Chapitre 3. Français langue seconde et français langue étrangère
3.2 Didactique et activités d’enseignement du Français
3.2.1 Didactique des langues
Le domaine de la didactique ne concerne pas uniquement les langues, il désigne tout ce qui
peut aider afin de faciliter l’apprentissage. Le terme didactique signifie « qui est propre à
instruire » (du verbe grec : didaskein, enseigner) et recouvre « un ensemble de moyens,
techniques et procédés qui concourent à l’appropriation, par un sujet donné, d´éléments
nouveaux » (Martinez, 2004, p. 3). Toujours selon Martinez, on distingue trois
catégories parmi ces éléments :
- « des savoirs linguistiques, par exemple, le lexique, la grammaire, c’est-à-dire les
éléments et les règles de fonctionnement de la langue ;
- des compétences communicatives, ou savoir-faire, des moyens pour agir sur le réel
(manières d’ordonner, d’approuver, de se présenter, d’informer…) ;
- une manière d’être, des comportements culturels, souvent indissociables de la langue, car
inscrits dans la langue même : par exemple, dans toutes les langues, la ritualisation des
échanges prend des traits linguistiques spécifiques (demande, paroles apparemment
inutiles, forme de politesse), correspondant à des valeurs ».
En ce qui concerne la didactique des langues et les méthodes d’enseignement au Liban, c’est
la première catégorie, celle des savoirs linguistiques, qui est la plus travaillée dans
l’apprentissage des langues. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil sur les
manuels scolaires utilisés et les tests d’évaluation.
En didactique des langues, le Liban a copié le modèle français avec quelques années de
retard comme par exemple pour la méthodologie Structuro-globale audio-visuelle (SGAV) et
par la suite l’approche communicative. Cela est dû, comme nous l’avons déjà souligné, à la
« mobiliser quelles connaissances déclaratives et procédurales pour résoudre telle catégorie de problèmes »
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spécificité des relations entre les deux pays, qui remontent à l’époque du mandat français. Il
faut préciser également que durant les années de guerre, la Mission Culturelle Française
(MCFL)
1était le seul organisme à s’occuper de l’enseignement et a souvent organisé des
stages de formation à l’intention des professeurs libanais – surtout les professeurs de langue
française – et les coordinateurs dans le cadre de la formation continue. Les intervenants
externes proviennent dans la majorité des cas des différents IUFM français (Institut
Universitaire de Formation des Maîtres) et sont toujours des professionnels dans leur
domaine. La MCFL organise également des formations en France avec observation sur le
terrain : dans ce cas, les enseignants stagiaires bénéficient d’un apport théorique et de visite
de classes durant leur court séjour (3 à 4 semaines en général).
3.2.2 Activités d’enseignement
Les activités d’enseignement les plus prisées et les plus employées par les professeurs sont
surtout des activités dites de reproduction. Nous nous basons sur la classification des
compétences-produits à caractère générique telle que présentée par Wolfs pour sélectionner
les activités les plus employées dans les différentes disciplines par les professeurs (Wolfs,
2001). Ce chercheur énumère plusieurs activités de reproduction : la restitution, la
reconnaissance, l’application simple et l’observation simple et des activités de production : la
compréhension (l’interprétation, l’exemplification et la conceptualisation), l’analyse, la
structuration (le résumé et la synthèse), la résolution du problème et les travaux de recherche.
Cette classification oppose comme le souligne Wolfs, deux grands types d’activités : « la
reproduction » et « la production ».
