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II. Entretiens et approche interculturelle

1. De la nécessité de la préparation des entretiens et de l'observation participante en contexte interculturel

Des discussions préalables aux entretiens, ainsi que la participation à différents événements organisés par le Conseil de l'Europe, l'Institut Européen des Itinéraires Culturels et les Itinéraires Culturels eux-mêmes – selon le principe d'observation participante – ont jalonné le travail de recherche en amont des entretiens à proprement parler. Si, au début du travail de thèse, il avait été pensé, un peu naïvement, qu'il s'agirait d'adopter une méthodologie interculturelle pour aborder des entretiens dans différentes langues, relevant de contenus conceptuels – le patrimoine notamment – qu'il s'agissait de saisir au mieux, il a rapidement fallu constater qu'il n'existe pas véritablement de méthodologie de l'entretien en contexte interculturel – entendons-nous, nous prenons le terme interculturel ici dans son sens d'interaction de cultures. Il existe des approches interculturelles, des postures interculturelles ; l'interculturel est un champ interdisciplinaire de recherche très prolifique en réflexions, comme nous avons pu le voir dans le chapitre 1, mais il est difficile d'y trouver une

méthodologie pour des entretiens. A l'instar d'I. Brianso qui, dans sa thèse « Les politiques internationales de valorisation pour des biens culturels inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO : médiation culturel, coopération et interculturalité », aborde la question de l'interculturel, notamment en terme de méthodologie, la grille de lecture interculturelle développée par J. Demorgon (2004) aurait pu être une possibilité. Cependant, elle ne semblait pas recouvrir tous les aspects du terrain tel que nous l'avions construit. Nous avons donc composé avec différentes méthodes qui devaient tout de même garantir la fiabilité des données et leur pertinence.

a. Observation participante

En amont des entretiens à proprement parler, nous avons donc procédé à de 'l'observation participante'. Mais on ne peut pas tout à fait parler d'observation participante telle que l'entend la méthodologie en anthropologie ou en sociologie. Dans un article où il interroge les « usages et les justifications de la participation observante en sciences sociales », B. Soulé explique : « l’observation participante implique de la part du chercheur une immersion totale dans son terrain, pour tenter d’en saisir toutes les subtilités, au risque de manquer de recul et de perdre en objectivité. L’avantage est cependant clair en termes de production de données : cette méthode permet de vivre la réalité des sujets observés et de pouvoir comprendre certains mécanismes difficilement décryptables pour quiconque demeure en situation d’extériorité. En participant au même titre que les acteurs, le chercheur a un accès privilégié à des informations inaccessibles au moyen d’autres méthodes empiriques. » (Soulé, 2007 : 128). Dans un certain sens, il aurait fallu être véritablement extérieur aux Itinéraires Culturels du Conseil de l'Europe pour pouvoir appliquer les principes de l'observation participante tels que B. Soulé les expose, mais dans notre cas, il s'agissait plus d'adopter une posture d'observation a posteriori vis-à-vis d'événements et d'interactions diverses auxquels nous avions participé. Si cette démarche n'avait pas été envisagée au départ, elle s'est révélée nécessaire au cours de travail pour créer une distanciation entre les discours des acteurs et leurs contextes de production, et le travail de recherche à proprement parler. En effet, les réunions de travail, conférences, universités d'été, forums, colloques, etc. étaient avant tout des occasions de travail et c'était avant tout en tant qu'acteur des Itinéraires Culturels que j'y participais. S'ils étaient une source d'information importante, ils ne constituaient cependant pas des données exploitables en tant que telles. C'est en cela qu'un effort de distanciation a posteriori était nécessaire : comme je participais plus que je n'observais, il fallait ensuite faire un retour, une observation de ma propre participation.

Prenons un exemple plus précis40, pour mieux expliciter notre propos. L'Université d'Eté des Itinéraires Culturels, organisée en septembre 2012 à Strasbourg, était l'une des premières réunions du genre de l'ensemble des porteurs de projet d'Itinéraires certifiés et candidats à la certification, d'universitaires, d'experts indépendants du Conseil de l'Europe et de représentants des institutions européennes. J'y ai participé en tant que représentante de l'Itinéraire Culturel Via Regia, aux côtés de ma collègue allemande. Dans les différents ateliers organisés autour de différentes thématiques (définition des Itinéraires Culturels, branding/ marketing, travail en réseau, notion de paysage/ interprétation / mise en valeur du patrimoine, etc.), j'intervenais avant tout en tant qu'actrice. Pour pouvoir conserver une trace objective de l'ensemble des interventions, j'ai enregistré la plupart des discussions, des présentations, etc. Ensuite, une fois de retour, j'ai transcrit et annoté l'ensemble afin de conserver une trace, notamment, des contextes et de permettre une objectivation de ma propre participation et, donc, une formulation en termes d'observation. L'idée était donc bien, si on revient à la définition de B. Soulé, de ne pas manquer de recul et de ne pas perdre en objectivité. Mais, dans ma situation, il ne s'agissait pas de participer « au même titre que les acteurs » (Soulé, 2007), mais bien de participer « en tant qu'acteur », et ensuite, de mettre en œuvre une objectivation de l'expérience en prenant soin d'éviter les biais liés d'une part à mon propre ethnocentrisme et, d'autre part, ceux liés à mon implication et à celui de « l'implicite partagé » (Aldrin, Dakowska, 2011). b. Préparation des entretiens

