFORME THEORIQUE DE LA MODERNISATION DE LA PENSEE

CHAPITRE 2 : La question de la modernité

2. Quelle modernité ?

2.1 Définition de la modernité :

2.2.3 Modernité intellectuelle contre modernité matérielle

européenne face aux pressions, aux résistances, aux rejets, aux positions de pouvoir de l‟Eglise catholique, rejointe ultérieurement par les fondamentalistes protestants. »(1) Pour lui, comme pour H. Abou Zeid d‟ailleurs, l‟urgence est

d‟apporter une réponse au phénomène islamiste sans faire l‟économie d‟une remise à plat de la pensée islamique. Le parallèle établi avec le parcours européen de la pensée, durant les trois derniers siècles, qui a abouti à la séparation de l‟Eglise et de l‟Etat, est intéressant à relever d‟autant plus que les sociétés musulmanes n‟ont pas connu le même développement que les sociétés européennes.

2.2.3 Modernité intellectuelle contre modernité matérielle

La troisième idée récusée est celle qui prétend mettre en place un système de modernisation qui gagne de plus en plus toutes les sociétés humaines, sans se soucier de l‟adéquation originelle entre modernité intellectuelle et modernité matérielle.

Sans vouloir trop s‟engager dans des discussions théoriques parfois délicates, M. Arkoun se montre critique à l‟égard de la modernité matérielle. Il rappelle que « l‟industrialisation s‟est, en fait, accompagnée d‟une culture dite moderne qui sépare « sciences exactes » et sciences de l‟homme, théorie et praxis au point de légitimer des manipulations économiques et politiques par un discours humaniste abstrait. Cette ambivalence du concept de modernité a été

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dévoilée par les critiques convergentes de Marx, Nietzsche, Freud et leurs nombreux disciples. » (1) A travers ces dérives, M. Arkoun dénonce une modernité européenne qui s‟est avérée « instrumentalisée », « opportuniste », « capitaliste ». A la modernité de l‟âge classique (1680/1940), a succédé un autre moment qu‟il situe depuis les années 1950, dénommé tour à tour, « postmodernité », « sur modernité » ou « anthropologie de la modernité »(2)

Partant de ce constat, comment se présente le parcours à faire ? Faut-il engager les sociétés musulmanes dans un processus de développement interne susceptible de les faire évoluer dans le même sens que les sociétés occidentales ? S‟agit-t-il, au contraire, de plaquer des recettes toutes faites importées sur ce sociétés ?

Pour Arkoun, la question essentielle à poser se résume dans sa proposition simple : « Il n‟y a pas de discours innocent ». Se plaçant dans la démarche des sémiologues et des sémioticiens adeptes de la « genèse destructrice du sens » selon l‟expression de Julia Kristeva, il définit sa position en ces termes : « Pour qui a fréquenté pendant de longues années les grands textes de la pensée islamique, puis l‟exploitation qu‟en a faite l‟islamologie occidentale, d‟une part, la Renaissance (Nahda) islamique, d‟autre part, il apparait que la question essentielle pour l‟islam face au développement – ou si l‟on veut pour réinsérer l‟Islam dans l‟effort de libération humaine en cours – peut se formuler ainsi : « Comment assurer à l‟esprit humain les conditions et les moyens d‟une reconquête permanente de sa liberté par un dépassement continu des formes, des cadres, des thèmes, des significations, des procédures,

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(1) ARKOUN M., La pensée arabe, op.cit., p96.

(2) ARKOUN, Mohammed, « Islam et modernité » in Péril islamiste, sous la direction d‟Alain Gresh, Complexe, 1994, p 208.