A notre sens, toutes ces activités ne sont pas pratiquées en milieu scolaire libanais. Il s’agit
plutôt de quelques activités qui y sont exclusivement employées ou plus employées que les
autres. Ainsi, parmi les « activités de reproduction », les enseignants au Liban ont surtout
recours à « la restitution » et pour les « activités de production », ils ont recours à « la
synthèse » et aux « travaux de recherche ». Nous allons essayer de détailler uniquement les
activités que nous venons de citer ci-dessus et qui sont les plus employées par les professeurs
libanais pour l’enseignement de la langue française ou les autres disciplines littéraires ou
scientifiques quelle que soit la langue employée (arabe, française ou anglaise). Pour ce faire,
nous nous basons sur les discussions engagées avec les différents professeurs-stagiaires
rencontrés au cours de notre travail comme conseillère pédagogique au Centre Culturel
Français de Tripoli (1999 – 2008) et ayant suivi les formations pédagogiques que nous avons
animées ainsi que sur notre expérience pédagogique sur le terrain (1988 – 2011).
1
La Mission Culturelle Française dépend de l’Ambassade de France au Liban. Les conseillers pédagogiques -
en fonction au Liban durant deux ans renouvelable une seule fois - sont, dans la majorité des cas, des
professeurs français sous contrat avec le Ministère de l’Education Nationale en France. Du coup, les formations
visent à familiariser et à initier les professeurs libanais aux techniques, méthodes d’enseignement appliquées en
France. Les intervenants externes sont des professeurs provenant des établissements français ou des maîtres
formateurs des différents IUFM français. Ils interviennent au Liban pour une formation ponctuelle et ciblée.
50
Activités de reproduction :
La restitution : parmi les activités de reproduction citées par Wolfs, la restitution est la seule
activité employée dans notre contexte scolaire. Il s’agit, d’« évoquer ou [de] citer telles
quelles (de mémoire), sans les modifier ou les transformer, des informations vues au cours ou
fournies dans un document de référence qui a dû être mémorisé » (Wolfs, 2001, p. 19). Wolfs
distingue deux types de restitution : « la restitution intégrale portant à la fois sur le fond et la
forme » et « la restitution du sens, où une formulation personnelle de l’élève est admise » (p.
19). Dans le contexte scolaire libanais, c’est la restitution intégrale qui est la plus exigée des
élèves quelle que soit la discipline enseignée dans les productions orales ou à écrites
1. Il ne
s’agit pas uniquement de restituer des listes de vocabulaire, ou dans une leçon de géographie
de citer les noms des villes, des villages, des fleuves et des montagnes d’un pays donné mais
en plus, comme c’est souvent le cas, de restituer fidèlement des passages entiers de la leçon.
En principe, dans ce genre de restitution, certains professeurs
2refusent catégoriquement que
l’élève reformule une partie du document sous peine d’être sévèrement sanctionné. On mise
surtout sur la mémorisation machinale sans aucune compréhension des contenus. Par contre,
d’autres professeurs acceptent que l’élève mélange les deux types de restitution à condition
qu’il y ait au préalable un travail de réécriture de la reformulation personnelle suivi d’une
correction avant de mémoriser le contenu ainsi transformé et de le restituer dans son
intégralité.
Les professeurs interrogés
3justifient de telles attitudes par le fait qu’ils essaient d’aider
l’élève et de lui faciliter la tâche d’apprendre parce qu’il est incapable, tout seul, de restituer
les données essentielles et puis, en reformulant les informations, l’élève commet beaucoup
d’erreurs vu qu’il s’agit d’une compétence qu’il ne maîtrise pas parce qu’on ne le lui a jamais
apprise. Il s’agit également de permettre à l’élève d’apprendre, grâce à la mémorisation, un
vocabulaire nouveau mais surtout de nouvelles structures de phrases. Certains professeurs
ajoutent qu’il leur est plus facile de corriger et de noter une restitution apprise par cœur que
1
Dans certains établissements scolaires, on continue à travailler la production orale et écrite dans les petites
classes (surtout au cycle primaire) en se basant exclusivement sur la mémorisation. En d’autres termes, c’est le
professeur qui fournit un passage (rédigé par ses soins, rarement un texte d’écrivain) traitant un thème donné,
celui de la séquence en cours. L’élève doit apprendre par cœur le passage en vu de le restituer à l’oral ou à
l’écrit. L’examen constitue dans ce cas de pouvoir réciter un de plusieurs passages mémorisés.
