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Chapitre 2 – Cadre de proximité : du rôle à l’activité

1. Le métier de cadre de proximité

1.3. Manager et encadrer à la DGFiP : deux conceptions qui se côtoient

Alors que dans les entreprises privées, la notion de cadre correspond à un statut identifié et un classement hiérarchique, la fonction d’encadrement dans le secteur public souffre d’un déficit de représentation (Bouffartigue, 2001a) : les rôles et les missions deviennent souvent contradictoires. En considérant le métier d’encadrement comme un processus de régulation comme le propose l’approche ergonomique, nous mettons ici en avant les difficultés et les paradoxes que les cadres de proximité rencontrent au quotidien à la DGFiP pour tenir leurs missions.

1.3.1. La notion d’encadrement ambivalente dans la Fonction Publique

Dans la Fonction Publique – Etat, territoriale et hospitalière –, le découpage en catégories A, B et C définit des niveaux de responsabilités mais ne renvoie pas sans ambigüité à la notion d’encadrement (Kletz & Lenay, 2008). Il en est de même à la DGFiP où les cadres responsables de conception, par exemple d’indicateurs, n’ont pas nécessairement une fonction d’encadrement. Et inversement, des agents dits « d’exécution » peuvent avoir une charge d’encadrement. Ainsi, le terme de cadre regroupe à la fois des encadrants, des encadrés et des non encadrants. La fusion a pour but affiché d’harmoniser les règles de gestion et d’unifier les statuts du personnel. Cette standardisation et l’informatisation qui l’accompagne ont entrainé un changement des tâches et une répartition des emplois différente entre les catégories A, B et C, dans le sens d’une qualification plus élevée. Sur la Figure 3, on remarque en effet que depuis la fusion en 2008, la part de cadres A (+4.2%), encadrants et non encadrants confondus, et celle de cadres B (+5%) augmentent, au détriment des cadres C (-9.2%)7.

Figure 3 : Evolution des effectifs à la DGFiP par catégorie

Selon le rapport de la Cour des Comptes (2011), qui a rassemblé des données entre 2001 et 2011, cette tendance à l’inversement de la pyramide hiérarchique a débuté bien avant la fusion puis a été accélérée en 2008 par les plans de requalification décidés dans le cadre de cette fusion. Ce glissement de catégories vers le haut entraine une augmentation de l’âge moyen de départ à la retraite et une augmentation des effectifs de plus de 50 ans (cf. Figure 4). Ainsi, ces cadres encadrants sont amenés à tenir plus longtemps leurs missions, ce qui renforce l’intérêt porté à leurs parcours professionnels.

7Graphique construit à partir des statistiques dans les rapports de l’activité de la DGFiP entre 2008 et 2013.

0 20000 40000 60000 80000 100000 120000 140000 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Cadre C Cadre B Cadre A

24,7% 35,4% 39,9% 25,5% 36,8% 37,7% 26,5% 37,8% 35,7% 27,4% 39,0% 33,6% 28,2% 40,1% 31,7% 28,9% 40,4% 30,7%

Figure 4 : Evolution des effectifs de plus de 50 ans à la DGFiP par catégorie

1.3.2. Un positionnement flou des cadres dans l’organisation

La DGFiP considère son encadrement comme un véritable enjeu depuis plusieurs années. Suite à la fusion en 2008, des groupes de travail se sont réunis pour discuter des conditions de vie au travail. Dès celui du 8 juillet 2009, les responsables de cette administration se disent préoccupés par les relations hiérarchiques en développant trois perspectives d’actions : la clarification du rôle et du positionnement de l’encadrant et de l’agent, le développement des outils de dialogue et d’échanges, et la promotion de la souplesse comme mode de gestion de la relation hiérarchique. Le compte-rendu interne des réflexions de 2009 utilise d’ailleurs indifféremment les termes d’encadrant, de cadre de proximité et de manager.

En reprenant la distinction manager / cadre de Mispelblom Beyer (2010), le cadre de la DGFiP serait à la fois exécutant et acteur. Ce double positionnement qui mélange deux conceptions antinomiques peut expliquer les injonctions contradictoires qui pèsent sur les cadres de proximité.

Selon un constat partagé par les différents acteurs de la DGFiP, le rôle et le positionnement des cadres ne sont pas toujours explicites, ce qui provoque de la confusion et de l’incompréhension entre les échelons hiérarchiques. Noguera (2010) aboutissait déjà à ce même constat dans son étude réalisée en 2006 dans un département de la DGI, maintenant fusionné : les cadres de proximité animent peu l’action des équipes, leur rôle consistant plutôt à contrôler et valider des actes ayant un impact budgétaire. L’auteur ajoute que ces tâches les empêchent d’identifier et de résoudre les tensions spécifiques à l’organisation en gérant les conflits au plus près. Les cadres de proximité sont entendus ici comme simples exécutants du management, appliquant les orientations du pilotage définies au niveau stratégique. Le pôle

30% 35% 40% 45% 50% 55% 2008 2009 2010 2011 2012 2013 Cadre A Cadre B Cadre C

Ergonomie du Ministère note également dans son rapport de 2009 que l’encadrement, sans distinction d’échelon hiérarchique, a perdu son rôle de soutien et de régulation.

