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1.5 Raffaele La Capria : l’homme blessé

1.5.2 Le mythe de la belle journée

Deux romans sillonnent l’enfance et la jeunesse napolitaine de l’auteur, La neve del Vesuvio et Ferito a morte. Tonino et Massimo, l’enfant et le jeune homme, sont l’alter ego du narrateur. Les journées de Massimo (comme celles de Tonino) ont toujours été vécues dans l’attente. La bella giornata n’est pas seulement le titre du chapitre VII du premier ouvrage, mais une profession de foi grâce à ce contact permanent avec l’eau qui transfigure les journées du protagoniste. La mer, c’est d’abord un paysage grandiose et sublime :

E quando al mattino mi affacciavo dalla terrazza ogni volta si rinnovava la meraviglia. Non poteva nascere che lì il mio mito della “bella giornata”! Palazzo Donn’Anna, con le sue ombre spettrali e la sua luce folgorante era già una buona metafora della mia immagine mentale di Napoli3.

1 RAFFAELE LA CAPRIA, Lo stile dell’anatra, Milano, Mondadori, 2001, p. 132. Trad. (Je veux te parler des images

primaires que là-bas (dans le palais donn’Anna) se sont formées dans mon esprit et qui se sont à jamais déposées dans mon âme. Les seuls endroits importants pour un écrivain, et pour quiconque, ce sont en effet les endroits où l’on naît, l’on développe la mémoire imaginative, et l’identité la plus secrète. Cette mémoire est faite d’images sensorielles et mentales qui se présentent dans les moments imprévus et en combinaisons impensables, cependant toujours liées aux cinq sens et surtout, pour moi, à celui de la vue; ensuite aux odeurs, aux saveurs, aux sons, contacts)

2 RAFFAELE LA CAPRIA, Ferito a morte, Milano, Mondadori, Oscar Mondadori, 1984 (1ère édition 1961), pp. 200,

ici p. 49. Trad. (Une ville qui s’est placée en dehors de l’Histoire) ; Idem, p. VII de l’Introduction. Trad. (Qui parfois semble exister en dehors de l’histoire, en dehors du monde, plongée dans un « temps » propre)

3 RAFFAELE LA CAPRIA, L’estro quotidiano, op. cit. , p. 21. Trad. (Et lorsque le matin je me penchais depuis la

terrasse chaque fois se renouvelait la merveille. Il ne pouvait naître que là-bas le mythe de la « belle journée » ! Le palais Donn’Anna, avec ses ombres spectrales et sa lumière fulgurante était déjà une bonne métaphore de mon image mentale de Naples)

Le rapport avec Naples devient ainsi « solaire et aquatique »1 et cela d’autant plus que le palais où Massimo vit, est entouré par la mer sur trois cotés ; depuis la terrasse, il peut donc plonger, partir en bateau ou bavarder avec les pêcheurs. La symbiose avec la mer est absolue et parfaite. Elle commence dès le réveil par le parfum des embruns qui lui parviennent alors qu’il est encore dans son lit et par cette odeur caractéristique d’une journée qui s’annonce merveilleuse2. L’harmonie continue en pleine mer grâce au vent qui donne la chair de poule3. La mer, c’est un lieu de passage, d’échange et de rencontre. Les amis qu’il rejoint à l’occasion d’un plongeon, le panorama des belles villas côtières du Cap Pausilippe, la rencontre d’une nouvelle fille, et la pêche sous-marine créent le mythe de la Naples de sa jeunesse :

A volte sotto la terrazza passavano gli amici con la barca, e io con un tuffo a volo d’angelo saltavo dalla terrazza e li raggiungevo. Oppure mi chiamavano per chiedere un’arancia, un panino, una mela, per unirmi a loro nella pesca subacquea, per presentarmi una ragazza. Passavano le grandi navi che arrivavano dagli oceani, il “Rex”, il “Saturnia”, il “Conte Biancamano”, che riconoscevo dalla sagoma. Passavano le barche di ritorno dalla pesca notturna e si calava il paniere per comprare il pesce, oppure si scambiavano previsioni sul tempo che faceva, ed era tutto un chiacchierare dalla terrazza al mare, tutto un viavai, specie durante l’estate 4.