Parallèlement à ces observations, nous avons préparé les entretiens lors des phases d'exploration des archives in situ. Nous n'avons pas réalisé à proprement parler des entretiens préparatoires, nous avons plutôt procédé par discussions informelles. Ces discussions ont permis d'expliquer la démarche globale du travail engagé dans le cadre de la thèse, d'expliquer le fonctionnement mais aussi le but de l'entretien et de rassurer, d'une certaine manière, les différentes personnes sur l'utilisation qui serait faite de leurs paroles. Là aussi, cependant, les discussions préalables aux entretiens ont servi à mieux me positionner comme chercheur et non comme acteur, afin que, lors de l'entretien, des biais liés à ma double position n'apparaissent pas trop, comme, par exemple, l'appel à l'implicite partagé et donc non explicité (événements, réunions, discussions antérieures voire souvenirs), ou encore la discussion entre acteurs sur des sujets de travail et de 40 Il y a eu beaucoup de moments d'observations participante à différents niveaux. Au-delà de l'exemple cité, d'autres événements du même type ont eu lieu auxquels j'ai participé en tant que professionnelle (Université d'Eté des Itinéraires Culturels en 2013 à Selinunte (Sicile), Forum Consultatif des Itinéraires Culturels en 2011 à Luxembourg, en 2012 à Colmar, Carrefours d'Europe à Pavie en 2012, réunion des Itinéraires Culturels à Bruxelles en 2013, etc.). Au niveau national français, en tant que représentante de la Via Regia au sein de la Fédération Française des Itinéraires Culturels, des réunions de travail avec le Ministère de la Culture, ainsi que des événements de présentation du Programme des Itinéraires Culturels et des workshops co-organisé avec l'IREST. Au niveau de différents Itinéraires, en particulier la Via Regia, laVia Francigena et Saint Martin de Tours, différentes collaborations et réunions ont eu lieu (correction de la version française de la revue Via Francigena en 2013, participation à l'Assemblée Générale du réseau des Centres Culturels Saint Martin en 2013 à Zagreb, Croatie, et 2014 à Maribor, Slovénie, etc.).

réflexion actuels (où mon avis notamment pourrait être sollicité). A l'inverse, il fallait tout de même conserver une certaine liberté de discours, telle qu'elle peut exister dans une discussion entre collègues, afin de dépasser le discours entendu, la présentation dite et redite maintes et maintes fois, et d'aller dans des détails que les acteurs peuvent considérer comme dangereux pour leur projet s'ils étaient rendus publics. Les discussions préalables aux entretiens ont donc permis de trouver, avec chacune des personnes en fonction de leur situation, une forme d'équilibre entre la discussion courante et l'entretien totalement formel.

Par ailleurs, l'observation participante comme les discussions préalables aux entretiens se sont révélées particulièrement importantes pour mieux saisir, en amont, les contextes dans lesquels les acteurs agissent – même en connaissant déjà bien le « milieu » des Itinéraires Culturels, il n'en reste pas moins que le regard porté sur ce même milieu était différent dans le cadre du travail de thèse. Dans ces contextes, il était important de comprendre le fonctionnement des lieux de travail et les interactions entre les personnes, mais aussi la manière dont ils mobilisent un certain nombre de concepts liés aux Itinéraires Culturels du Conseil de l'Europe dont, en particulier, ceux du patrimoine et du patrimoine européen. En effet, pour ne pas imposer la thématique outre mesure dans l'entretien, mais pour la saisir dans les différentes langues et contextes de travail, on a pu aborder le sujet à plusieurs reprises, dans différentes discussions, parfois avec un acteur seul, parfois en groupe. Cela devait garantir une compréhension réelle des concepts, en dehors de l'entretien et de son enregistrement, dans un cadre plus libre, pour les acteurs comme pour moi-même puisque je pouvais d'autant plus me faire expliquer dans le détail le 'fond de leur pensée' et comment ils saisissaient les mots qu'ils employaient et, donc, d'adopter une approche interculturelle dans le sens de J. Nowicki dans laquelle je prenais « au sérieux la culture, la [mienne] comme celle d'autrui » (Nowicki, 2005 : 133).

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