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Chapitre 2 – Cadre de proximité : du rôle à l’activité

1. Le métier de cadre de proximité

1.1. Une multiplicité de définitions du métier qui appelle à mieux le comprendre

Souvent peu reconnus voire dénigrés dans les organisations, les cadres de proximité sont considérés par Thévenet (2003) comme des « petits chefs » anonymes « au royaume des stars

Bouffartigue (2001b) insiste lui-aussi sur l’importance d’étudier le travail d’encadrement pour en comprendre l’hétérogénéité, ses contradictions, ses tensions et dynamiques. Pour cet auteur, les cadres sont divisés essentiellement entre la dimension politique de la Fonction Publique et la dimension politique de leur fonction d’encadrement. D’après Falcoz & al. (2006), la nature intellectuelle et immatérielle du travail des cadres le rend difficile à décrire et à comprendre : descriptions souvent incomplètes pour le qualifier, confusion des mandats pour le spécifier et très forte influence du culte des résultats pour l’évaluer.

La littérature, tout comme les pratiques des organisations, ne s’accordent pas sur une dénomination unique : encadrement de premier niveau ou intermédiaire, management de première ligne, de terrain ou de proximité. La distinction entre cadre de proximité et cadre intermédiaire n’est pas toujours présente, et les deux peuvent d’ailleurs parfois être confondus (Thévenet, 2003). Historiquement, l’encadrement de proximité fait référence à la fonction d’agent de maitrise qui apparait avec la rationalisation du travail industriel et l’organisation scientifique du travail de Taylor. Depuis les années 1980, les frontières de cette fonction sont plus difficiles à cerner suite aux transformations socioculturelles : suppression de lignes hiérarchiques, mise en place d’équipe autonome, etc. (Létondal, 1997). Groupe social à part entière (Boltanski, 1982), les cadres constituent une population hétérogène en termes de formation et de trajectoires professionnelles (Groux, 1983). N’ayant pas reçu de formation spécifique pour exercer des responsabilités d’encadrement d’une équipe, les cadres de proximité apprennent souvent sur le terrain (Gillet, 2009). Pour Kletz & Lenay (2008), analyser les changements de la Fonction Publique permet de mieux appréhender les évolutions du rôle de ces cadres de proximité mais aussi la conception du travail d’encadrement.

1.1.1. Des éclairages différents sur le métier à travers les rôles des cadres de proximité

Les travaux sélectionnés ci-dessous s’intéressent au travail des cadres et pas seulement au groupe social qu’ils constituent. En nous appuyant sur ces différentes visions, issues de la littérature (essentiellement sciences de gestion et sociologie), sur les rôles portés par les cadres de proximité, il s’agit de mettre en lumière leur positionnement « pris au piège entre l’enclume et le marteau » (Bouilloud, 2012).

Dès 1973, à partir des pratiques quotidiennes de cadres dirigeants, Mintzberg a défini le travail des cadres en dix rôles reliés les uns aux autres. De par leur position centrale dans

l’organisation, trois de ces rôles sont informationnels : observateur actif, diffuseur et porte-parole. Liés à leur autorité formelle, les trois suivants sont interpersonnels : symbole, leader et agent de liaison. Les quatre derniers sont reliés à la prise de décision : entrepreneur, régulateur, répartiteur de ressources et négociateur. Appliqué aux cadres de proximité, ce modèle met en avant leurs principales fonctions et leur responsabilité considérable dans l’organisation. Ils sont les relais de la vision stratégique qu’ils traduisent opérationnellement (Scouarnec & Silva, 2006), c’est-à-dire qu’ils transforment les objectifs fixés par la hiérarchie en missions concrètes à réaliser par les équipes. Leur rôle est de motiver les équipes et de les réunir autour d’un même projet. Et, en tant que leaders, ils se doivent d’être justes dans leurs décisions. Martin (2013) propose trois justifications à la présence des cadres de proximité dans les organisations. Ces justifications sont basées sur ces trois mêmes rôles : être relais entre les collectifs de métier et le reste de la hiérarchie, maintenir les relations de travail harmonieuses, et, arbitrer et prioriser. Luthans (1988) propose, lui aussi, un regroupement des tâches du travail d’encadrement voisin de celui de Mintzberg : communication ; gestion traditionnelle avec planification, hiérarchisation des objectifs, organisation des ressources, contrôle du travail, réseau de relation ; et, ressources humaines. Ces approches montrent bien la diversité des tâches qu’accomplissent au quotidien les cadres de proximité. Cependant, elles ne mettent pas en évidence la manière dont les cadres se les approprient dans l’activité en fonction de leur expérience ou bien des situations de travail.