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des styles qui tendent à constituer une tradition, c‟est-à-dire un lieu de répétition, de conservation, d‟enfermement ? » (1)

Arkoun se positionne dans une perspective de libération de la pensée islamique dont les conditions seraient de « briser la corrélation Orient-Occident, connaître scientifiquement les niveaux de tradition islamique, reconnaître pour la contrôler la dialectique entre développement économique et développement culturel ».(2) Pour lui, l‟action de libération de la pensée est indissociable d‟une « stratégie de développement » qui lierait la primauté de « la recherche scientifique » à « une politique de l‟information ». (3)

A.Charfi part lui aussi du fait que « la civilisation arabe n‟était, ni dans le passé ni dans le présent, isolée des grandes civilisations historiques. Mais elle est interactive avec ces civilisations, dans ses périodes de force et durant ses périodes de faiblesse également. » (4) Il rejoint Arkoun dans sa volonté de réhabiliter le passé rationnel islamique et de construire un nouvel entendement susceptible d‟accorder l‟islam à la modernité.

M. Arkoun et A. Charfi analysent ainsi la situation sociale et économique en corrélation avec l‟état de la pensée. M. Arkoun propose ainsi de renforcer la recherche scientifique au détriment de la politique de généralisation de l‟enseignement qui dispense une idéologie qui rejoint de fait l‟idéologie islamique classique. Sa proposition est de fonder une recherche scientifique dans les sciences de l‟homme qui aura pour tache d‟émanciper la pensée et la recherche dans les domaines de l‟histoire, de la géographie, de l‟anthropologie, de la sociologie, de la dialectologie, des langues islamiques et étrangères,

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(1) ARKOUN M., Essais sur la pensée islamique, op. cit., p. 305 (2) Ibid.

(3) Ibid., p.314

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de constituer une philosophie islamique, à l‟instar de celle du Moyen Age islamique, et de constituer un savoir libérateur nouveau à dispenser dans les écoles pour émanciper les esprits. « De même que les inventions de l‟ingénieur sont diffusées dans les foyers les plus humbles sous la forme d‟objets utilitaires, de même les notions libératrices dévoilées par la recherche doivent être mises à la disposition de tous les cerveaux. » (1)

Il appelle à « la mise en place d‟une politique commune de la recherche en sciences de l‟homme et de la société. Elle suppose la diffusion large des résultats de cette recherche tant par les médias que par un tronc commun du système éducatif pour l‟enseignement de disciplines-clefs capables d‟apporter des réponses fiables, scientifiquement élaborées, aux problèmes qui ont divisé depuis des siècles des consciences dites civiques, nationales ou religieuses également conditionnées par des historiographies partisanes, mytho-idéologiques et mobilisables à tout moment contre l‟ennemi construit de longue date. Car c‟est bien cela qui continue de se passer et que l‟on continue de travestir par des dialogues interreligieux, interculturels où l‟on ressasse depuis Vatican II et la prétendue décolonisation, des appels moralisants à la tolérance, des déclarations de respect pour les valeurs de l‟autre... » (2)

Charfi propose, quant à lui, l‟ouverture d‟un Institut d‟études religieuses qui prendrait en charge les recherches et les études multidisciplinaires qui devraient contribuer à l‟élaboration d‟une pensée islamique renouvelée. (3)

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(1) ARKOUN M., Essais sur la pensée islamique, op. cit., p. 316 (2) ARKOUN M., Le Monde Diplomatique, avril 2003

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Arkoun ajoute à la définition socio-historique de la modernité une perspective philosophique. La « modernité intellectuelle » ouvre la voie à un « postulat actif de la modernité gréco- monothéiste (espace méditerranéen formé par le monothéisme) ». Grâce à l‟approche anthropologique, Arkoun réussit aussi à établir une interpénétration des trois Ages : « mythique, classique et

préfiguration » aussi bien chez les sociétés traditionnelles que modernes. Il

critique à la fois « l‟intelligibilité médiévale » qui opère par vision dichotomique et la « raison absolutiste » (celle des Lumières et ses prolongements). Son œuvre critique se veut « scientifiquement universelle, rejette les concepts de « postmodernité » ou « sur-modernité » et favorise le concept de « raison émergente » à la fois substitut et garde-fou des volontés hégémoniques. Ce programme mène naturellement à poser le problème des valeurs et des normes selon lesquelles on devrait construire et diffuser la modernité.