Dans le même temps, la DGFiP attend aussi de ses cadres de proximité qu’ils prennent leurs responsabilités dans la tenue des objectifs de performance tout comme dans l’amélioration des conditions de vie au travail. L’étude de l’IRES (Brière & al., 2012) a d’ailleurs montré que ces cadres se situent à l’articulation des objectifs généraux de la DGFiP et du travail réel des agents. Les cadres sont alors entendus comme acteurs : ils traduisent les objectifs en missions concrètes à réaliser. Pour répondre à cette double injonction contradictoire, ces cadres vont déployer plusieurs stratégies aux conséquences différentes sur leur propre activité et santé, et celles des agents : ils peuvent prendre sur eux, mettre la pression aux agents, ou renégocier les objectifs.

1.3.3. Les cadres attendus comme des gestionnaires à la fois techniciens

Pour Grimault & al. (2005) dans une étude au ministère des finances, le rôle de l’encadrement est déterminant dans le travail d’organisation. Selon Noguera (2010), pour légitimer l’exercice de l’autorité, l’administration fiscale française met encore l’accent sur les compétences techniques et fiscales lors du recrutement de ses fonctionnaires plutôt que sur l’expertise en management. Pour les cadres rencontrés par cet auteur, leur formation en management est insuffisante. Or, dans le même temps, le New Public Management préconise à l’inverse une proximité avec un pilotage par les chiffres au détriment de la technicité du métier (cf. Chapitre 1), ce qui positionne les cadres, là encore, dans une double injonction contradictoire : être à la fois technicien proche du métier, et gestionnaire proche des indicateurs.

En effet, cette administration demande aux cadres de devenir des managers au lieu de prendre en charge l’activité directe de production (Grimault & al., 2005), les éloignant ainsi de la technicité. Pour ces auteurs, ce travail de management n’est visible que lorsqu’il est défaillant : souvent sans formation au management et sans soutien de la hiérarchie, les cadres rencontrant des difficultés, c’est-à-dire ceux qui ne parviennent plus à tenir leurs missions, préfèrent se mettre en retrait des agents en privilégiant par exemple les communications par e-mail. Toujours selon les mêmes auteurs, les indicateurs, symbolisant le « bon » pilotage par la performance, deviennent alors un moyen pour s’abstraire des problèmes d’organisation, des conditions concrètes de réalisation du travail, laissant les agents livrés à eux-mêmes. De même, certains cadres de proximité nous avouer, lors de nos précédentes études, se sentir

souvent abandonnés par leurs propres supérieurs dans ce rôle d’organisateur. Nous verrons cependant que nos premiers résultats nuancent ces propos : les cadres encadrants peuvent au contraire être toujours présents dans l’organisation et, en fonction de leur parcours, se retrouver plus ou moins débordés par celle-ci.

1.3.4. Une augmentation des responsabilités pécuniaire et personnelle des comptables publics

D’après le référentiel interministériel de la fonction « Ressources humaines » (2008) qui a pour but de documenter les métiers et favoriser la mobilité interministérielle, le cadre de proximité est défini comme « l’acteur ressources humaines de premier niveau, qui traduit et accompagne la politique de ressources humaines ministérielle et interministérielle auprès de

son équipe » (p.2). Ce document décrit, sans distinction du niveau des personnes encadrées ni

des cadres eux-mêmes, leurs activités principales, les savoir-faire et connaissances attendus (cf. Annexe 4). La majorité des cadres ayant participé à notre recherche ont le statut de comptable public, c’est-à-dire qu’ils sont « fonctionnaires ou agents habilités à titre principal

au maniement des deniers publics ou des deniers privés réglementés »8. Leur rôle principal

est de veiller au respect de l’exécution budgétaire et à la bonne utilisation des deniers publics, en s’assurant de la régularité des dépenses et des recettes par des contrôles.

D’après l’article 60 de la loi n°63-156 du 23 février 1963, ils sont tenus personnellement et pécuniairement responsable, depuis leur arrivée dans leur service, du recouvrement des recettes, du paiement des dépenses, de la garde et de la conservation des fonds et valeurs de l’Etat, et des contrôles qu’ils assurent. Entre son entrée en vigueur en 1963 et 2001, ce texte n’avait été modifié qu’une fois pour prendre en compte le nouveau Code pénal, alors que cinq modifications ont eu lieu entre 2001 et 2009. Pour Girardi (2012), ces évolutions ont pour but, suite à la réforme de l’Etat, d’aboutir à la suppression dans la plupart des cas de la remise gracieuse des sommes mises à la charge des comptables. La responsabilité personnelle et pécuniaire devient ainsi plus lourde pour les comptables en cas de manquement au sein du service. Dans cette continuité, le décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique laisse le juge apprécier si les manquements du comptable dans l’exercice de ses missions ont causé préjudice ou non. S’il y a manquement, le juge peut fixer un montant restant à la charge du comptable, voire la totalité du manquant, la remise gracieuse

du ministre chargé du budget ne s’appliquant que dans deux cas : le décès du comptable et le respect des règles de contrôle sélectif des dépenses.

Au quotidien, les cadres de proximité arbitrent ici entre deux autres injonctions pouvant devenir contradictoires : leur propre responsabilité pécuniaire et personnelle qui peut être remise en cause par la Cour des Comptes et la tenue des objectifs de performance fixés par la hiérarchie de la DGFiP. Cet arbitrage se transforme en dilemme, tiraillé entre deux hiérarchies différentes, lorsque l’intensification du travail l’empêche de remplir pleinement ces deux objectifs. Dans le même sens, le rapport FONDAFIP (Adans & Gilles, 2010) critiquait ce système pour son coût, son manque de cohérence, et son inadéquation avec les cadres budgétaires et comptables actuels.

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