D’autres auteurs évoquent plutôt le double rôle des cadres, par la responsabilité d’une entité en faisant face aux situations complexes selon deux logiques opposées qui se complètent : comme générateur de performance individuelle, et comme créateur de situation de sens pour les membres de l’équipe (Fiol, 1998). D’autres encore mentionnent l’opposition Métier avec pour priorité la technique versus Manager centré sur la compétitivité et la satisfaction des clients (Chanut, 2008 ; Boussard, 2013). Dès 1977, Benguigui & al. insistent sur la nécessité de s’intéresser aux cadres de proximité en allant au-delà de la question identitaire. En s’interrogeant sur ce que font ces cadres, ces auteurs définissent eux aussi les deux mêmes types avec la particularité d’être distincts : celui technique préoccupé par les aspects techniques du métier, et celui politique centré sur la dimension normative de la gestion. Ce modèle que nous considérons binaire identifie les cadres soit à un type, soit à l’autre, sans continuum permettant de passer de l’un à l’autre selon, par exemple, les ressources des cadres ou les situations de travail. Bouffartigue & Bouteiller (2006) considèrent au contraire qu’un même cadre de proximité arbitre souvent entre des rôles techniques et managériaux, contrôle

l’activité de ses équipes en leur laissant de l’autonomie pour favoriser les initiatives, et concilie les logiques économiques avec celles sociales. Selon nous, ces auteurs apportent en plus une dimension évolutive, dans le temps et dans l’espace, au positionnement des cadres de proximité.

Desmarais et Abord de Chatillon (2008) définissent, quant à eux, quatre rôles pour les cadres de proximité qu’ils considèrent similaires entre secteurs public et privé : traduction, régulation des relations, pilotage des performances, et adaptation des ressources. Pour ces auteurs (2010), le rôle de traduction des cadres de proximité est central pour interpréter et influencer les attentes et les contraintes de l’environnement de travail. En reliant la coordination qu’effectue l’encadrement et les capacités d’actions et d’initiatives des cadres, ce rôle de traduction s’inscrit dans une dimension processuelle pour favoriser à la fois le partage des interprétations avec cadres et équipes, la prise de recul vis-à-vis des règles et des attentes, et la création de sens (Desmarais, 2010).

Kletz & Lenay (2008) proposent plutôt un référentiel métier composé de trois formes pour l’encadrement qu’ils qualifient « d’ordinaire » : la reconnaissance métier dont les savoir-faire opérationnels permettant de planifier et organiser le travail d’équipe, le pilotage d’un champ d’action et non pas d’individus, et, les responsabilités professionnelles. Autrement dit, le cadre assure « la traduction d’une intention économique et de prescriptions destinées aux travailleurs d’exécution » (Bouffartigue, 2001b, p.5). En ce sens, Bonnet & Bonnet (2007) s’appuient sur un modèle triptyque autour de savoir, savoir-faire et savoir-être pour décrire le travail des cadres. Le savoir est plutôt considéré comme un ensemble de normes sociales sur lesquelles se fondent la reconnaissance et l’appartenance socioprofessionnelle, alors que le savoir-faire est un ensemble de méthodes et d’outils inscrits dans la relation à l’activité, et le savoir-être codifie les comportements attendus et les habiletés sociales dans le travail. Ici, ces savoirs ne sont pas déclinés en compétences, ressources ou non dans la réalisation de l’activité.

1.1.2. Les cadres de proximité entre l’enclume et le marteau

Pris en tenaille entre les agents et leurs supérieurs hiérarchiques, les cadres de proximité gèrent des conflits souvent issus des écarts entre les normes organisationnelles soumises à la performance et la légitimité de celle-ci (Bourion, 2006), et des contradictions entre réorganisations successives du travail et émergence de la responsabilité des risques

psychosociaux de l’équipe encadrée (Martin, 2013). Le clivage entre les enjeux politiques et ceux techniques a pour tendance à couper la fonction d’encadrement en travail intellectuel associé au rôle relationnel et en travail manuel associé au rôle technique (Bouffartigue, 2001a), de faire une distinction entre gestion statutaire et gestion des métiers (Kletz & Lenay, 2008). Les cadres plus proches du pôle technique sont également plus proches du personnel non cadre et favorisent l’action collective. En poursuivant dans ce sens, nous pouvons conclure que la proximité des cadres techniques avec les non cadres et la proximité des cadres relationnels avec la direction guident la construction du positionnement de ces cadres.

En considérant les cadres de proximité comme à la fois des entrepreneurs, communicateurs et thérapeutes, Quy Nguyen (2001) montre que leur connaissance du terrain et de la technicité du métier, ainsi que leur présence facilitent la mise en place de leurs propres modifications de l’organisation locale, l’utilisation des canaux de communication pertinents et la prise en compte des difficultés de leurs équipes. Par leur place dans l’organisation, ils sont au sein des conflits de rôles et passent l’essentiel de leur temps à réguler le travail (Barabel & Meier, 2010). Les cadres agissent donc sur plusieurs fronts en même temps avec des aspects techniques, relationnels, administratifs et directifs : leur travail peut être caractérisé de « polyactivité » (Bouffartigue, 2001b ; Bouffartigue & Bouteiller, 2006).

