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Chapitre 1 – La Fonction Publique à la recherche d’un modèle de management

2. Pilotage par la performance : le choix d’une politique de gestion par indicateurs

2.2. Mesurer et suivre la performance : de l’usage des indicateurs

De nombreux auteurs dans la littérature s’accordent à dire que la quantification est nécessaire, voire cruciale dans l’activité de gouverner (Ogien, 2012). Pour l’économiste Salais (2010a), la société doit avoir une bonne connaissance sur elle-même, sur la diversité et sur la complexité des réalités sociales. Mesurer la performance favoriserait même un cercle vertueux (Osborne, 1993), la mesure des résultats permettant de distinguer un succès d’un échec pour récompenser ou corriger. Lorino (2003) assimile l’organisation à un portefeuille qui combine compétences et ressources. Autrement dit, le pilotage par la performance représente

« l’ensemble des actions mises en œuvre pour mesurer et réaliser cette performance »

(Cappelletti, 2010, p.12). Dans cette vision gestionnaire, l’organisation pilote la performance à travers les objectifs stratégiques pour mettre en place des actions opérationnelles concrètes, où l’encadrement de proximité est un acteur clé.

Lorino (2003) qualifie un système de pilotage fonctionnel comme simple, interprétable pour l’action, structuré et orienté vers la stratégie. Cet auteur préconise un nombre limité d’objectifs et d’indicateurs de performance, des règles de priorisation pour limiter les contradictions entre objets de mesure, ainsi que l’explication claires des données afin d’être comprises par les personnes concernées. Dujarier (2006) ajoute que les objectifs doivent être atteignables, la fixation d’objectifs idéaux dégradant au contraire compétence, motivation, productivité et maîtrise managériale. En s’intéressant à la performance, l’ergonomie cherche, quant à elle, à mieux appréhender les compromis, notamment réalisés par les cadres, entre satisfaction de l’exigence de productivité et valorisation du travail (Blazejewski & Hubault, 1999).

2.2.1. Une multiplicité de conceptions des indicateurs

Pour Pesqueux (2004), une performance est un résultat chiffré dont le résultat de l’évaluation est classé par rapport à un référentiel, norme ou concurrent. Avec cet étalonnement, la mesure devient objective. A l’inverse, selon Dejours (2003), l’évaluation qui consiste soit à juger soit à mesurer ne peut être que subjective en fonction de la situation à évaluer et des critères

choisis. Pour cet auteur, mesurer le travail est impossible : seul un jugement peut être apporté à condition de bien connaitre les composantes de ce travail.

Comme pour la définition de la performance de La Villarmois, Pesqueux (2004) défend une évaluation de la performance à partir de deux dimensions : d’une part une synthèse de plusieurs indicateurs économiques et systémiques pour s’assurer de la pérennité de l’organisation, et d’autre part une dimension subjective, à la fois sociale par des données sur les ressources humaines, et sociétale par la légitimité de l’organisation. Contrairement aux définitions gestionnaires, pour cet auteur, la performance organisationnelle ne peut se décrire simplement à partir d’une mesure comparative entre une valeur d’entrée et une valeur de sortie, les éléments à prendre en compte sont non exhaustifs.Pourtant, Lorino (2003) affirme, lui aussi, qu’un indicateur n’est pas une mesure objective mais qu’il est construit selon des critères variant en fonction de la stratégie adoptée par l’organisation.

Un indicateur, outil de gestion, est « une information devant aider un acteur à conduire le cours d’une action vers l’atteinte d’un objectif ou devant lui permettre d’en évaluer le résultat » (Lorino, 2003, p.131). Barabel & Meier (2010) ajoutent à cette définition un élément conventionnel puisqu’un indicateur, défini par des règles et des conventions, est un signe, variable ou fonction de variables, le plus souvent quantitatif, qui est utilisé pour représenter des systèmes complexes. Représentation empirique de la réalité, son calcul est identique et récurrent dans le temps pour comparer différents systèmes. Chiapello & Gilbert (2013) en distinguent trois rôles que Moisdon (2005) associe à trois niveaux de l’organisation : structurer les conduites et piloter le changement à partir de modèles normatifs au plan stratégique, étudier les déterminants essentiels de l’organisation par des instruments d’analyse au plan organisationnel, et structurer les actes courants de la gestion en explorant de nouvelles situations au plan des opérations productives. En ce sens, Lorino (2003) définit plusieurs sortes d’indicateurs :

L’indicateur de résultat évalue le résultat final lorsque l’action est réalisée. Contrôlant l’atteinte des objectifs fixés, cette mesure n’influence pas le cours de l’action.

L’indicateur de suivi ou de processus mesure une action en cours. En renseignant sur l’évolution des tendances, il sert à réajuster l’activité s’il y a déviation.

L’indicateur de reporting informe le niveau hiérarchique supérieur sur la performance réalisée et l’atteinte des objectifs. Il correspond à un engagement contractuel.

L’indicateur de pilotage aide au pilotage de l’activité. Il guide une action en cours mais n’est pas forcément contrôlé par les supérieurs hiérarchiques.

2.2.2. Pour des utilisations aux objectifs variés

Malgré ces distinctions théoriques, il est difficile de les différencier dans l’activité de travail : un indicateur de résultat pour une action courte peut devenir un indicateur de suivi pour une action plus longue dans le temps. Selon Lorino (2003), un indicateur est pertinent à la fois sur le plan opérationnel quand il est en lien avec l’action à piloter, et sur le plan stratégique lorsqu’il correspond à un objectif. Ainsi, en théorie, les indicateurs guident les représentations et les actions, alors qu’en pratique ils sont « adoptés » par le terrain (Martineau, 2008). L’implantation des outils de gestion et les dynamiques de changement qu’elle implique est à questionner, d’autant plus que les organisations contemporaines sont hyper-instrumentées et inventent continuellement de nouveaux outils (David, 1998). Un enjeu de taille pour le management se situe au niveau de l’appropriation de ces outils par les différents acteurs de l’organisation (Bourguignon & Jenkins, 2004). Pour Moisdon (1997), les cadres intermédiaires sont particulièrement impliqués dans ces processus de contextualisation des outils de gestion, tout comme les cadres de proximité et les équipes encadrées (Detchessahar & Journé, 2007). En construisant et déconstruisant les discours stratégiques de l’organisation, ces acteurs sont essentiels pour mettre en œuvre la stratégie de l’organisation (Rouleau, 2005).

Dans les environnements de travail actuels, fortement perturbés et concurrentiels, mesurer la performance sous tous ses aspects semble primordial, car comme nous l’avons vu, la mesure de la performance financière ne suffit plus. Kaplan & Norton (1993) conseillent l’utilisation d’un tableau de bord prospectif, le Balanced Scorecard, avec des indicateurs financiers, clients, organisationnels et développementaux. Pour ces auteurs (1996), maintenir un équilibre entre tous ces facteurs est essentiel pour bien évaluer l’organisation. Ce tableau détaille les moyens de mise en œuvre en traduisant la stratégie en objectifs opérationnels. Cette notion d’équilibre est particulièrement poussée entre les objectifs à court et à moyen/long termes, les indicateurs financiers et non financiers, les indicateurs de mesure de la performance déjà réalisée et les indicateurs « prospectifs » et enfin la perception externe et la performance réalisée en interne. Les indicateurs financiers sont ainsi contrebalancés par les indicateurs plus orientés client, processus et dynamique de croissance. Le Balanced Scorecard incite les cadres à mieux comprendre l’ensemble des aspects de la performance, bien que ce type de pilotage les pousse à gouverner à distance par les chiffres (Moisdon, 2005).

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