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Chapitre 5 – Espace de dialogue : un dispositif pour discuter des changements

4. EDD : un dispositif discutable

4.3. Des discussions libres à l’autocensure pour les cadres de proximité

Regardons maintenant ce que les cadres de proximité peuvent dire du dispositif. A cet effet, nous avons repris notre compilation des contenus des échanges entre cadres. Quels que soient les départements, de nombreux cadres ont avoué avoir hésité à participer aux espaces de dialogue (EDD) et se sont questionnés quant aux enjeux d’un tel dispositif visant à discuter des conditions de vie au travail au sein de cette administration : « pourquoi la mise en place d’espaces de dialogue aujourd’hui ? Est-ce une prise de conscience par la direction générale que les conditions de vie au travail se dégradent et que l’élastique est tellement tendu qu’il va finir par péter ? » (Cadre, dep.F1).

4.3.1. Dire ou ne pas dire : la marge d’expression des cadres

Certains cadres craignaient de ne pas être écoutés par la hiérarchie alors que d’autres remettaient plutôt en question les réponses que pourrait apporter la direction. D’autres encore remarquaient que les personnes en réelle difficulté ne se déplaçaient pas dans ces espaces pour discuter des conditions de vie au travail. Pour les organisations syndicales, les EDD répondent à un besoin de communication de la hiérarchie avec le terrain, d’ailleurs largement revendiqué par les participants à ces espaces.

Alors que de nombreux cadres évoquent le manque d’écoute, quelques-uns ont fait référence à une notion encore plus forte : l’autocensure, « on finit par s’autocensurer car on sait qu’on ne va pas nous entendre. Et puis certains ont essayé et cela leur est retombé dessus... Du coup, on se gère en autarcie car si on fait remonter, on s’entend dire qu’on ne sait pas gérer notre service » (Cadre, dep.F6). Pour ces derniers, ils leur semblent impossible de s’exprimer librement, soit par un manque de considération au quotidien, soit par la peur du jugement. D’autres (dep.S3) vont jusqu’à questionner « les marges d’expression des cadres ». Cela justifie, du moins en partie, la faible participation des cadres au dispositif EDD.

Les difficultés mêmes des cadres font très peu l’objet de discussions dans ces espaces. L’un d’eux (Cadre, dep.DO) a pourtant osé en témoigner à la troisième personne, avec

l’acquiescement de ses collègues participants : « La difficulté qu’éprouvent les cadres dans leur travail va en croissant. Le constat est fort simple. Ils sont de plus en plus stressés et abordent les problèmes avec davantage de tensions et d’inquiétudes. Or, les cadres rechignent à admettre les situations à risques, sans doute pour cacher l’ampleur de la

détresse qu’ils vivent », ce qui démontre bien le malaise croissant des cadres encadrants.

4.3.2. Cadres et EDD : des sujets survolés

Les cadres de proximité eux-mêmes évoquent peu les problèmes liées à leur travail d’encadrement, leurs propres conditions de vie au travail ou les difficultés qu’ils rencontrent dans le quotidien du travail. La grille de relevé de dialogue focalisée sur les facteurs de risques psychosociaux influence en ce sens le contenu des réponses. Pourtant, notre analyse montre que lorsque le sujet des conditions de vie au travail est abordé avec les cadres, ils répondent naturellement en évoquant celles concernant leurs équipes et non pas celles concernant leur propre situation de travail.

Toutefois, lorsque les conditions de vie au travail propres aux cadres sont discutées, certes avec une certaine pudeur, ils font le lien entre santé, productivité, objectifs à réaliser et connaissance du métier, à travers les tensions issues d’injonctions contradictoires. Plusieurs paradoxes sont ainsi soulevés : la sécurité des cadres versus la réalisation des objectifs :

- « les objectifs, on les fait au détriment de notre propre sécurité » (dep.S3) ;

- la vie professionnelle versus la vie privée : « je passe trop de temps au bureau au détriment de ma vie familiale. Je l’accepte, je suis payé pour être cadre, et puis de temps en temps c’est normal mais c’est difficile à supporter de manière régulière »

(dep.S2).

En termes de parcours professionnels, les débats sont plutôt pauvres, car, comme nous l’avons vu dans le paragraphe précédent, la grille de relevé de dialogue utilisée n’oriente pas les discussions dans ce sens. Quelques constats très peu discutés entre les participants émergent autour de la perte de compétences avec les départs en retraite et « les systèmes de tutorat et des référents qui ont été perdus de vue » tout comme le tuilage entre chefs de service (dep.F7), ainsi que le manque de formation des cadres.

