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Chapitre 1 – La Fonction Publique à la recherche d’un modèle de management

1. La réforme de l’Etat en France : quand la gestion privée arrive au service public

1.3. La DGFiP au cœur de changements permanents

Notre terrain situé au sein du ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, illustre les conséquences, majoritairement listées dans la littérature convoquée ci-dessus, que peuvent avoir ces modèles de management de la Fonction Publique aux niveaux des personnels et particulièrement pour celui des cadres de proximité. Les éléments avancés ici sont issus de notre compréhension de cette administration, grâce aux données recueillies par notre participation aux différentes études avant thèse et la période passée à l’IRES.

1.3.1. La fusion de deux administrations aux fonctions régaliennes

Afin d’aboutir aux objectifs des réformes impulsées par la LOLF, la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP) est née d’une fusion créée par décret du 3 avril 2008 entre les deux administrations centrales de la Direction Générale des Impôts (DGI) et la Direction Générale de la Comptabilité Publique (DGCP) aux missions complémentaires et métiers différents (cf. Tableau 1), avec souvent les mêmes usagers ou interlocuteurs.

DGI – 79 000 agents DGCP – 58 000 agents

Calcule et contrôle l’impôt des particuliers et des entreprises.

Assure la perception de certains impôts. Gère les activités cadastrales et foncières.

Assure le recouvrement des impôts des particuliers.

Assure la perception des recettes et le paiement des dépenses des collectivités territoriales.

Assure le paiement des dépenses de l’Etat. Gère le domaine.

Tient la comptabilité de l’Etat et des collectivités territoriales.

Tableau 1 : Missions des deux administrations avant la fusion de 2008

Souhaitant diminuer les redondances et la complexité administrative, l’Etat a connu plusieurs projets de réformes qui se sont succédé dans le passé, sans réussite. Le dernier échec est celui de la mission « 2003 » conduite entre 1997 et 2000. Selon Pernot (2002), les explications avancées sur cette réforme manquée des finances restent trop sommaires : postulats sur le faible engagement réformateur du politique, posture présumée des hauts fonctionnaires, ou encore réaction conservatrice des syndicats. Pour cet auteur, il est nécessaire de compléter l’approche des politiques publiques dite d’en haut, comme nous l’avons vu avec des modèles du type du New Management Public, par une approche d’en bas, à partir du travail, de

manière à mieux articuler les règles établies par l’organisation avec le travail réel. Rejetée suite à une forte mobilisation des personnels craignant pour leurs emplois et conditions de travail, cette réforme n’a pourtant pas été abandonnée. Dès 2004, ces projets ont été repris par une méthode plus progressive et incrémentale, le « Bercy ensemble », autour de deux axes : d’une part la perception de l’usager sur son contact avec l’administration, les facilités et les difficultés qu’il y rencontre ; d’autre part, la rationalisation du fonctionnement de l’administration (Grimault & al., 2005).

Avant 2008, la DGI et la DGCP mènent des changements chacune de son côté (cf. Tableau 2) sans forcément afficher la volonté de préparer la fusion future, ni de s’inscrire ouvertement dans l’esprit du New Public Management. En effet, au niveau de la DGI, les structures sont simplifiées par des rapprochements de services et des transferts de tâches, en menant en parallèle la rationalisation de ses services par les technologies de l’information et de la communication. Pour la DGCP, de nouveaux cœurs de métiers sont définis autour des missions d’interlocuteur fiscal unique des particuliers et du contrôle/conseil des collectivités locales. Les nombreux changements dans ces deux filières ont des répercussions directes sur le métier de cadre de proximité qui ne cesse de se transformer au fur et à mesure des transferts de missions au sein des services. Le soutien technique apporté par les cadres et leur rôle pédagogique pour expliquer ces changements aux équipes de travail sont devenus un véritable enjeu pour les cadres de proximité pour redonner du sens au métier, tant les mutations décidées au niveau central bouleversent en permanence la vie dans les services de proximité.

