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Chapitre 5. Cadre de références

5.2 La perspective actionnelle

5.2.4 Mise en application

Dans le cadre de cette étude, les élèves ont dû réaliser en petits groupes un projet de

production en français. Ce projet devait être présenté sous forme d’un exposé écrit et/ou oral

durant lequel les élèves devaient préciser les étapes de sa réalisation, les modalités de travail

et les tâches incombées à chaque membre du groupe. La tâche est complexe puisqu’elle est

déclinée en plusieurs sous-tâches (recherche de documents, tri et classement d’informations,

prise de notes, reformulation, présentation, diffusion de l’information sous diverses formes

orale ou écrite…), chaque sous-tâche ou « micro-tâche » (Bourguignon, 2009) nécessite des

compétences différentes à développer, des compétences d’ordre cognitif, linguistique ou

technique. Ces « micro-tâches » se complètent entre elles et exigent la mise en place

d’activités de communication langagières et sont dépendantes les unes des autres. Il est à

souligner l’importance que nous accordons à la variété des documents et au traitement

de l’information afin de pouvoir sélectionner les documents les plus pertinents, relever

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l’information utile pour la réalisation de la tâche et surtout pouvoir par la suite la restituer et

la présenter sous une forme orale ou écrite.

La tâche développe également ce que Puren considère comme une « compétence

informationnelle » parce qu’elle exige un travail de recherche, d’évaluation et de traitement

de l’information (Puren, 2009a). Puren précise également que certaines opérations

concernant la maîtrise de l’information sont facilitées par les environnements numériques

comme par exemple savoir organiser et savoir communiquer et présenter l’information ou

savoir réutiliser, enregistrer et archiver l’information pour une réutilisation future… (Puren,

2009b). Ce qui cadre complètement avec le projet pédagogique que nous cherchons à

développer. Notons que le tri et la restitution des informations semblent être les deux étapes

les plus difficiles à maîtriser lors d’une recherche documentaire parce qu’elles exigent des

compétences multiples et complexes et nécessitent une longue phase d’initiation pour en

acquérir la démarche (Le Mercier, 2002). En même temps, la réalisation de projet

pédagogique exige le recours aux interactions sociales entre les membres du groupe mais

également entre les membres du groupe et le public qui est le destinataire de la présentation

orale. Les apprenants agissent donc, selon Olliver, sous « double contrainte relationnelle : la

contrainte interne au groupe et la contrainte externe » (Olliver, 2009).

Dans notre projet, la tâche est également « authentique » puisqu’elle permet la réalisation

d’un projet complet ayant un sens pour l’apprenant : il s’agit de la réalisation d’une tâche

pertinente dans le cadre de la situation d’apprentissage en parfait accord avec le programme

scolaire. Elle permet d’établir des échanges fructueux avec les autres apprenants, de débattre

les idées des uns et des autres, de discuter autour d’un projet commun. Le projet devrait avoir

sa finalité grâce à une présentation devant un public réel, extérieur à la classe. Pour toutes ces

raisons, nous privilégions le travail autour de la présentation orale assistée par ordinateur.

L’interaction sociale entre pairs, puisqu’il s’agit d’activités réalisées au sein de petits groupes

de quatre ou cinq élèves, facilite la négociation entre les membres autour des contenus, de la

méthodologie du travail, de la répartition des tâches, de l’aspect final de la production, des

aspects langagiers… afin de trouver la meilleure façon de progresser en exécutant la tâche

exigée en langue seconde. « Le travail en groupe devient sous ces conditions un

apprentissage en groupe » (Nissen, 2003, p. 9). Un élément de motivation à ne pas négliger

dans ce contexte est la présence d’un public réel à qui on destine le projet final. Selon nous,

cette présence constitue un élément fort dans l’apprentissage puisqu’il lui donne tout son

sens. Les apprenants ne sont plus confinés dans un cadre étroit, la salle de classe avec un

public restreint, le professeur et les camarades mais ils se trouvent avec un public réel qu’il

faut attirer, intéresser, auquel donner des informations qu’il ignore, faire comprendre des

données diverses…

Les apprenants ainsi motivés par la présence d’un public étranger à la classe, éprouvent un

réel intérêt à soigner leur présentation, à vérifier leurs informations, à travailler sur leur

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prononciation… Ils essaient autant que possible de perfectionner leur travail pour qu’il soit

présentable et compréhensible.

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Dans ce contexte, la langue a un double rôle : elle est outil

d’échanges puisqu’elle permet aux apprenants de discuter et d’interagir entre eux afin de

réaliser leur projet en commun mais en même temps elle est véhiculaire d’informations à

l’adresse d’un public réel. Il est évident qu’en situation de classe, les informations échangées

entre groupes ou présentées au professeur sont souvent des informations connues de tout le

monde, ce qui démotive certains apprenants et donne au projet à réaliser un aspect absurde.

Jonnaert et Vander Borght soulignent « l’absurdité des savoirs scolaires qui ne se justifient

que parce qu’ils sont enseignés » et préconisent la « transposition didactique

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» qui permet à

l’apprenant de d’évaluer la pertinence du savoir et des connaissances appris à l’école et de

pouvoir par la suite les réutiliser à bon escient (Jonnaert & Vander Borght, 1999, p. 232).

Il est primordial que le travail de groupe commence par un travail individuel nécessaire pour

une première approche des différentes tâches proposées afin de permettre à chaque apprenant

de réfléchir sur ses connaissances, son savoir-faire et sa méthodologie de travail. Cela afin de

faciliter l’échange métacognitif entre apprenants et de leur permettre ainsi de confronter ce

qu’ils connaissent déjà aux connaissances des autres membres du groupe.