Nous constatons que lorsque le travail des cadres est abordé dans les travaux évoqués jusqu’ici, il est décrit par sa complexité, ses paradoxes et ses contradictions (Quinn, 1991). D’une part, le travail des cadres est depuis longtemps caractérisé à la fois par une quantité élevée de travail et un rythme soutenu, et par une brièveté, une variété et une fragmentation des tâches (Carlson, 1951 ; Stewart, 1967 ; Benguigui & al., 1977). D’autre part, ce travail est orienté vers les autres et vers l’action car les cadres sont en permanence sollicités par autrui. Etant sur le lieu de production, ils connaissent bien les besoins des équipes. Cette approche du travail des cadres peut sembler sensiblement similaire aux apports de l’ergonomie. Pourtant, les finalités de ces deux types d’approche sont éloignées. La première exploite ces résultats plutôt pour conclure ce que doivent être et faire les cadres avec une idée de profil idéal pour les recrutements, alors que la seconde, à laquelle nous nous rattachons, est dans une démarche compréhensive du travail des cadres. Pour nous, il s’agit de comprendre les conditions de réalisation de cette activité d’encadrement, des choix effectués par ces cadres, des difficultés qu’ils rencontrent, dans le but de transformer leurs situations de travail.

1.1.3. Une évolution du métier de cadre de proximité

Les évolutions de la Fonction Publique, décrites dans le Chapitre 1, ont pour but de développer un modèle de management similaire à celui du secteur privé. Cependant, celles-ci ont des conséquences directes sur le métier de cadre qui a connu de grandes transformations ces dernières décennies : augmentation des tâches à réaliser, diminution des fonctions supports aidant la réalisation de ces tâches, contrôles permanents des résultats, changements fréquents de stratégies et gestion dans l’urgence, diminution du nombre de postes d’encadrement, modification du rapport d’autorité avec un recentrage sur le leadership et les compétences des cadres (Barabel & Meier, 2010). Bouffartigue (2001b) y ajoute l’augmentation des besoins de coordinations des différentes tâches, l’accompagnement de l’intercompréhension pour un pilotage plus efficient face à la profusion informationnelle et au développement technologique. Les travaux de Jacquemin (1987) insistent, eux aussi, sur ces glissements de la fonction de commandement vers celle d’animation, de la fonction technique vers celle de gestionnaire. La « managérialisation de l’activité d’encadrement » (Mispelblom Beyer, 2010) nécessite alors de développer de nouvelles compétences, notamment en termes de communication, de nouvelles technologies et d’outils de gestion, pour continuer à satisfaire les exigences du travail.

En s’appuyant sur les enquêtes de conditions de travail portant sur le travail d’encadrement entre 1984 et 2005, Wolff (2013) montre plutôt un glissement de la fonction d’encadrement dévolue auparavant aux cadres dirigeants vers des personnels moins hauts dans la hiérarchie voire non-cadres. Pour lui, l’encadrement est de « moins en moins une affaire de cadres ». Autrement dit, les responsabilités d’encadrement portées jusqu’alors par le haut des hiérarchies des organisations se déplacent vers le bas, entrainant de profondes transformations tout au long de la chaine hiérarchique qui se cristallisent particulièrement au niveau des cadres de proximité. Ces transformations placent les cadres de proximité en première ligne dans la réorganisation du travail. Face aux évolutions des logiques gestionnaires, Divay & Gadea (2008) notent que ces cadres sont tenus de mettre en place les réformes, alors que les réductions des moyens et l’alourdissement des conditions de travail qui y sont souvent liées, sont sources de tensions dans les collectifs de travail. Distillant un discours éthique, l’idéologie managériale oublie pourtant les difficultés réelles de mise en œuvre des réformes, sans pour autant élargir les marges de manœuvre des cadres de proximité (Le Goff, 2000).

Ainsi, une multitude de définitions éclaire chacune différemment le métier des cadres de proximité. Au travers des rôles qui y sont définis, le travail des cadres est insuffisamment caractérisé. D’ailleurs, pour Mintzberg (1996), la connaissance relative au travail des cadres managers reste assez peu fournie. Certains travaux issus de cette littérature s’intéresse bien au travail sans pour autant présenter de résultats quant à l’activité d’encadrement, sur les difficultés auxquelles les cadres sont confrontés au quotidien, sur leur manière de résoudre les problèmes rencontrés, sur les ressources et les marges de manœuvre dont ils disposent ou non pour atteindre les objectifs qui leur sont assignés.

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