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Chapitre II : La mondialisation en tant que généralisation des institutions formelles du capitalisme à l’échelle planétaire

2.2. La mondialisation en tant que généralisation des institutions formelles du capitalisme à l’échelle de la planète

2.2.1. Les institutions formelles du capitalisme

formelles du capitalisme à l’échelle de la planète

Souvent limitée à l’intensification des échanges entre les nations et à l’apparition des firmes multinationales, la mondialisation est pourtant rarement présentée en tant que processus institutionnel qui non seulement supprime les barrières nationales aux échanges mais qui transforme en profondeur les piliers institutionnels des sociétés. Cependant, le changement institutionnel stimulé par la mondialisation est réel et il doit être mis en avant afin de saisir toute la complexité du monde en perpétuelle évolution.

2.2.1. Les institutions formelles du capitalisme

La mondialisation institutionnelle peut être définie comme l’universalisation planétaire des institutions du capitalisme. De ce fait, pour comprendre ce processus et détecter les problèmes du projet globaliste, il est nécessaire avant tout de distinguer et de caractériser ces institutions.

Le capitalisme est un système basé sur l’économie de marché dont les institutions centrales sont les libertés économiques, le droit de propriété et la concurrence libre. L’idée du capitalisme a été théorisée par les économistes classiques et néoclassiques qui soulignent l’efficacité du marché. Ce dernier assure l’allocation optimale des ressources dans les conditions de libre concurrence et avec l’intervention minimale de l’Etat dans l’économie.

Selon Kenneth Arrow « le marché n’est, en théorie, compatible avec aucun régime politique, aucune forme de gouvernement, ni la démocratie, ni l’oligarchie, ni la dictature car toute intervention de l’Etat ne peut que réduire l’efficacité de l’économie »120

.

Or, la réalité du capitalisme est différente de la théorie libérale du marché. En effet, comme le souligne Hayek, l’Etat est nécessaire pour « créer et soutenir les institutions pré-requises au bon fonctionnement d'un système concurrentiel »121.

120 Fitoussi Jean-Paul, La Démocratie et le marché, Paris : Grasset, 2004, p.12

121 Hayek Friedrich (1944), La route de la servitude, traduction française de G. Blumberg, Paris : PUF, 1993, p.19

Il en ressort que même dans la logique purement libérale, l’Etat est indispensable pour le fonctionnement efficace du marché mais à condition de ne pas privilégier les intérêts de certains groupes et personnes.

Comme le décrit Ludwig Von Mises : «La pure économie de marché implique que le gouvernement, l’appareil social de contrainte et de répression, veille à préserver le fonctionnement du système de marché, s’abstienne d’en entraver la marche, et le protège contre les atteintes venant d’autres que lui-même »122.

Sans rentrer dans le débat sur le rôle de l’intervention de l’Etat dans l’économie, le consensus est néanmoins établi sur sa fonction de base qui est de garantir la protection des droits et des libertés des participants du processus économique dont les intérêts sont souvent confrontés. L’Etat utilise son pouvoir judiciaire pour faire respecter le droit de propriété et les obligations fixées dans les contrats. C’est aussi l’Etat qui établit les règles permettant d’assurer la concurrence saine entre les acteurs et qui veille à leur application.

En même temps, la pure économie de marché a pour propriété « de créer l’exclusion d’une partie de la populationdue à une trop forte inégalité de répartition des richesses qu’elle provoque ».123

De ce fait, le système qui amène la famine pour les uns et les revenus importants pour les autres ne peut pas être soutenu par la société et donc ne peut pas survivre durablement. L’Etat est donc nécessaire non seulement pour faire fonctionner les institutions de marché mais aussi pour corriger les inégalités que l’économie de marché crée en assurant son acceptabilité et sa survie.

Ainsi, les institutions de l’économie de marché ne peuvent pas fonctionner sans institutions politiques, ce que déduit également J. Lesourne de l’histoire : « Au cours des siècles, le marché n’a cessé d’interférer avec les systèmes politiques nationaux »124

. Or, quelles institutions politiques font-elles bon ménage avec l’économie de marché ?