2
Ce sont surtout les professeurs d’histoire, de géographie et d’éducation civique qui sont les plus attachés à la
restitution intégrale. Les professeurs de SVT (Sciences de la Vie et de la Terre) ont également recours à ces
méthodes. Mais il est également vrai que depuis la mise en application des nouveaux programmes, on observe
un changement d’attitude surtout parmi les jeunes professeurs qui commencent à mettre en application quelques
méthodes permettant aux élèves de questionner le texte afin de tirer les informations principales et essayent de
développer des techniques permettant à l’élève de reformuler les informations dans un texte donné. Le progrès
n’est pas spectaculaire vu qu’il s’agit plutôt, dans la majorité de cas, de tentatives plutôt individuelles et
ponctuelles.
3
Dans le cadre de la formation continue dispensée par le Centre Culturel Français de Tripoli, des tables rondes
et des formations ont eu lieu afin d’améliorer les techniques d’enseignement des professeurs. Durant ces
réunions, les professeurs se sont exprimés sur leurs pratiques de classe et sur les techniques d’enseignement
adoptées.
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reformulée par les élèves. Or, comme le rappelle Audin, dès que l’élève « quitte le terrain
rassurant de la répétition pour s’aventurer du côté de l’expression personnelle, dès que l’on
place les enfants en position de fabriquer des énoncés nouveaux, bien souvent, ils sont
désemparés. Ils ne parviennent pas à effectuer seuls les opérations cognitives et linguistiques
indispensables à la construction de ces énoncés » (Audin, 2004, p. 67).
Activités de production :
Les activités de production sont plutôt rares vu que les professeurs ont tendance à s’appuyer,
dans leur enseignement, presque exclusivement sur le cours magistral qui représente selon
Viau « l’activité d’enseignement la plus connue et sûrement la plus répandue » (Viau, 1999,
p. 13), et sur la restitution intégrale des connaissances. Certaines activités de production sont
employées mais d’une façon plutôt timide et restent des cas assez isolés.
a. La synthèse (la structuration) : parmi les activités dites de production c’est l’activité la
moins utilisée parce qu’elle exige du temps à être réalisée et surtout, elle exige de
développer des compétences de compréhension, de structuration, de production écrite que
les élèves ne maîtrisent pas parce qu’ils ne les ont jamais pratiquées. Toujours selon
Wolfs, « il s’agit d’intégrer en un tout cohérent des informations provenant de sources
multiples (par exemple, effectuer la synthèse de deux textes traitant, en tout ou en partie,
d’un même sujet) » (Wolfs, 2001, p. 21). Dans le contexte scolaire libanais, il s’agit
d’une activité que les professeurs, quand ils la mettent en application, préfèrent travailler
en plénière avec l’ensemble de la classe afin d’en faciliter la démarche et de ne pas avoir
à corriger la méthode de travail à chaque élève. Dans d’autres cas, le professeur demande
aux élèves de réaliser la restitution des passages en petits groupes puis, après avoir
entendu quelques travaux d’élèves, il procède à une correction appelée « correction
type » qu’il a préparée au préalable sans prendre en considération le travail effectué par
les élèves. Aucun commentaire n’est fourni aux élèves concernant le travail effectué,
aucune directive sur la méthode de travail permettant aux élèves de se corriger et
d’évoluer n’est donnée. Il s’agit presque toujours d’une activité ponctuelle qu’on pratique
une fois ou deux durant l’année scolaire.
b. Les travaux de recherche : Il s’agit, selon Wolfs d’effectuer une « recherche
documentaire, [une] réalisation d’enquête, etc. » (Wolfs, 2001). Depuis la mise en
application des nouveaux programmes scolaires
1, c’est l’activité qui est la plus pratiquée
en milieu scolaire pour diverses raisons. Pour les professeurs, la mise en place de cette
activité leur permet de prétendre qu’ils appliquent les méthodes actives d’enseignement
1
Les nouveaux programmes ne mentionnent pas explicitement les BCD et les CDI mais on peut lire à plusieurs
endroits, au niveau des diverses disciplines et les différents niveaux, des allusions plus ou moins explicites à la
recherche documentaire et à la présence de BCD et de CDI dans les établissements scolaires.
