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Chapitre 3 – Parcours professionnels et construction du couple proximités / distances

4. Espace de débat : une ressource pour la construction partagée

4.4. Un double objectif pour les espaces de débat sur le travail

En ergonomie, les démarches participatives s’appuyant sur le travail réel tiennent une double fonction : comprendre le travail et le transformer. L’approche participative permet de détecter les éléments des organisations qui peuvent mener à des dysfonctionnements de celles-ci ou des risques sur la santé des travailleurs, et de les corriger à un stade précoce du processus de conception (Daniellou, 2006) ou d’amélioration des situations de travail existantes. L’ergonomie participative est donc une approche fondamentale pour impliquer activement les opérateurs de différents niveaux des organisations de manière à ce que les différents points de

vue soient pris en compte dans la poursuite de ce double objectif. Pour Petit, Dugué & Daniellou (2011), les seules actions sur l’organisation qui vaillent sont celles menées en associant les travailleurs eux-mêmes. Ces espaces ouvrent la négociation de savoirs qui favorise une forme de démocratie provisoire (Daniellou, 2013), c’est-à-dire que la prise de décision est partiellement délocalisée au niveau des participants à ces espaces, ce qui n’est pas habituel au fonctionnement des organisations (Petit & Dugué, 2013). Cela permet d’aboutir à une compréhension plus adéquate de l’activité des uns et des autres, puis d’apporter des changements dans l’organisation et de résoudre les problèmes associés. Mollo & Nascimento (2013) ajoutent que cette pratique aboutit à la construction de nouveaux savoirs et savoir-faire, et par-delà au développement des compétences des travailleurs.

Encore peu de travaux s’intéressent aux méthodologies pour accéder au travail réel dans les espaces de discussion alors que des méthodes de convocation de l’activité ont été développées : auto-confrontation (Mollo & Falzon, 2004), auto-confrontation croisée (Clot & al., 2000), entretien d’explicitation (Vermersch, 1994), simulation du travail (Maline, 1994 ; Barcellini & al., 2013). Par le biais de l’activité, les participants aux espaces de discussion sont amenés à libérer une part de leur travail par rapport à une situation de travail située dans l’espace et le temps, les discussions se mélangeant entre expériences passées, débats actuels et situations probables futures (Rocha, 2014). Convoquer l’activité a pour but de libérer les savoirs « enfouis » sur l’activité de travail des participants, d’échanger avec le groupe une partie de leur activité, relative à une situation de travail située spatialement, temporellement et contextuellement (Van Belleghem & Forcioli Conti, 2015).

Ainsi, en ergonomie, des interventions portent sur la mise en place de dispositifs structurant le débat sur le travail (Rocha, 2014), afin que les travailleurs agissent eux-mêmes sur leur propre travail. Pour cela, les ergonomes recherchent les conditions favorables afin que les paroles des participants aient la puissance d’action nécessaire pour transformer les situations de travail (Daniellou & Garigou, 1995). En confrontant les faits d’observations et les descriptions de l’activité, les ergonomes participent ainsi à la conception de nouvelles situations de travail. Pour Van Belleghem & Forcioli Conti (2015), convoquer l’activité permet d’intégrer les logiques de subsidiarité de l’organisation pour les renforcer. Ces auteurs considèrent d’ailleurs les espaces de discussion comme une autre façon de voir l’acte de management. Pour Rocha (2014, p.8), la mise en place d’espaces de débat au niveau des opérateurs va jusqu’à « repenser la manière de manager les organisations actuelles ».

Mise en problème

Comme discutée dans la Partie I, la littérature relative aux modèles de management dans la Fonction Publique relève un certain nombre de difficultés pour les cadres de proximité : pilotage à distance par les chiffres, régulation d’injonctions contradictoires, intensification du travail, perte de sens du métier, responsabilisation aux conditions de vie au travail, etc. Pour ces organisations publiques, l’enjeu repose sur l’articulation entre pilotage par la performance et conditions de vie au travail, dans lesquelles les cadres de proximité ont un rôle primordial à tenir alors qu’ils sont contraints à se débrouiller seuls, souvent sans soutien.

