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Chapitre 1 – La Fonction Publique à la recherche d’un modèle de management

2. Pilotage par la performance : le choix d’une politique de gestion par indicateurs

2.4. DGFiP : une institution en quête de performance

En 2010, suite aux premières remontées des espaces de dialogue5, la DGFiP s’est questionnée sur le poids des indicateurs de performance qu’elle emploie et leurs impacts sur une forme de mal-être au travail chez les cadres et les agents. En lançant un appel à consultation sur « Incidence des indicateurs et du pilotage par la performance sur les conditions de vie au travail » remporté par une équipe de chercheurs du Cnam, la DGFiP définit (section I de l’appel) son pilotage comme contribuant à « donner du sens à l’activité des services et des

agents ». Cela traduit une certaine volonté de prendre en compte l’activité dans son pilotage

par la performance, mais aussi des difficultés quant à la manière de le faire.

5Les espaces de dialogue sont un dispositif mis en place par la DGFiP depuis 2010 pour discuter sur les conditions de vie au travail. Nous y reviendrons en détail dans le Chapitre 6.

2.4.1. Une administration partagée entre performance et conditions de vie au travail

L’étude du Cnam (Dujarier & al., 2011) a cependant montré que ce mode de pilotage par la performance et l’usage qui est fait des indicateurs, combinés aux aspects d’intensification du travail, transforme le métier des cadres comme celui des agents. Le sentiment de produire de la moindre qualité, ne correspondant plus à la notion de service attendu par l’usager, se généralise. Ce rapport préconisait d’ailleurs d’adopter une organisation du travail plus capacitante afin de mieux gérer la charge de travail pour diminuer les effets de l’intensification du travail, ainsi que d’améliorer les systèmes techniques utilisés pour une utilisation plus performante. De plus, le dialogue de gestion, rendez-vous annuel avec la hiérarchie immédiate pour discuter des orientations des services dont les cadres de proximité ont la charge, tend à se focaliser sur les indicateurs, effaçant même les objectifs initiaux et la discussion autour des difficultés concrètes rencontrées au quotidien dans les services.

L’équipe du Cnam (2011) proposait de passer de ce dialogue de gestion à un dialogue d’organisation en redéfinissant les règles du dialogue de gestion, en limitant le nombre d’indicateurs et en stoppant le management comparatif afin de redonner de la marge aux cadres de proximité. Suite à cette étude, le nombre d’objectifs a diminué, passant de 10 objectifs et 18 indicateurs en 2010, à 4 objectifs et 8 indicateurs en 2013 (cf. Annexe 2).

Ce premier grand virage dans la stratégie de pilotage de la DGFiP est accompagné d’une évolution de la présentation du niveau à atteindre de l’indicateur : il n’y a plus forcément une hausse de l’objectif même minime pour l’année N+1, une petite marge de manœuvre est donnée au niveau local autour du niveau de l’indicateur à atteindre. Pourtant, entre 2008 et 2013 (cf. Annexe 3), nous constatons que, bien que le résultat de l’ensemble de ces indicateurs soumis à intéressement soit toujours supérieur à la cible fixée en début d’année, ces cibles sont encore souvent revues à la hausse d’une année sur l’autre, dans une logique de course à la performance, où les conséquences sur le travail des cadres de proximité semblent omises. En effet, bien que le discours de l’administration centrale martèle la baisse du nombre d’indicateurs, les cadres rencontrés à la tête de services de proximité avouent bien souvent travailler au quotidien en suivant le même nombre d’indicateurs, ce qui ne diminue pas véritablement la pression du chiffre dans les services.

2.4.2. Des stratégies de contournement des indicateurs de performance

Le pilotage par la performance et l’utilisation des indicateurs sont bien ancrés dans les services de la DGFiP. Pourtant, un indicateur ne rend pas toujours compte du travail effectué, pas plus qu’un indicateur atteint ne signifie nécessairement un travail de qualité. D’une part, l’indicateur oriente le travail quotidien. Certaines tâches comme l’archivage et l’accueil du public ne sont pas mesurées par un indicateur. Ce travail gris est non reconnu, non valorisé (Piney, 2011). Soit il n’apparait plus dans la hiérarchisation de l’urgence des tâches à réaliser : l’archivage des dossiers devient de l’ensilage où il est difficile pour l’agent de retrouver un dossier traité. Soit aucun volontaire ne souhaite le réaliser : les agents d’accueil sont souvent affectés par défaut. D’autre part, pour les agents comme les cadres de proximité, certains indicateurs sont intéressants si regardés individuellement, mais contradictoires dans une vision d’ensemble. Par exemple, plus les agents travaillent en relançant les usagers pour récupérer les déclarations, ce qui améliorer un premier indicateur, plus le taux de recouvrement risque de se dégrader si ces usagers qui n’avaient pas déclaré ne paient pas leurs impôts. Leur sens peut être remis en cause. La transformation du travail induite par la volonté d’atteindre les objectifs dégrade alors la qualité du service rendu. Bien que comprise par les agents, la finalité des indicateurs est souvent contournée afin de les satisfaire par des « bidouillages » ou des « verdissements », les indicateurs devenant physiquement verts dans les tableaux de bord lorsqu’ils sont atteints.