Certaines études empiriques contemporaines125 concluent que les libertés économiques et la garantie des droits de propriété peuvent être atteintes d’une meilleure façon par le régime de la « dictature éclairée » qui assure le niveau de libertés

122

Mises Ludwig Von (1949), L’action humaine, Traité d’économie, traduction française par Raoul Audouin, Paris : PUF, 1985, p. 239

123

Fitoussi Jean-Paul, La Démocratie et le marché, Paris : Grasset, 2004, p. 56

124 Lesourne Jacques, Démocratie, marché, gouvernance, Paris : Odile Jacob, 2004, p. 11

politiques suffisant pour qu’il empêche le gouvernement de s’approprier le bien des agents en réduisant leurs libertés économiques, mais insuffisant pour qu’il permette que s’exprime une demande sociale »126

. Mais au fur et à mesure que le niveau de développement économique du pays s’élève, les sociétés exigent plus de libertés politiques.

Cependant, J-P. Fitoussi conteste cette conclusion de l’analyse quantitative car celle-ci est le résultat « d’une corrélation décrivant un état du monde – une évolution historique datée – dans lequel il se trouve que les pays à niveau de revenu relativement élevé, jouissent de libertés politiques plus grandes »127.

En outre, une autre étude empirique réalisée par Dani Rodrik en 1997128 démontre qu’à long terme, la démocratie est plus favorable à l’économie de marché que le régime autoritaire. A travers une comparaison de pays pendant 29 ans, Rodrik a relevé que la variabilité de la croissance de long terme était moins importante dans les pays démocratiques. La stabilité des performances économiques y était plus grande et les chocs exogènes y étaient mieux maîtrisés.

Les arguments que Rodrik présente pour expliquer cette conclusion concernent la nature du régime démocratique qui produit une meilleure coopération entre les acteurs et limite la possibilité des politiques économiques extrêmes. De ce fait, « la meilleure coopération entre les catégories sociales et une moindre conflictualité de la société devraient se traduire par une plus grande efficacité économique »129.

Dans la même optique Jacques Lesourne considère «qu’au sein de la démocratie, un certain équilibre s’établit entre les acteurs, ce qui évite la confiscation du pouvoir par quelques-uns d’entre eux. Cet équilibre s’adapte lorsque certains des acteurs modifient leurs exigences et agissent en conséquence »130.

Ainsi, dans la durabilité la démocratie, grâce à son adaptabilité, correspond plus au marché qui est aussi un système flexible.

126

Fitoussi Jean-Paul, La Démocratie et le marché, Paris, Grasset, 2004, p. 28

127 Ibid, pp.35 -36

128 Rodrik Dani, Democracy and economic performance, Harvard University, 1997, présenté par J-P Fitoussi, 2004.

129 Rodrik Dani cité par J-P Fitoussi, 2004

Si l’on croit J-P Fitoussi, «seules les formes en mouvement peuvent survivre ; les autres sclérosent. Le capitalisme n’a survécu comme forme dominante d’organisation économique que grâce à la démocratie »131.

En même temps, les faits ne contredisent pas une telle hypothèse car les structures des pays avec une longue histoire capitaliste sont toutes caractérisées par deux piliers communs : l’économie de marché et la démocratie. Malgré la pluralité des modèles nationaux du capitalisme avec des combinaisons différentes entre sphères privée et publique, la Grande Bretagne, la France, la Suède, les Etats-Unis, pour ne prendre que quelques exemples, sont des pays démocratiques avec une économie de marché ou, comme les appelle Fitoussi, des « démocraties de marché »132.

Le droit de propriété, les libertés individuelles des citoyens et l’égalité de tous les individus en droit qui représente le pilier central du régime démocratique, sont inscrits dans les constitutions ou les lois constitutionnelles de ces pays.

Par exemple, en France la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 définit la propriété comme « un droit inviolable et sacré »133 en le présentant comme un des quatre droits naturels individuels qui sont : la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’opposition. Ils sont les mêmes pour tous les citoyens, pour tous les « hommes quinaissent et demeurent libres et égaux en droit »134.

Ces droits sont également inscrits dans la Constitution des Etats-Unis, dans les conventions constitutionnelles au Royaume-Uni et dans la Convention européenne des Droits de l’Homme directement applicable par les tribunaux britanniques.

A ce propos, J. Lesourne note qu’aujourd’hui « l’idéologie dominante en Occident considère que les deux formes d’organisation les plus souhaitables à l’intérieur des unités actives que constituent les Etats sont la démocratie et le marché, la démocratie parce qu’elle assure « le gouvernement du peuple par le peuple », le marché parce que acheteurs et vendeurs y confrontent librement leurs offrent et leurs demandes, ce qui assure une utilisation efficace des ressources »135.