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dans leurs classes et de montrer le travail effectué par les élèves qui est généralement
exposé sous forme de panneau en classe ou dans les couloirs. Cette activité est également
mise au goût du jour avec la création de BCD (Bibliothèque Centre de Documentation) et
de CDI (Centre de Documentation et d’Informations) et la connexion de plus en plus
facilitée à Internet dans les établissements scolaires, les maisons et les cybercafés. Cela
permet donc aux professeurs de se décharger d’une heure ou plus du cours afin d’amener
les élèves à effectuer une recherche documentaire. Là, sans aucune initiation, à part
peut-être une explication hâtive de ce qui est attendu, les élèves sont « lâchés » au CDI pour
travailler soi-disant, « en autonomie » sans aucun contrôle de la part des professeurs.
Il s’agit plutôt d’une activité qui, dans la plupart des cas, est mal pratiquée par les élèves
ou par les professeurs. Les élèves effectuent leur recherche en piochant au hasard dans les
livres et les encyclopédies mis à disposition au CDI et quand le CDI est informatisé et
connectée à Internet, l’activité se résume alors à lancer une recherche simple sur un
moteur de recherche (Google en général), à cliquer sur la première réponse fournie puis
d’imprimer le document sans aucune vérification de la pertinence des ressources et
l’exactitude de l’information. Le résultat est par la suite lu en classe à voix haute puis
collé sur un panneau et affiché.
Beaupère précise que cette démarche recèle des écueils inévitables et favorise entre autre,
la perte du temps, la démotivation, la compilation hasardeuse de documents mal
assimilés… Pour ce chercheur, le danger est encore plus important dans le cas de la
recherche sur internet ou dans un document multimédia parce que la lecture
hypertextuelle exige des stratégies complexes que les apprenants ne maîtrisent pas encore
(Beaupère, 2002). D’ailleurs, dans la majorité des cas, les professeurs eux-mêmes ne
connaissent pas les étapes d’une recherche documentaire, ignorent l’existence d’un grand
nombre de ressources, ne savent pas manipuler correctement les ressources existantes
comme les encyclopédies et les dictionnaires spécialisés
1et surtout commettent des
erreurs de base en citant les références ou en explicitant leur méthodologie de travail
2.
Ainsi, les professeurs se contentent d’un travail de recherche effectué sans tri de
documents ou d’informations, sans reformulation, sans mention des références… un
copier-coller sans erreur ou faute de frappe dans les meilleurs des cas.
1
Dans une activité parascolaire lancée par le CCF (Centre Culturel Français), les élèves du cycle primaire
devaient manipuler un atlas. Sur l’ensemble des professeurs qui ont participé à l’activité (essentiellement des
professeurs de langue française et des documentalistes), personne n’était en mesure d’expliquer aux élèves
comment localiser un pays sur un planisphère. Dans une autre activité, également lancée par le CCF et qui vise
cette fois les élèves du cycle complémentaire (le collège), rares sont les professeurs (exclusivement des
professeurs de langue française) qui savent manipuler un dictionnaire autre que celui de la langue française ou
qu’un dictionnaire encyclopédique. Les dictionnaires employés étaient : le dictionnaire des synonymes, le
dictionnaire analogique, le dictionnaire des noms propres, le dictionnaire des auteurs, le dictionnaire des
œuvres, le dictionnaire des personnages et le dictionnaire de la bande dessinée. Leur participation à l’activité a
constitué un échec parce qu’en voulant aider les élèves dans la manipulation des dictionnaires, ils les ont mal
orientés.
2
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Dans le document
Usages et effets des TIC dans l'enseignement-apprentissage du français langue seconde : Un exemple au Liban
(Page 49-54)