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Chapitre 1 – La Fonction Publique à la recherche d’un modèle de management

1. La réforme de l’Etat en France : quand la gestion privée arrive au service public

1.1. New Public Management : le tournant managérial de la Fonction Publique

Composé d’un ensemble hétérogène de principes tirés de théories économiques, de savoirs managériaux et de pratiques expérimentées notamment dans les pays anglo-saxons (Hood, 1991 ; Gow & Dufour, 2000), le New Public Management est un « puzzle doctrinal à vocation générique » (Bezes, 2005, p.28) qui prône la gestion rationnelle des entreprises privées comme modèle de réformes des organisations publiques. Hood (1995) distingue sept éléments caractéristiques de cette doctrine :

1. Une tendance à désagréger les organisations publiques en unités entrepreneuriales pour chaque service du secteur public ;

2. Une tendance à favoriser la compétition entre services publics, et entre secteur public et secteur privé ;

3. Un usage accru des pratiques managériales issues du secteur privé ; 4. Une recherche accrue du moindre coût ;

5. Un développement du contrôle par le top-management ;

7. Une tendance à contrôler les organisations publiques à partir de mesure d’objectifs de production.

1.1.1. Le bouleversement des organisations publiques

Ce changement radical de la conception traditionnelle des organisations publiques, qui était jusqu’alors basée sur un modèle bureaucratique, critique les propriétés institutionnelles historiques des administrations (Bezes & Padis, 2008). Pour Amar & Berthier (2007), le New

Public Management repose sur le postulat que le recours au modèle de l’entreprise permet de

lutter contre les dysfonctionnements bureaucratiques du secteur public. Une des orientations est de transformer la structure hiérarchique de l’administration en renforçant les responsabilités et l’autonomie des échelons en charge de la mise en œuvre de l’action de l’Etat, notamment au niveau des cadres de proximité, et de mettre en place une gestion par les résultats basée sur la réalisation d’objectifs et sur l’évaluation de la performance.

Les techniques managériales importées du secteur privé seraient plus adaptées pour obtenir un meilleur rapport coût-efficacité pour les gouvernements (Hood, 1995). En reprenant à son compte un certain nombre de principes et d’outils du NPM, l’administration passe d’une culture de moyens à une culture de résultats : amélioration de la gestion budgétaire, renforcement du contrôle de gestion, mise en place de dispositifs de mesure de la performance essentiellement quantitatifs, développement de la contractualisation, introduction massive des technologies de l’information et de la communication, développement du principe de rendre des comptes à l’Etat et aux citoyens.

En France, un certain nombre de mesures ont été prises depuis les années 1980 de manière moins drastique que dans d’autres pays, et sans forcément être associées à la Nouvelle Gestion

Publique (Bezes, 2008). La mise en place d’une politique budgétaire pour réduire les

dépenses de l’administration, le blocage des salaires puis le ralentissement de leur progression, et la réduction des emplois en sont les mesures phares. Selon le même auteur, les années 1990-2000 marquent un tournant dans l’évolution des politiques de réformes françaises, dont les contenus et les amplitudes de changements sont alors ouvertement associés par l’administration aux outils du NPM.

L’émergence de cet esprit gestionnaire entraine une reconfiguration du pouvoir avec l’introduction du cadre manager, c’est-à-dire celui « qui dirige à partir de la maitrise des

outils et des produits de la quantification » (Ogien, 2012, p.15) alors que ce cadre était auparavant reconnu pour ses qualités de technicien et de proximité à son équipe. Jusque récemment, l’application des choix politiques reposait fortement sur le rôle tenu par les hauts fonctionnaires (Bezes & Padis, 2008). Cette spécificité française de configuration politico-administrative fait que les réformes tirées du NPM se sont d’abord développées par le haut de l’organisation. Selon ces auteurs, ces technocrates affichaient comme objectif de tirer les conséquences des transformations affectant le système administratif et d’adapter les structures de l’Etat aux évolutions. Pour Debar (2009), la complexité administrative française augmente la vision floue des réformes pour les agents, voire pour les cadres de proximité, qui ont des difficultés à leur donner du sens.

