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CHAPITRE III. Le cadre théorique

4. Les approches méthodologiques

4.2 L’aventure déconstructive

Comme nous l‟avons vu pour le recours à la linguistique et à la sémiologie dans l‟approche des textes, les Néo-modernistes se placent dans la démarche déconstructive telle qu‟initiée par Jacques Derrida. (3)

--- (1) Ibid., p.132.

(2) ARKOUN M., Lectures du Coran, op. cit., p XXXI.

(3) Jacques Derrida présente ainsi sa « définition » du mot déconstruction : « Déconstruire, c‟était aussi un geste structuraliste, en tout cas un geste qui assumait une certaine nécessité de la problématique structuraliste. Mais c‟était aussi un geste anti-structuraliste – et sa fortune tient pour une part à cette équivoque. Il s‟agissait de défaire, décomposer, désédimenter des structures (toutes sortes de structures, linguistiques, « logocentriques », « phonocentriques » - le structuralisme étant surtout dominé alors par des modèles linguistiques , de la linguistique dite structurale qu‟on disait aussi saussurienne - , socio-institutionnelles, politiques, culturelles et surtout, et d‟abord, philosophiques) (…) Mais défaire, décomposer,

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Même s‟il s‟appuie sur la linguistique structurale de Saussure, Abou Zeid entreprend une aventure linguistique –déconstructive, dans sa quête du sens, lorsqu‟il étudie « l‟archive » de l‟islam. Charfi s‟inspire librement de cette démarche pour décomposer les structures cognitives du fiqh afin de recomposer une nouvelle intelligibilité susceptible de moderniser la pensée islamique. Nous verrons dans la deuxième partie l‟ampleur de la démarche reconstructive du fiqh chez Charfi.

Enfin, Arkoun nous présente une méthode inspirée de la déconstruction qu‟il nomme « progressive- régressive ». Appliquée aux productions sur les « visions éthiques » et « politiques» en islam, cette méthode présente l‟avantage d‟une prise en compte globale du fait islamique. « La méthode

progressive régressive, dont j‟esquisse ici les lignes, incite à remonter vers le

passé en tenant compte de toutes les manipulations dont il est l‟objet à chaque conjoncture historique nouvelle ; en redescendant vers notre temps, en marquant les disparitions irréversibles et les apports positifs injustement oubliés ou susceptibles d‟être réactivés en contexte moderne. On aura alors accompli simultanément un acte total de connaissance scientifique et de pensée sur cette connaissance.» (1)

Arkoun s‟adjoint aussi des concepts nouveaux qu‟il forge à partir de sa vision anthropologique de la religion et qui lui servent à décomposer, à

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désédimenter des structures, mouvement plus historique, en un certain sens, que le mouvement « structuraliste » qui se trouvait par là remis en question, ce n‟était pas une opération négative. Plutôt que de détruire, il fallait aussi comprendre comment un « ensemble » s‟était construit, le reconstruire pour cela. » in Jacques DERRIDA, Lettre à un

ami japonais, Le Promeneur, XLII, mi-octobre 1985.

(1) Arkoun Mohammed, L‟islam, morale et politique , Paris, Desclée de Brower/UNESCO, 1986, pp.21-22.

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démembrer et à séparer : religion- forme, religion- force, fait coranique et fait islamique, ou encore moment prophétique et moment impérial. Dans l‟opération de recomposition, Arkoun introduit de nouveaux concepts, Islam de base et personnalité islamique de base (PIB) ou la conceptualisation de G. Dufrenne : Personnalité individuelle (PI) et société globale (SG), qui lui permettent d‟appréhender le fait religieux dans sa totalité. (1)

La nouvelle conceptualisation sert à mieux reposer la question de l‟islam face à la modernité, ainsi le travail conceptuel devient particulièrement instructif quand se produit la confrontation avec la modernité. Elle cherche surtout, non pas à opposer un islam idéal, figé, invariant à une modernité diabolisée, mais à chercher, pour les deux composantes, les points de rencontres et les niveaux de rupture, les abandons et les annexions, les altérations et les métamorphoses. Elle détermine enfin le rôle des individus, surtout les responsables politiques, et des groupes dans ces relations. Arkoun tire de cette méthode une triade conceptuelle, dont la référence à Jacques Derrida est patente, qu‟il applique dans sa démarche anthropologique : « transgresser », « déplacer », « dépasser ». On pourrait résumer ainsi cette triade opératoire.

---(1) « Elle nous permettra de dépasser les oppositions si tenaces entre individu et société, psychologie et sociologie, sociologie et histoire en substituant à la rigidité formelle et linéaire de la pensée causale, la dialectique souple du donné et du vécu. Car la personnalité de base « est au cœur de cette double action, située à mi-chemin entre les institutions primaires et secondaires, elle constitue une totalité parce qu‟elle se réfère à ce commun dénominateur qu‟est la personnalité de base et se comprennent par rapport à elle qui les subit ou les promeut. Il y a donc là un appareil conceptuel qui permet à la fois au psychologue d‟étudier l‟influence de la culture sur la formation de la personnalité et la réaction de la personnalité sur la culture, et au sociologue d‟interpréter la culture comme un tout. »in (M. Dufenne, La

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« Transgresser » les terminologies, les concepts et les postures

intellectuelles issues de visions théologiques qui ont « mythologisé » les textes fondateurs en les figeant dans une tradition aux cadres dogmatiques immuables, par le biais des outils cognitifs des sciences humaines et sociales.

« Déplacer » les structures de cette tradition théologique figée vers

d‟autres territoires d‟approches et d‟analyses pour dévoiler ce qui a été masqué, perverti, refoulé.

« Dépasser » le discours dogmatique et « mythologiste » qui s‟exprime

dans les cadres intellectuels de la pensée traditionnelle, dans le but de dégager le caractère dynamique et évolutif inhérent à l‟épistémè moderne qui requiert une attitude interrogative et une remise en question permanente.