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Chapitre 3 – Parcours professionnels et construction du couple proximités / distances

3. Parcours professionnels et cadres de proximité

3.3. L’expérience : une construction au fil des parcours

L’approche ergonomique des parcours que nous défendons est différente des approches précédentes, car celle-ci intègre l’activité aux parcours. En effet, en considérant l’activité comme un processus de régulation, cette approche permet de comprendre comment se construisent les parcours au fil de l’activité des cadres, et inversement quelles conséquences impliquent ces parcours dans la réalisation de l’activité. Gaudart & Ledoux (2013) considèrent les parcours comme renvoyant à deux conceptions : celle portée par l’emploi avec une dimension sociale et collective où le parcours professionnel est synonyme de successions de postes et de fonctions, et, celle portée par une dimension individuelle et subjective du parcours de travail. Analysé sous l’angle de l’activité, le parcours intègre ces deux dimensions. Cette conception implique une vision systémique à tenir entre l’individu et le collectif, dans une perspective à la fois synchronique et diachronique. Le parcours de travail est ici entendu comme un accroissement du temps vécu pointant les rôles de l’expérience comme une construction permanente entre savoir et savoir-faire sur le milieu de travail et connaissances de ses propres ressources et contraintes (Molinié, Gaudart & Pueyo, 2012).

3.3.1. Les cadres puisent dans l’expérience construite au fil des parcours pour réaliser

l’activité

Fruits des conditions de travail passées et actuelles, les parcours professionnels des cadres prennent alors une dimension de soutien à la réalisation de l’activité par le développement des compétences dans le but de tenir les missions, faire face aux contraintes du travail et de

préserver leur propre santé et celle des équipes. D’ailleurs, l’expérience offre des possibilités, plus ou moins développées en fonction des situations de travail (Delgoulet, 2010), qui sont autant de marges de manœuvre que ces cadres peuvent se construire face aux différentes injonctions souvent contradictoires, face à la réalisation des tâches. Selon Gotteland-Agositini (2013), les encadrants sont des concepteurs qui développent leur activité en s’appuyant sur des cadres pour l’action préexistants dans les situations de travail qu’ils interprètent, grâce à des ressources qu’ils se sont construites sur leur expérience, et en interagissant avec leurs collègues.

Les cadres de proximité sont des encadrants acteurs, c’est-à-dire qu’ils produisent une « œuvre » personnalisée dans un système complexe qu’ils tentent d’influencer en fonction de leurs orientations : l’activité d’encadrant permet de faire œuvre, et l’expérience de donner du sens à leur propre activité et celle des équipes encadrées. Le parcours professionnel, propre à chaque individu, est lié aux conditions de travail passées et actuelles. Les mauvaises conditions de travail ont des conséquences visibles sur la santé mais aussi sur la qualité du travail de l’opérateur. Et à l’inverse, des conditions de travail bien adaptées peuvent avoir un effet protecteur par rapport à certaines dégradations de santé. L’activité de travail déployée au quotidien rend compte de la pratique professionnelle acquise, de ses buts et des stratégies visant à se préserver (Volkoff, Molinié & Jolivet, 2000). Pour ces auteurs, l’efficacité d’une organisation peut être évaluée par les possibilités qu’elle laisse ou non à la mise en œuvre efficiente de l’expérience professionnelle. Plus les marges de manœuvre sont grandes, plus les opérateurs peuvent développer des stratégies opératoires permettant compensation, anticipation et coopération au niveau de l’organisation du travail.

Selon Clot & al. (2000), l’expérience est un moyen pour vivre la situation présente et future. Inscrite dans l’activité, cette expérience lui donne un sens au regard du parcours et l’oriente (Gaudart & Ledoux, 2013). En ce sens, le parcours est situé dans une histoire individuelle et collective, mobilisant des temporalités macro, méso et micro. Les parcours de travail sont ainsi au carrefour de plusieurs temporalités individuelles et collectives. L’activité, inscrite dans le parcours, relève d’un processus de ces multiples temporalités, macro, méso et micro (Gaudart, 2014).

3.3.2. L’expérience, une ressource fragilelors des changements de l’organisation

L’expérience peut être considérée comme un atout dans le travail. Lors de changements, elle permet aux travailleurs de s’orienter dans de nouvelles situations, de construire de nouveaux modes opératoires à partir de ceux acquis dans le passé (Delgoulet, 2010). Pour rester efficaces et préserver leur santé, les travailleurs – et cela vaut selon nous pour les encadrants – mettent en place des modes opératoires visant à anticiper et à gérer les risques, à élaborer une régulation individuelle de l’activité. Suivant les milieux professionnels, des régulations collectives peuvent exister : limitation de l’exposition au cumul de contraintes et prise en charge de tâches délicates pour les anciens, transfert de connaissances intergénérationnel (Cau-Bareille, 2010).

Ces stratégies de compensation sont possibles grâce à l’expérience, mais ne sont que partiellement transposables lors de changements dans le travail (Nascimento, 2006). D’ailleurs, lorsque les changements s’apparentent à une rupture fondamentale, l’expérience peut éventuellement devenir un obstacle. Ainsi, les changements organisationnels ou techniques restent des phases de fragilisation pour les individus et les collectifs : par exemple, l’introduction d’un nouveau logiciel, ayant pour but de rationaliser les procédures de travail dans une perspective gestionnaire, a déconstruit la notion de service public de qualité entrainant des conflits de valeurs sur la définition d’un travail de qualité (Gaudart, 2000).

3.3.3. La construction de l’expérience par l’activité

Nous considérons les cadres comme des acteurs de leurs parcours, dans le sens qu’ils construisent selon l’activité l’expérience au fil de leurs parcours. Celle-ci deviendra ressource dans leur activité future. Grâce à celle-ci, ils sont en mesure de gérer plus ou moins bien les situations de travail, la santé des équipes et leur propre santé. Pueyo (1999) définit l’expérience comme « le vécu d’un ensemble d’évènements, de situations dont éventuellement on peut tirer des conséquences, des enseignements. Cette réflexion, fondée sur la confrontation et en situation porte à la fois sur les objets et sur le mode d’obtention des résultats ou des effets. Elle est orientée, vers le système technique et la tâche, vers soi, mais aussi vers les autres. Elle est donc orientée à la fois par les objectifs de l’entreprise et par les objectifs propres de l’opérateur ». Autrement dit, en se construisant dans le temps par des liens entre passé et futur, l’expérience est un processus non linéaire de développement pour trouver les réorientations

nécessaires dans les situations de travail. L’activité mobilisée dans le travail construit ainsi l’expérience(Gaudart & Ledoux, 2013).

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