Ce dernier constat semble partagé parmi les cadres participants : « les nouveaux cadres A

formation des cadres est des plus réduite. Le thème est abordé mais pas approfondi »

(dep.DO), « la formation est trop courte pour apprendre les métiers de la filière connexe »

(dep.F5). La formation des nouveaux chefs de service et de ceux qui arrivent sur un poste qu’ils n’ont jamais occupé auparavant semble insuffisante tant sur le plan technique que managérial, bien que « le parcours professionnel leur permet d’acquérir des techniques »

(dep.F2), afin d’adapter au mieux leurs pratiques managériales aux situations de travail. Ces manques de connaissances engendrent une perte de crédibilité face aux agents dès l’arrivée dans le service, ainsi que des difficultés pour apprécier réellement les charges de travail.

Ces difficultés peuvent être accentuées lorsque les cadres passent d’une filière à l’autre, puisque des passerelles ont été instaurées (cf. Chapitre 5). Pourtant, selon les cadres, les métiers restent très différents ; les applications informatiques utilisées sont complexes et nécessitent un investissement profond. La plupart d’entre eux estiment que les perspectives de promotion en passant d’une filière à l’autre sont peu réalistes, excepté pour les structures de taille importante où « le cadre nommé exerce des fonctions de management et non des

fonctions techniques » (dep.S2). Pour eux, les perspectives de carrière restent floues car il y a

« un manque d’interlocuteur en service de la direction [...] alors que cet éclairage se révèle d’autant plus nécessaire en période transitoire ou de modification des statuts et des règles de gestion ». Tous les cadres évoquant ces sujets ont fait mention de la nécessité de réunions métier pour mutualiser les pratiques, plutôt que « de traiter ces sujets uniquement par e-mail ou téléphone » (dep.F7).

Malgré la volonté affichée de la DGFiP d’ouvrir les discussions sur les conditions de vie au travail dans ses services de proximité, le poids de cette administration où les informations sont historiquement descendantes crée lourdeurs, difficultés et craintes à tous les niveaux de l’organisation dans l’appropriation d’un tel dispositif qui propose, à l’inverse, une démarche d’informations ascendantes. En se focalisant sur les cadres de proximité, le formalisme instauré dans les espaces de dialogue bride les débats qui ne portent pas sur l’activité de travail d’encadrement, les difficultés concrètes rencontrées par ces cadres dans la réalisation de leur travail, et les ressources dont ils disposent. Cela réduit les marges potentielles que peut apporter un dispositif participatif dans la transformation des situations de travail. Avec souvent de nouvelles prescriptions sur leur travail, les cadres de proximité connaissent une augmentation supplémentaire du poids de leurs responsabilités, et plus particulièrement celles des conditions de vie au travail des services dont ils ont la charge.

Synthèse

Les constats issus des espaces de dialogue (EDD) sont similaires à la littérature : avec les nouveaux modèles de management développés dans la Fonction Publique et l’arrivée du pilotage par la performance, le travail des cadres ne cesse d’évoluer. Pour les participants, le rôle des cadres de proximité, attendu à la fois par les agents et la hiérarchie, est de redonner du sens au travail, d’en définir les priorités. Avec les changements législatifs, techniques et organisationnels qui s’enchainent continuellement, ces cadres ont pour mission d’adapter le travail dans les services à coup de réorganisations successives des effectifs et des moyens qui sont à leur disposition, tout en étant devenus les garants des conditions de vie au travail.

En fonction de leurs parcours professionnels, les cadres de proximité peuvent se sentir eux-mêmes plus ou moins perdus dans les transformations de leur fonction : ajout de nouvelles tâches, injonctions contradictoires, apparition de nouvelles prescriptions, augmentation des responsabilités, manque de reconnaissance et de soutien de la hiérarchie. Et inversement, ces transformations du métier influencent la construction de leur propre parcours. Le rapport au travail réel des agents et les relations à la hiérarchie en subissent des modifications. D’ailleurs, les cadres de proximité rencontrés s’estiment souvent isolés dans les services, là où auparavant la hiérarchie était plus proche.

Ces cadres ont de plus en plus de difficultés pour ajuster leur positionnement et leur mission, bien qu’ils aient très peu évoqué dans les EDD leurs propres conditions de vie au travail. Par ailleurs, nous avons vu que les responsabilités liées à leur rôle d’encadrement ne cessent d’augmenter, le dispositif EDD y contribuant également. Ainsi, les cadres de proximité se retrouvent dans des situations de travail de plus en plus contraintes et paradoxales : atteinte des objectifs de performance fixés au service, augmentation des objectifs de responsabilité personnelle et pécuniaire des chefs de service, renforcement de leurs responsabilités des conditions de vie au travail des agents qu’ils encadrent.

Dans ces espaces de dialogue, nous avons également fait le constat que l’activité des agents comme celle des cadres ne sont pas objet de discussion. Nous proposons, dans les chapitres suivants, d’étudier les parcours professionnels de cadres rencontrés puis d’analyser leur activité pour comprendre leur travail se transforme suite à la fusion et au pilotage par la performance, mais aussi pour remonter aux difficultés qu’ils rencontrent et aux ressources dont ils disposent afin de saisir leur positionnement, à un moment donné de leur parcours.

Chapitre 6 – Les parcours professionnels à l’épreuve des

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