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Chapitre 1 – La Fonction Publique à la recherche d’un modèle de management

1. La réforme de l’Etat en France : quand la gestion privée arrive au service public

1.2. Les nouvelles frontières du service public en France

Si la plupart des pays se sont lancés dans le New Public Management dans les années 1980, la France a pris ce virage plus tardivement avec la Loi Organique relative aux Lois de Finances (LOLF) qui est certainement la manifestation la plus visible de ce mouvement de transformation de l’administration française et de son service public. Conçue en 2001 dans un

climat de consensus politique, doctrinal et médiatique, la LOLF dont l’objectif principal affiché est la recherche d’efficacité dans l’utilisation des crédits des finances publiques (Calmette, 2006), a pour but de réformer l’Etat. En amont, des réformes se sont succédé pour préparer les bases d’un « gouvernement à distance » et d’une gestion par la performance (Bezes & Padis, 2008).

Selon la LOLF, de nouvelles responsabilités sont attribuées aux cadres publics : ils auraient une plus grande liberté de gestion du service dont ils ont la charge pour atteindre les objectifs votés au Parlement. Les missions des fonctionnaires seraient également clarifiées, les services décloisonnés en faveur d’un meilleur dialogue social.Une dimension clairement politique des Finances Publiques émerge de l’esprit de la LOLF et de l’objectif de performance : la réduction du déficit public par une restauration de la rigueur budgétaire (Calmette, 2006). La méfiance vis-à-vis du travail des fonctionnaires ayant poussé à la demande et à l’évaluation de la performance, l’Etat se veut lui-aussi être une « entreprise privée bienveillante », garante d’efficacité (Calmette, 2006, p.5).

1.2.1. L’accélération des réformes administratives

Moteur de l’accélération des processus de réformes des administrations, la LOLF transforme simultanément les objectifs, les principes et les instruments (Bezes, 2008). Pour Calmette (2006), elle systématise l’évaluation de l’ensemble des actions des services de l’Etat, sans prendre en considération ses spécificités. Derrière ces outils apparemment neutres se cachent des choix politiques discutables mais non discutés (Boussard & Loriol, 2008) menant à diverses critiques : biais des données quantitatives, manière de fixer les objectifs mesurables avec des indicateurs irréalistes ou sans rapport avec le véritable travail des agents, faible adhésion des personnels aux réformes du service public (Trosa, 2006 ; Winicki, 2006). Cette question de l’adhésion se pose particulièrement pour les cadres de proximité. Par leur fonction et leur position hiérarchique, ils sont à la fois responsables de la mise en application des politiques de modernisation et de l’utilisation des outils de gestion (Dujarier, 2006 ; Mispelblom Beyer, 2010).

Cette bureaucratisation des tâches des gestionnaires peut devenir inquiétante, d’autant plus lorsque les indicateurs de la LOLF sont démultipliés, ce qui entraine l’utilisation de nouveaux outils et l’adoption d’un nouveau langage (Winicki, 2006), une perte de la qualité des informations recueillies et une augmentation du temps pour les analyser (Bezes & Padis,

2008). Pour le succès d’un pilotage par la performance, la clarté des objectifs est très importante, mais celle-ci est difficile à tenir lorsque les objectifs sont multiples et quelquefois divergents comme ceux des dépenses publiques. Les objectifs d’efficacité et de qualité, qui eux aussi par leurs dimensions subjectives peuvent être antinomiques, sont difficilement mesurables avec des indicateurs fiables (Calmette, 2006). Selon les politiques publiques, la LOLF permet une évaluation a posteriori de la performance des résultats budgétaires : les objectifs sont comparés à la fin de l’année, les moyens financiers et humains sont pris en compte pour une évaluation plus juste de l’efficience de l’utilisation des crédits. Pourtant, Calmette (2008) en relève deux faiblesses : l’attention renforcée sur le bénéfice financier crée un déséquilibre, l’évaluation annuelle supprime la vision sur le long terme.