1.1.2. New Public Management : un modèle critiqué

Cette vision managériale des organisations publiques, qui tend à vouloir assimiler la gestion du secteur public à celle du secteur privé, est loin de faire consensus et fait l’objet de critiques depuis de nombreuses années (Dunleavy & Hood, 1994 ; Gaulejac, 2005). Selon Pollitt & al. (2007), l’amélioration de la performance des services de l’Etat reste discutable plus de trente ans après les premières applications des principes du New Public Management au Royaume-Uni. Dans l’ensemble des pays qui les ont adoptées, malgré certains succès et des transformations évidentes, la réussite reste mitigée à cause notamment d’effets pervers liés aux outils du NPM (Pollitt & al., 2007), lesquels effets sont d’ailleurs à l’origine de nombreux scandales financiers dans la sphère privée comme la société Enron3aux Etats-Unis, prouvant ainsi que les méthodes de management issues du privé ne sont pas irréprochables.

Dans le NPM, l’évaluation de la performance quantifiée produit aussi des dérives de l’action publique : les agents sont peu à peu incités à accroitre la performance qui est mesurée par indicateurs, et non plus à améliorer les résultats des politiques engagées en termes d’objectifs (Salais, 2010a). La performance comme objectif est alors court-circuitée par l’évaluation comme référence. Pour Amar & Berthier (2007), l’environnement et le degré de complexité du secteur public, où les multiples objectifs et acteurs compliquent l’évaluation de la performance, ne sont pas comparables à celui du privé. Pour ces auteurs, le management public nécessite des réponses qui peuvent certes s’inspirer du privé, mais qui doivent être

3La société Enron, l’une des plus grandes américaines, a fait faillite en décembre 2001. Son système de courtage par lequel elle achetait et revendait l’électricité a connu de très grosses pertes dues à des opérations spéculatives sur ce marché. Celles-ci avaient été maquillées en bénéfices par des opérations comptables.

adaptées. Salais (2010b), quant à lui, critique le caractère « boite à outil universelle » revendiqué par le NPM, où la culture de performance n’est pas la préoccupation de l’efficience pour dépenser mieux selon les objectifs fixés par les politiques, mais dépenser moins pour mettre en concurrence le service public et l’entreprise privée.

La succession des réformes administratives, leurs impacts sur la gestion et les transformations des organisations publiques interrogent les valeurs des systèmes de management et des dispositifs de gouvernance publique, tout comme la place des personnes dans ces modèles de management (Bartoli & al., 2011). Pollitt (2000) évoque les réformes comme responsables de conséquences humaines négatives potentiellement élevées. Avec la mise en place du New

Public Management qui a suscité des résistances individuelles et collectives (Van Haeperen,

2012), les fonctionnaires, agents et cadres, perçoivent des risques sur leur rémunération, leur reconnaissance, leur protection et leur autonomie (Amar & Berthier, 2007).

Encore peu d’études dans la littérature ont exploré les impacts d’un tel mode de management sur la santé des personnels, alors que de nombreux signaux sont alarmants : sous-effectifs, turnover important, postes vacants non pourvus, tarissement des sources de satisfaction au travail, troubles psychosociaux, etc. (Bezes, 2012 ; Gaulejac, 2012). Bezes (2012) dénonce le malaise des personnels de la Fonction Publique d’Etat dans le cas de réorganisations par fusion, où la bureaucratie est perçue comme accentuée, par l’allongement des hiérarchies et l’inadéquation des instruments gestionnaires aux nouveaux schémas d’organisation. Les collectivités territoriales peuvent tirer ce même bilan négatif lorsque les exigences des différentes dimensions du NPM qui pèsent sur le personnel conduisent à l’épuisement professionnel (Abord de Chatillon & Desmarais, 2012). Retombant dans les travers de la bureaucratie, ces innovations managériales perdent leurs sens en créant, au contraire, des excès d’instrumentations et de contrôles procéduriers. En confondant objectif et moyen, certaines pratiques oublient les valeurs-mêmes du service public en provoquant des incompatibilités et des contradictions (Worms, 2006 ; Bartoli & al., 2011).

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