Mais cette idéologie n’est pas le produit de la modernité. Déjà au XIXe siècle, Friedrich List en analysant l’histoire économique des pays occidentaux conclut : « Dans

131

Fitoussi Jean-Paul, La Démocratie et le marché, Paris, Grasset, 2004, p. 48

132 Ibid, p. 46

133 Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Article XVII

134 Ibid, Article I

les villes italiennes et dans les villes hanséatiques, en Hollande et en Angleterre, en France et en Amérique, nous voyons les forces productives et par conséquent les richesses des individus augmenter avec la liberté, avec le perfectionnement des institutions politiques et sociales. »136

Ainsi, les multiples faits et arguments en faveur de la complémentarité entre le marché et la démocratie nous conduisent à la conclusion que le capitalisme ne repose pas seulement sur l’économie de marché mais également sur l’organisation démocratique. Comme le note Fitoussi :

« La démocratie en empêchant l’exclusion par le marché accroît la légitimité du système économique et le marché, en limitant l’emprise du politique sur la vie des gens, permet une plus grande adhésion à la démocratie »137.

De ce fait, les institutions de liberté économique et politique doivent être prises en considération dans l’analyse du capitalisme.

La structure institutionnelle formelle du capitalisme peut donc être représentée par le cadre formel qui établit et protège d’une part le droit de propriété, la liberté d’entreprise, la concurrence sur les marchés et la liberté de commerce. D’autre part, ce cadre garantit les institutions démocratiques qui sont : d’abord l’Etat de droit « où le pouvoir est limité par le droit et agit dans son cadre »138ou autrement dit « la Rule of Law, la suprématie du Droit »139; puis, « la séparation des pouvoirs législatifs, exécutifs et judicaire ; et enfin, l’égalité de traitement de tous les hommes »140 et la justice indépendante qui protège les libertés des individus y compris celles d’expression, de pensée, d’association permettant l’action de la société civile. En outre, la démocratie donne le droit formel à la population de choisir ses dirigeants par le biais des élections et d’exprimer leurs contestations à l’aide des referendums et des grèves. De ce fait, c’est la société toute entière qui choisit les formes du capitalisme qui lui conviennent.

Selon Fitoussi, c’est « le travail permanent de la démocratie qui a conduit à des choix spécifiques »141de l’application de l’économie de marché.

136

List Friedrich (1841) Système national d'économie politique, Gallimard, 1998, p.229

137

Fitoussi Jean-Paul, La Démocratie et le marché, Paris, Grasset, 2004, pp. 49-50

138 Zinoviev Alexandre, L’Occidentisme. Essaie sur le triomphe d’une idéologie, traduction française, Plon, 1995, p. 173

139 Hayek Friedrich, Droit, législation et liberté, Vol 3, Paris, PUF, 1985, p. 119

140 Ibid, Vol. 1, p.178

Cependant, la complémentarité du marché et de la démocratie relevées surtout dans le capitalisme occidental, ne signifie pas que deux ensembles d’institutions peuvent être instaurés d’une manière instantanée dans toutes les sociétés. Ce ne sont pas de simples formules d’organisation économique et politique. Ce sont les processus évolutifs qui partent de la demande et des valeurs de la population et se développent avec elles. De ce fait, « chaque expérience des pays est singulière : elle s’inscrit dans une tradition, une culture, un système anthropologique spécifique. Elle est comme un précipité qui résulte de la combinaison d’éléments chimiquement impurs et dont le nombre, la qualité et la pondération sont déterminés par l’histoire du pays. Importer un de ces éléments, pour le mêler à d’autres, provenant d’une histoire différente, ne pourra jamais donner la même réaction »142.

En outre, le marché peut exister sans régime démocratique. Le régime totalitaire peut également soutenir le marché libre comme en Chine depuis Xiaoping ou au Chili à l’ère de Pinochet.

Or, dans son application réelle le marché issu de la dictature n’est pas protégé du clientélisme économique et de la corruption. Il n’est pas basé sur les libertés individuelles et son existence même dépend de la bonne volonté des dirigeants centraux. Aussi, la liberté économique, en apportant plus de prospérité et plus d’indépendance aux acteurs économiques, doit les pousser à exiger plus de libertés politiques. Ainsi, le marché et la démocratie doivent converger, mais ce processus est long et lent car il ne s’agit pas seulement du changement de l’organisation formelle mais surtout de l’évolution des valeurs des citoyens et de la modification des habitudes de comportement.

2.2.2. Le capitalisme en tant que processus historique de la formalisation des

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