DGI DGCP

2001 : Ouverture du portail impots.gouv.fr 2002 : Rapprochement des Centres Des Impôts (CDI) chargés du calcul et de l’assiette, et des recettes des impôts avec la perception de la TVA.

2002 : Création des Centres Impôts Service. 2003 : Rapprochement des Centres Des Impôts (CDI) et des Centres Des Impôts Fonciers (CDIF).

2004 : Création des Services des Impôts des Entreprises (SIE) avec le transfert du recouvrement des impôts professionnels. Déploiement des procédures dématérialisées.

2002 : Abandon de l’activité bancaire. 2004 : Adossement de la redevance à la taxe d’habitation.

2005 : Spécialisation des trésoreries en milieu urbain en grands domaines d’activité (fiscal « recouvrement », secteur public local, amende, etc.)

2000-2007 : Fermeture de 700 trésoreries en milieu rural passant à 3 100 postes.

1.3.2. Des changements aux conséquences cristallisées au niveau des cadres de proximité

La création de la DGFiP poursuit ce double objectif de rationalisation et d’interlocuteur fiscal unique. La fusion qui se veut, pour ses responsables, emblématique de la capacité de l’Etat à se réformer, débute en août 2008 par les deux administrations centrales : la DGI et la DGCP se fondent en une seule direction générale avec à sa tête un directeur général (cf. Figure 1). Dès 2009, dans chaque département, la direction des services fiscaux et la trésorerie générale sont fusionnées progressivement. Pour cela, des Directions Locales Unifiées (DLU) sont créées : les Directions Départementales des Finances Publiques (DDFiP) au plan départemental, et les Directions Régionales des Finances Publiques (DRFiP) au plan régional. Cependant, il n’existe pas d’autorité hiérarchique entre DRFiP et DDFiP dont les dénominations correspondent à la taille du département et au nombre d’agents attribués.

Direction Générale DGFiP

9 DDG 100 DLU

DRFiP ou DDFiP

SIP SIE Trésorerie PRS

Niveau central Niveau local Niveau proximité ENFiP SRE

Figure 1 : Déploiement de la DGFiP sur le territoire français

En parallèle, les neuf délégations interrégionales (DDG) de la DGI sont conservées dans le nouvel organigramme : leur mission est d’accompagner et de coordonner les DLU. Bien que sans rôle opérationnel, les DDG ont une fonction charnière ; le directeur de la délégation interrégionale est un relais entre l’administration centrale et les directeurs locaux des DLU, pour les demandes budgétaires et immobilières, ainsi que pour l’évaluation des DLU, qui elles-mêmes évaluent les services de proximité au sein du département. Ce nouvel organigramme, au mode pyramidal renforcé, modifie les rapports qu’entretiennent les cadres de proximité avec leurs supérieurs hiérarchiques qu’ils jugent moins accessibles, ce qui caractérise, comme nous l’avons vu dans la littérature, un allongement des hiérarchies : ajout

d’un échelon dans le pilotage par la performance pour les cadres issus de la DGCP, renforcement des transferts d’informations descendants et ascendants par palier hiérarchique où les cadres de proximité n’ont plus la possibilité d’interroger directement le responsable concerné au niveau central.

Au niveau du réseau infra-départemental, les Services d’Impôts pour les Particuliers (SIP), les Services d’Impôts pour les Entreprises (SIE) et les Trésoreries sont ceux qui ont connu le plus de bouleversements. Dans les SIP, des guichets fiscaux uniques sont créés sur le même schéma que pour les interlocuteurs fiscaux pour les entreprises réalisés avant la fusion de 2008. Ainsi, les services assurant le calcul, le traitement de l’assiette et son recouvrement se situent dans un même lieu géographique. Entre 2009 et 2011, 705 SIP sont créés et rassemblent en moyenne 25 agents, avec un maximum de 50 agents. En milieu périurbain ou rural, les trésoreries sont également chargées, en complément de leur mission de recouvrement, d’assurer l’accueil fiscal. Sans personnel supplémentaire, elles prennent maintenant en charge les demandes des contribuables avant de les renvoyer vers le SIP de rattachement pour les demandes plus complexes. Quant aux SIE, le recouvrement de la Cotisation Foncière des Entreprises (CFE) leur est attribué. Dans le cadre de cette fusion, les pôles de recouvrement spécialisés (PRS) étant délocalisés dans les locaux des SIE, les créances difficiles des SIE, SIP et trésoreries leur sont transférées. Les autres services déconcentrés, comme le Pôle d’Inspection Contrôle Expertise, le Domaine, le Cadastre, les Paieries, etc. ne sont pas touchés par les effets de la fusion. Les cadres de proximité sont ainsi amenés à encadrer un travail différent dans les services dont ils ont la responsabilité : un travail de masse où l’expertise et la technicité tendent à disparaitre.

