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1.3 Le réalisme de Domenico Rea

1.3.6 Les femmes, des pécheresses

L’étude de la manière dont est perçue la femme, puis celle du comportement des hommes vis- à-vis d’elles, nous permettra de vérifier la réalité de ce stéréotype. « Napoli è una drammatica, tragica terra di vergini cinquantenni »2, affirme Domenico Rea. À Naples avoir une fille est un malheur assuré pour toute la famille : parce que dès sa naissance va se poser la question de la placer, celle donc du mariage. La Napolitaine a peur de rester « zitella » à vie. De plus, l’hypocrite loi de l’honneur fige encore plus la femme napolitaine dans une réalité certaine, ce dont la littérature rend compte. Domenico Rea refuse l’image stéréotypée de la femme napolitaine douce et aimante. Ses femmes sont marquées par leurs bas instincts, elles sont violentes et charnelles, torturées par le sexe et la jalousie, ou bien mères femmes soumises, en proie à leur bestialité : « Le sarnesi nascono madonne bruciate », dira-t-il3. À la campagne comme en ville, les femmes sont

1 Idem, p. 37. Trad. (Des centaines de têtes aux cheveux longs ou courts, de gens accoudés, qui le regardaient)

2 DOMENICO REA, Le due Napoli, op. cit. , p. 199. Trad. (Naples est une terre dramatique, peuplée de vierges

quinquagénaires)

considérées comme des êtres naturellement tournées vers le sexe: “Ti piace così o lo vuoi più duro?”1, c’est ainsi que Tuppino teste sa femme. Trois femmes, trois visages : la prostituée, la madone et l’ange. De la première, Domenico Rea nous brosse un portrait plus que réaliste. Tentatrice et envoûtante, elle est d’un naturel animal, mélange de sensualité et d’avidité:

“Tu sei uomo muscolo e pelo. Vieni a Taranto, tu ti fai ricco, tu , che dici? con questo corpo? Ma tu ti pigli le meglio signore della città! Tu mi pari l’animale montone con la faccia d’uomo” e toccandomi la mazza “Madonna mia, quanto è grande! Che bella notte! Che bella luna”2.

La femme mariée est soumise aux volontés de son mari quoique les ménages à trois soient légion 3. De la deuxième image, celle de la madone, il en garde intact la pureté, et ceci, malgré les privations de la guerre. Les deux catégories ne peuvent pas se mêler : Lenuccia qui pendant un instant semble prendre cette double connotation de putain et d’épouse aimante, doit mourir pour effacer sa honte et sauver l’honneur du mari trahi. La violence verbale des femmes relève d’un langage ordurier qui est monnaie courante dans les disputes où il est question de trahison : «Vattene con queste mani sporche di puttana»4. La sincérité des femmes aimantes trahies se teinte de la « recita » de certaines autres, éduquées dès la naissance à mentir, par des mariages arrangés avec des hommes de trente ans leur aînés. Rosa, dans Il Bocciuolo, est un exemple magistral de cette fiction entre les maladies qu’elle feint et ses véritables souffrances. La dernière catégorie, celle des anges, symbolisent des femmes impossibles à atteindre, le clivage social empêchant toute relation avec elles : c’est le cas de la duchesse Leonora dans L’Americano, la crocerossina pour Tuppino. Le sexe en somme divise « la femmina violenta acida e triste »5 d’Amalasunta « Regina della Soddisfazione »6. De surcroît, en opposition à ce type de femme, l’écrivain napolitain oppose la finesse d’une petite femme du Nord, Gavina, délicate et pleine de savoir-vivre, à l’accent mélodieux et suave7. Enfin donc, la femelle du Sud déconsidérée et mise en cage n’est pas davantage mise en valeur par sa silhouette souvent disgracieuse : entre la fellinienne Matalena, « una vacca »8, parmi les vraies vaches de son son mari, et la femme enfant, Lenuccia « piccola quanta una creatura di dieci o dodici anni con gli occhi degli uccelli e le mani paffutelle »9 ou bien l’ensemble des femmes du peuple « grasse, affannate, scapellate, discinte, come uscite da una zuffa mortale »10, aucune ne trouve grâce aux yeux de Domenico Réa. Il nous propose en définitive une vue restreinte et focalisée sur un seul type de femme, celle du peuple, instinctive, sensuelle et animale.

À l’étude de la représentation féminine, nous ajouterons celle du comportement masculin, et ce, toujours dans le but de vérifier la thèse de Domenico Rea quant à la violence naturelle du Napolitain.

1 DOMENICO REA, Tuppino, op. cit. , p. 63. Trad. (« Tu aimes comme ça ou tu le veux plus dur ? »)

2 DOMENICO REA, L’Americano, op. cit. , p. 81. Trad. (Tu es un homme tout muscle et tout poilu. Si tu viens à

Tarente, tout de suite tu t’enrichis. Qu’est-ce que tu en dis ? Avec un corps comme le tien ? Mais les plus belles femmes de la ville sont à toi ! Tu me fais penser à un bélier à face d’homme. » Et tout en caressant mon gourdin : « Madone, comme il est grand ! Quelle belle nuit ! Quelle belle lune !»)

3 Dans Estro furioso, Lutto figlia lutto, Il bocciuolo et L’americano.

4 DOMENICO REA, L’Americano, op.cit. , p. 82. Trad. (Va-t’en, avec tes mains qui sentent la pute) 5 DOMENICO REA, Le due Napoli, op. cit. , p. 199. Trad. (La femme violente, aigre et triste) 6 DOMENICO REA, L’Americano, op .cit. , p. 78.Trad. (Reine de la Satisfaction)

7 DOMENICO REA, Il confinato, in Gesù, fate luce, op. cit. , p. 99. Les hommes se pressent pour entendre son italien

italien mélodieux avec l’accent milanais.

8 DOMENICO REA, Tuppino, op .cit . , p . 62. Trad. (Une vache )

9 DOMENICO REA, La « segnorina », in Spaccanapoli, op. cit. , p. 45. Trad. (Lenuccia était aussi petite qu’une

créature de dix ou douze ans, avec des yeux d’oiseau et des mains potelées)