1.2.2. Des conséquences sur le service public

La Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) lancée en 2007 affiche les mêmes objectifs par des réformes structurelles en recentrant l’Etat sur ses missions prioritaires. Un intérêt particulier est affirmé à la valorisation du travail et au parcours des agents, ainsi qu’à la responsabilisation de la culture du résultat (Chevallier, 2010). Inscrite dans une période profondément remaniée par la mise en place de la LOLF, la RGPP en est en quelque sorte la traduction managériale, un « dispositif contenant » (Bezes, 2008). La Modernisation de l’Action Publique (MAP), créée en octobre 2012 par le gouvernement issu des élections de cette même année, a remplacé la RGPP en affichant les objectifs suivants : la simplification et l’amélioration de la qualité de service, la mobilisation des leviers numériques, l’évaluation pour rénover, la modernisation de la gestion publique, et l’association des agents et des partenaires. Ces objectifs sont similaires à ceux de la RGPP, excepté un ajout de taille : l’évaluation des politiques publiques pour identifier des mesures d’économie.

Dans une approche publique, la volonté de rapprocher l’offre de la demande s’est traduite par un mouvement général de décentralisation de l’Etat (Worms, 2006). Par principe de proximité avec les citoyens, les services publics sont pris en charge de manière privilégiée par des structures implantées sur l’ensemble du territoire, et celles-ci deviennent plus autonomes vis-à-vis de leur hiérarchie. En parallèle, les contours du service public, autrefois en perpétuelle extension, sont finement délimités pour ne conserver que ce qui relève de l’impératif de la cohésion sociale. L’administration fiscale française abandonne ainsi son activité bancaire par exemple. Selon Chevallier (2010) et Nosbonne (2013), ces transformations des valeurs et des pratiques du service public se traduisent concrètement par l’ajout de normes contraignantes,

par la redistribution des niveaux de décisions et de compétences, par le transfert de tâches, par la perte de sens et l’amaigrissement du service public.

Pour Chevallier (2007), le service public passe d’une conception organique, où ce service était considéré comme une institution chargée d’assurer une mission pour le compte de celle-ci, à une conception fonctionnelle, où le service public est devenu une prestation fournie à la population pour satisfaire l’intérêt général. L’uniformité de la règle administrative assure alors la neutralité du service public. Dès lors qu’on applique les principes d’un management privé aux services publics, les spécificités de ce service public impliquant des règles particulières de gestion en termes de statut juridique des organisations qui le constituent, de statuts des personnels et de compétences professionnelles et des métiers sont abandonnées (Worms, 2006). La notion d’usager laisse place à celle de clients, de consommateurs (Chevallier, 2007) qui attendent de l’administration publique efficience et performance. Par exemple, la charte Marianne est adoptée en 2005 pour mesurer, à l’aide d’indicateurs quantitatifs, la qualité de l’accueil physique ou à distance des usagers dans les services administratifs de l’Etat.

Cet accent mis sur les résultats amène à questionner les valeurs-mêmes du service public, celui-ci étant jusqu’alors fondé sur des principes d’équité et de solidarité (Bartoli & al., 2011). La dimension éthique associée à l’idée d’administration au service des citoyens, qui a l’objectif de satisfaire l’intérêt général, n’est pas compatible avec celle de performance en management public, où la rentabilité et le profit sont devenus des buts à atteindre. Bartoli & al. (2011) montrent que cette incompatibilité engendre conflits d’intérêts, non-respect du principe de neutralité, distorsion d’informations, problème d’équité versus égalité. Ces questionnements remettent autant en cause les objectifs poursuivis par le New Public

Management que la pertinence des outils utilisés. Les cadres dirigeants se trouvent de plus en

plus éloignés de ces pressions susceptibles de ne plus garantir la neutralité et l’impartialité du service public (Worms, 2006), faisant trop souvent décaler et peser la responsabilité de performance du service public sur les cadres de proximité.

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