La vie de ce jeune homme semble ainsi être d’éternelles vacances en rupture avec le réel, par le jeu de l’évasion. Pourtant, le temps dégrade la bella giornata qui s’estompe au fur et à mesure que le départ de Naples approche. En fait, l’image de la belle journée est toujours là mais différente. Massimo se souvient qu’il est toujours allongé sur un rocher et perçoit un changement même si rien ne laisse le percevoir5. De même que le palais Medina, - magique demeure de ses belles journées - se délabre de jour en jour et s’enfonce petit à petit dans le golfe de Naples, Massimo sombre et plonge dans ses pensées et méditations et finit par faire le point sur sa vie, la veille-même de son départ. Ainsi, dans ces topoï de mer et de lumière, semble s’opérer le mariage entre nature et

1 VINCENT D’ORLANDO, in RAFFAELE LA CAPRIA, L’harmonie perdue, op. cit. , p. 7.

2 RAFFAELE LA CAPRIA, Ferito a morte, op. cit. , p. 7. “Che giornata! L’odore della bella giornata, proprio l’odore”.

Trad. (Quelle journée ! L’odeur d’une belle journée, cette odeur caractéristique)

3 Nous remarquons en parallélisme les effets de chair de poule sur la peau de Massimo et à la surface de l’eau d’une mer

personnifiée. Ce contact est ici tactile, élégiaque et nostalgique. Idem, p. 27. “Il vento che ti sfiora, mai, mai più ripasserà. La pelle d’oca per il piacere di quella carezza. Anche il mare rabbrividisce, pelle d’oca anche il mare” Trad. (Le vent qui t’effleure, jamais, jamais il ne reviendra. La chair de poule pour le plaisir de cette caresse. Même la mer frissonne, chair de poule même la mer)

4 RAFFAELE LA CAPRIA, L’estro quotidiano, op. cit. , p. 22. Trad. (Parfois sous la terrasse ses amis passaient en

barque, et moi, d’un plongeon en vol d’ange je sautais depuis la terrasse et je les rejoignais. Ou bien on m’appelait pour me demander une orange, un sandwich, une pomme, pour que je me joignisse à eux à la pêche sous-marine, pour me présenter une fille. Les grands navires qui arrivaient des océans passaient, le « Rex », le « Saturnia », « le conte Biancamano », que je reconnaissais à leur silhouette. Les barques de retour de la pêche nocturne passaient, et on faisait descendre le panier pour acheter du poisson, ou bien on échangeait les prévisions sur le temps, et c’était tout un bavardage de la terrasse à la mer, tout un va-et-vient, en particulier pendant l’été)

5 RAFFAELE LA CAPRIA, Ferito a morte, op. cit. , p. 67. “Sdraiato sopra uno scoglio, nel cuore di una bella giornata

uguale a tutte le altre, uguale ma diversa” Trad. (Allongé sur un rocher, au coeur d’une belle journée semblable à toutes les autres, semblable mais différente); Idem, p. 55. “Quando li riapre appena, rientra nello scenario. A larghe spirali si dissolveil panorama intorno a lui nei vapori del mezzogiorno, il cielo e il mare, tutto bello, irrimediabile, non se ne può più ! Possibile che tutto sia uguale e tutto sia cambiato? Sì è possibile.” Trad. (Qu’il les entrouvre à peine, il revient dans le décor. Autour de lui, en larges spirales, le panorama se dissout dans les vapeurs de midi, tout est définitivement beau, le ciel et la mer, on n’en peut plus ! Est-il possible que tout soit à la fois pareil et différent ? Oui, c’est possible)

histoire : Naples archétype de ville magique et mythique, dévoile l’histoire d’un jeune homme qui doit se construire et trouver sa place dans la vie1.