Lebrun présente les quatre caractéristiques d’une tâche motivante selon Paris & Turner

(1994, cité par Lebrun, 2002, p. 148). Ces auteurs résument les quatre caractéristiques d’une

tâche par le sigle 4C : Choice (Choix), Challenge (Défi), Control (Contrôle), Collaboration

(Collaboration). Les quatre caractéristiques participent à la motivation de l’apprenant pour la

réalisation de la tâche. Selon ces auteurs, l’apprenant doit avoir la liberté de « choix » de

l’activité à réaliser, la démarche à suivre, les ressources à consulter… Cette liberté influence

« la motivation intrinsèque » de l’apprenant et mène vers une « implication plus profonde »

dans la réalisation de la tâche.

La tâche doit également présenter une certaine difficulté afin que sa réalisation constitue un

« défi » pour l’apprenant. Il est possible que la difficulté de la tâche progresse en même

temps que sa réalisation. Le troisième élément dont dépend la réussite de la tâche réside dans

la possibilité qu’a l’apprenant à exercer un « contrôle » sur les compétences à développer et

le cheminement de son apprentissage. Ce contrôle lui permet d’établir « une relation

positive » entre son autonomie et sa motivation, et également de s’auto-évaluer et de

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Dans les établissements scolaires privés au Liban, les apprenants suivent d’habitude l’intégralité de leur

scolarité dans le même établissement. Rares sont ceux qui changent d’établissement scolaire en cours d’études.

Si cela est le cas c’est d’habitude dans les classes charnières : EB6 / 6

ème

(bien que cette classe ne soit plus la

première année du cycle complémentaire selon les nouveaux programmes mais la troisième année ou dernière

année du cycle 2 de l’enseignement de base – grand primaire – parents et professeurs continuent à la considérer

comme étant une classe de base pour le collège) et seconde et ce presque dans la majorité des cas, pour aller

dans des établissements officiels / publics. Rares sont les établissements privés qui acceptent de nouveaux

apprenants dans les classes qui présentent les épreuves officielles comme le brevet et le baccalauréat. Du coup,

les apprenants se connaissent depuis les classes maternelles et travaillent ensemble jusqu’au baccalauréat. Cela

constitue en tout quinze ans d’apprentissage avec les mêmes personnes.

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s’autoréguler. Finalement, la tâche devrait être d’une certaine ampleur afin de permettre

d’établir une « coopération » au sein du groupe. Cette « coopération » sera à la base de

« développement des habiletés sociales et relationnelles ». Elle influence positivement la

motivation de l’apprenant qui sera un acteur actif de son propre apprentissage.

L’approche traditionnelle de l’enseignement encore très répandue dans les établissements

scolaires au Liban table énormément sur la répétition et la mémorisation, tout en négligeant

les intérêts et les besoins des apprenants. Même l’enseignement des sciences qui devrait être

un enseignement expérimental, est donné sous forme d’un cours magistral : les expériences

sont présentées dans le manuel scolaire et le professeur les explique oralement aux

apprenants sans aucun support ni aucune manipulation ni expérience. Il n’est pas rare que des

apprenants – même ceux des branches scientifiques – suivent tout le cursus scolaire sans

avoir visité une seule fois le laboratoire de l’école – quand il existe – et sans avoir réalisé en

autonomie une seule expérience scientifique. Depuis quelques années, beaucoup

d’établissements scolaires privés ont compris l’absurdité de telles démarches et essaient de

changer la situation en se dotant de laboratoires plus ou moins fournis et fonctionnels

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.

Dans les classes de langue la situation n’est pas meilleure. Les apprenants sont habitués à

apprendre par cœur des listes de vocabulaire afin de les restituer à l’oral ou à l’écrit. Les

exercices de grammaire, d’orthographe, de conjugaison à caractères répétitifs sont très prisés

puisque les apprenants, dans la majorité de cas, les maîtrisent plutôt bien et les réalisent sans

problème majeur. Le travail sur l’écriture et la production orale ou écrite est plutôt rare pour

ne pas dire quasiment inexistant puisque, selon les professeurs, les apprenants commettent

trop d’erreurs. Or, précisément l’erreur fait partie du processus de l’apprentissage et de

l’acquisition d’une langue. Elle montre que l’apprenant devient indépendant et qu’il utilise

librement la langue pour parler spontanément et communiquer (Pluskwa, D. Willis, & J.

Willis, 2009). La perspective actionnelle permet cette communication à travers « la

réalisation, seul ou avec d'autres, en langue cible, de tâches qui font sens » (Nissen, 2005, p.

21). Dès lors, il s’agit dans le cadre de l’apprentissage de savoir travailler, communiquer et

interagir avec d’autres en langue étrangère, le français dans le cas de cette étude, dans un

objectif de travail commun. Pratiquer la langue devient un moyen efficace afin de la

maîtriser.

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Depuis quelques années, la Mission Culturelle Française au Liban organise des formations afin d’améliorer

l’enseignement des sciences et des mathématiques en langue française (DNL ou Disciplines non linguistiques)

dans la maternelle, le primaire et le complémentaire (le collège) en ayant recours à des intervenants français

externes (maîtres formateurs de l’IUFM par exemple) ou des intervenants libanais qui appliquent les méthodes

actives et/ou qui mènent des projets interdisciplinaires dans leurs classes. Il est évident qu’il s’agit d’un

processus lent à mettre en place et ses retombées ne peuvent être constatées dans l'immédiat.

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