En effet, nous avons montré que le quotidien des cadres de proximité est fait de régulations quotidiennes. Ils font face à des injonctions contradictoires issues de temporalités différentes selon le positionnement des acteurs dans l’organisation. Le métier d’encadrement comprend lui-même un paradoxe de positionnement : mise à distances par un pilotage par les chiffres ou les stratégies de préservation de la santé, et recherche de proximités prescrites par le terme-même de cadre de proximité et par les valeurs portées par le service public.

Pour comprendre la posture d’équilibriste de ces cadres et leurs conséquences, nous proposons une lecture de l’activité d’encadrement de proximité en examinant le couple proximités / distances et les parcours professionnels des cadres de proximité. Les parcours sont ici entendus à la fois comme succession de fonctions et accroissement du temps vécu.

Nous faisons l’hypothèse que les cadres de proximité réélaborent en permanence dans l’activité d’encadrement leur rapport au couple proximités / distances, ceci dans la recherche de la « distance proximale », c’est-à-dire se situer ni trop près ni trop loin d’autrui. Celui-ci dépend de l’expérience acquise au fil de leurs parcours, des transformations qu’a connues et connait encore l’administration étudiée et de la configuration des services et des équipes encadrées. Pour cela, nos questionnements et nos analyses sont structurés par quatre fils conducteurs que nous rappelons ci-dessous :

1. Les « proximités » adoptées par les cadres de « proximité » ; 2. Les cadres de proximité à la recherche de la distance proximale ; 3. L’expérience acquise au fil des parcours de travail ;

Notre recherche vise à combiner les dimensions synchronique et diachronique du travail pour d’une part analyser les transformations du milieu professionnel des cadres de proximité et d’autre part comprendre le rôle de l’expérience construite au fil de leurs parcours. Cela nous amène également à interroger les conséquences de ces transformations et celles de l’expérience sur l’activité d’encadrement de proximité et sur la relation de ces cadres aux métiers et aux missions, à la fois les leurs et ceux des équipes qu’ils encadrent.

Suite à une analyse des changements de l’administration en question et d’une reconstitution des parcours des cadres participant à la recherche, nous nous interrogeons sur ce qu’est l’activité d’encadrement de proximité au quotidien. Le but est de comprendre comment les transformations du travail et des missions (voire du métier) se traduisent dans l’activité d’encadrant et quels impacts ces transformations peuvent avoir sur la construction du couple proximités / distances :

Comment les cadres de proximité s’approprient et mettent en œuvre les missions qui leurs sont confiées au travers notamment du dialogue de gestion ?

Comment les cadres de proximité parviennent-ils (ou pas) à tenir leurs missions ? Quel en est le coût en termes de santé et de performance ?

Quel(s) positionnement(s) ont-ils au quotidien en termes de distances et de proximités par rapport aux différents paramètres constituant leur activité (indicateurs, conditions de vie au travail des agents, rapport à la hiérarchie, sens du métier, etc.) ?

Comment se caractérise la « distance proximale » dans l’activité d’encadrement de proximité ?

Ces interrogations sont suivies par des questionnements autour des ressources à disposition des cadres de proximité, à la fois externes (organisation du travail, réseau professionnel, soutien des équipes encadrées, etc.) et internes, dont le rôle de l’expérience est central :

De quelles ressources disposent les cadres de proximité pour réaliser leurs missions ?

En quoi l’expérience peut-elle être une ressource dans la réalisation de l’activité, notamment vis-à-vis de la régulation du couple distances / proximité par les cadres ? Comment celle-ci est mobilisée par les cadres de parcours différents ?

Après le Chapitre 4 présentant la méthodologie générale, les résultats seront exposés en quatre chapitres dans la Troisième partie :

- L’analyse des transformations du travail des cadres de proximité à travers les espaces de dialogue ;

- La reconstitution de parcours de cadres participant à la recherche pour comprendre les continuités et ruptures et appréhender les transformations possibles suite à la fusion ; - L’analyse de l’activité notamment par observations et auto-confrontations, pour

comprendre les régulations que les cadres de proximité effectuent au quotidien dans leur positionnement entre proximités et distances par rapport au pilotage par la performance et au travail réel des équipes encadrées ;

- L’étude du rôle de l’expérience dans la construction du couple proximités / distances par une approche collective.

Chapitre 4 – Un croisement de méthodes pour accéder

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