Cette pression sur le métier par l’indicateur conduit à différents types de pratiques, dont certaines peuvent être couteuses en termes de charges additionnelles induites : pratiques de hiérarchisation des tâches par suppression de certaines tâches ou ajout de tâches pour mettre des dossiers en attente, par réorganisation en fonction des délais du rendu des indicateurs ; pratiques visant à modifier le résultat de l’indicateur par manipulation de logiciel et simplification des dossiers. Les agents usent de ces stratégies pour améliorer les indicateurs en s’accommodant des moyens à leur disposition, mais cette déviance du pilotage par la performance creuse un écart entre performance mesurée et performance réelle des services. Ces manipulations fréquentes créent également un sentiment de dénaturation du métier pour les agents, qu’ils ressentent souvent comme de la « non qualité », ou du « travail pour l’indicateur ». Ce genre de pratiques, souvent connu par les cadres de proximité qui peuvent eux-mêmes y participer, aboutit à une perte de sens du métier, sentiment partagé par les agents et les cadres de proximité.

2.4.3. L’évolution des objectifs

Ces effets délétères ont conduit la DGFiP à se questionner sur son actuel pilotage par la performance et y apporter des changements. Suite à la fusion, les modalités de pilotage et de contrôle de gestion se sont simplifiées et unifiées : la note du 31 mai 2011 met à plat le dispositif du « dialogue de gestion unifié », qui deviendra « le nouveau dialogue de gestion » en 2012, « le dialogue de gestion rénové » en 2013, puis « le dialogue de performance globale » en 2014. Ces changements annuels montrent un certain tâtonnement de l’administration à trouver un mode de management. Selon la DGFiP, le dialogue de gestion a été initialement conçu dans une démarche objectifs-résultats, dans le but d’augmenter la performance.

Dans sa démarche stratégique publiée en 2013, la DGFiP fait évoluer ce dialogue de gestion vers un dialogue de performance globale, notion qui comme nous l’avons vu se diffuse dans la littérature. En intégrant la notion de performance sociale, la DGFiP veut redonner du sens à la dimension humaine. Ce nouveau dialogue est fondé sur une vision d’ensemble des missions, des priorités et des moyens, et la relation managériale est censée devenir plutôt un accompagnement et un soutien aux services. Pour les responsables de la DGFiP, le cadre de proximité pourra s’exprimer sur les conditions de vie au travail dans son service, au même plan que les résultats obtenus. Dans la réalité, certains cadres rencontrés avouent ne pas encore oser revendiquer leurs difficultés quotidiennes.

Synthèse

En s’inspirant du New Public Management, les administrations françaises se sont lancées dans un important processus de réformes pour passer d’une culture des moyens à une culture des résultats, bouleversant le travail au quotidien et le sens qui lui était jusqu’alors donné. Pourtant, la littérature révèle un certain flou et de nombreuses ambigüités autour de la notion de management public, ce qui contribue à alimenter les débats polémiques sur le sujet. L’activité de travail et ses conditions d’exercice semblent complètement effacées par la performance et ses outils de gestion. Bien que ces modèles de management déployés dans la Fonction Publique soient régulièrement critiqués, encore peu de travaux étudient leurs impacts sur les conditions de vie au travail, particulièrement pour les premiers niveaux d’encadrement. Notre recherche propose justement de replacer l’activité au cœur des systèmes de pilotage par indicateurs pour mieux articuler les règles établies par l’organisation avec le travail réel.

Dans l’administration étudiée, nous avons vu que le management, suivant la définition de Worms (2006), ne laisse que très peu de marge de manœuvre à ces premiers niveaux d’encadrement malgré les préconisations de la LOLF : définition des objectifs et des critères d’évaluation par le top management sans leur consultation, impossibilité de négocier les moyens financiers et les ressources mis à leur disposition, mode d’organisation rigidifié par le pilotage par la performance. Le seul levier semble être le mode d’organisation du travail au sein des services dont ils ont la charge. A ces fortes contraintes s’ajoutent de lourdes attentes de l’organisation qui pèsent sur eux, tant en termes de définition des objectifs aux équipes que d’évaluation de la performance des services. Pris dans un paradoxe entre pilotage par la performance qui incite à gouverner à distance par les chiffres et recherche de proximité que porte la définition-même du service public, les cadres de proximité sont des acteurs clés dans la régulation des conditions de travail dégradées par la succession de changements organisationnels, l’intensification du travail, la perte de sens liée aux réformes, alors que leurs propres conditions de travail ne sont que rarement évoquées.

Ces éléments nous poussent à questionner, dans le chapitre suivant, le positionnement et le rôle que tiennent les cadres de proximité dans ce type d’organisation publique pilotée par la performance, ainsi que la place qui y est faite aux conditions de vie au travail, des cadres comme des agents encadrés.

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