La fusion s’est ainsi poursuivie jusqu’en 2012 pour le niveau local et de proximité. La DGFiP a repris l’intégralité des attributions des deux administrations auxquelles elle s’est substituée : elle assure à la fois des missions relevant de la fiscalité et de la gestion publique, que les cadres de proximité articulent entre usagers et agents encadrés (cf. Tableau 3). Jusqu’en 2012, l’administration centrale de la DGFiP s’était organisée autour de deux pôles « métiers » : la fiscalité des particuliers et des professionnels, et la gestion publique pour les collectivités locales (cf. Annexe 1), ainsi que d’un pôle transverse : le pilotage du réseau et de ses moyens.

Ces trois mêmes pôles se retrouvent encore aujourd’hui dans le réseau au niveau des directions départementales, alors que l’organigramme de l’administration centrale a été réduit en 2013 à un directeur général et son adjoint. Ainsi, les cadres de proximité ont pour

interlocuteur privilégié les numéros 2 correspondant à leur pôle métier et au pôle transverse de la direction locale, là où auparavant ils interagissaient directement avec le numéro 1.

Orientée Usagers - Elaborer et expliciter la législation et la réglementation fiscale.

- Calculer puis recouvrer les recettes fiscales et non fiscales de l’Etat, des collectivités territoriales et de tous les organismes publics.

- Contrôler le respect des obligations fiscales et lutter contre la fraude. - Traiter le contentieux fiscal.

- Contrôler puis mettre en œuvre la dépense publique de l’Etat. - Tenir les comptes de l’Etat.

- Tenir les comptes, exécuter les opérations financières et conseiller les collectivités territoriales et les établissements publics.

- Apporter une expertise et un conseil financier à l’Etat et aux acteurs économiques.

Orientée Agents - Gérer et former les personnels de la DGFiP et assurer le dialogue social.

- Gérer les moyens de la DGFiP.

- Conduire et mettre en œuvre les projets informatiques. - Piloter et évaluer le réseau de la direction générale. - Auditer l’organisation des services.

- Prévenir les risques.

- Assurer une présence au plan international. Orientée Usagers

& Agents

- Communiquer.

Tableau 3 : Missions de la DGFiP à tenir par les cadres, selon notre regroupement4 De manière transversale, la DGFiP pilote, anime et évalue les services de proximité en définissant la politique de ressources humaines, en allouant les moyens et en assurant la gestion de son personnel. Pour cela, cette administration conçoit et met en place des méthodes et outils d’analyse, d’audit et de contrôle de gestion pour développer sa performance. Sans fiche de poste définissant les missions propres à leur fonction, les cadres de proximité s’approprient, comme ils le peuvent, en fonction notamment de leur expérience, les missions définies par cette administration. Ils ne disposent cependant pas de marge de manœuvre sur les ressources qui leur sont allouées par la hiérarchie, que ce soit en termes de personnel ou de matériel. Il en est de même pour l’utilisation des indicateurs et autres outils d’analyse : les cadres de proximité ne sont pas consultés lors de leur conception. Ces indicateurs ont pourtant comme finalité d’évaluer le travail effectué à leur niveau. Quant à l’appropriation des outils, elle varie en fonction de la représentation du métier que se font les cadres de proximité.

2. Pilotage par la performance : le choix d’une politique de gestion par

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