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Le développement par la croissance économique

Chapitre I : La prise en considération du facteur humain dans l’analyse du développement économique

1.2. Le rôle du facteur humain dans les stratégies de développement économique

1.2.1. Le développement par la croissance économique

Les différentes typologies de comportements humains sont à la base des stratégies variées de développement économique. Ainsi, l’homme universel et calculateur est au centre des théories qui recherchent le développement par la mondialisation. Le concept d’homme « sur-socialisé » et passif est utilisé par les théories d’inspiration marxiste privilégiant les structures nationales. Cependant, ces deux types de théories ont la représentation très quantitative du processus de développement. La croissance économique y est considérée comme une condition nécessaire et suffisante du développement économique.

Dans cette perspective le développement économique est analysé d’une part, comme le résultat inévitable de l’accumulation du capital et du marché libre entre les agents individuels, d’autre part, il est une conséquence du changement des structures productives et notamment de l’industrialisation.

De ce fait, les adeptes des théories universalistes considèrent le sous-développement comme un simple retard rattrapable naturellement (Rostow 1960) ou à travers l’installation d’un marché libre ou du libre-échange (Balassa 1961 ; Krueger 1973 ; Bhagwati 1966, FMI, Banque mondiale 1980), tandis que pour les structuralistes le retard de développement est du à la « désarticulation des structures productives »40

(Prebisch 1950 ; Singer 1950 ; Myrdal 1968).

Les approches basées sur l’homme universel peuvent être appelées les stratégies « mécanistes » qui recommandent de laisser faire le temps, de laisser agir les agents et

40 Berr Eric et Harribey Jean-Marie, Introduction au dossier d’Economies et Sociétés, Série «Développement, croissance et progrès », n° 43, 3/2005, p. 463-476.

de ne pas poser des obstacles au marché afin de permettre aux pays moins développés d’une part, d’accumuler et d’investir le capital (Rostow 1960), et d’autre part, de profiter de leurs avantages comparatifs (Ricardo 1817 ; Heckscher 1919, Ohlin 1934 et Samuelson 1953) afin d’augmenter la croissance.

En partant de l’idée maîtresse que le développement repose sur une « problématique économique de retard »,41 W.W. Rostow développe la classification en cinq stades de la croissance économique que tous les pays doivent traverser suivant l’exemple des pays occidentaux : 1) la société traditionnelle, 2) les conditions préalables au décollage, 3) le décollage, 4) la marche vers la maturité et 5) l’ère de la consommation de masse.42

L’économie traditionnelle se caractérise par l’accumulation inexistante et le gaspillage des ressources. Le développement doit commencer par l’épargne.

Les conditions préalables au décollage sont réunies quand le taux d’épargne est accru et l’investissement indispensable pour la croissance est acquis. Au stade de

décollage le progrès technique s’introduit dans l’industrie et l’agriculture et contribue à l’augmentation de la productivité. Les nouvelles industries réinvestissent leur bénéfice dans de nouvelles installations dont elles ont besoin en encourageant également le développement des services qui leurs sont nécessaires. Le décollage est un brusque essor de la production dans un nombre relativement restreint de secteurs ce qui correspond à la période de la révolution industrielle dans les pays occidentaux aux XVIIIe - XIXe siècles.

La marche vers la maturité représente une longue période de progrès. L’économie se développe et les technologies se répandent à tous les secteurs. « La maturité est une période pendant laquelle l’économie applique effectivement la gamme de ses techniques modernes à l’ensemble de ses ressources ».43 Pendant la marche vers la maturité, les processus industriels se différencient et les nouveaux secteurs prennent de l’essor.

Quand la société arrive à maturité, elle passe au stade de la consommation de masse. A cette étape, les revenus de la population s’accroissent, le niveau de vie augmente et le développement repose désormais sur la demande et non plus sur l’offre. Donc, Rostow considère que, tôt ou tard, tous les pays passent par un schéma universel de la

41 Albagli Claude, « L’Etat, les agents économiques et les règles », Mondes en développement, Vol.33-2005/1-n° 129, p. 43

42 Rostow W. W. (1960), Les étapes de la croissance économique, traduction française par M.-J. du Rouret, Paris : Ed. du Seuil, 1963

croissance qui est à la base du développement. Ainsi, les pays en voie de développement doivent rattraper naturellement les pays développés en utilisant les résultats de progrès qui se propage partout.

Une autre stratégie universaliste explique le sous-développement par une faible insertion des pays dans le commerce international. En partant de la théorie de David Ricardo sur les avantages comparatifs, Heckscher (1919), Ohlin (1934) et Samuelson (1953) défendent la spécialisation fondée sur l’abondance relative des facteurs de production dans les différents pays. Chaque pays dispose d’une quantité différente de capital, de travail et de terres. Il peut avoir beaucoup de capital mais peu de travail ou peu de capital et de travail mais beaucoup de terres. Chaque pays a intérêt à se spécialiser dans la production d’un bien qui nécessite plus de facteur de production relativement abondant dans ce pays. L’exportation de ce bien et l’importation des biens intenses en facteurs de production relativement rares dans ce pays apportent le gain maximal à tous les participants sous le régime du libre échange.

Même si certaines vérifications empiriques (paradoxe de Leontief) n’ont pas confirmé la spécialisation des pays avancés selon la dotation relative en facteurs de production, la théorie HOS est devenue le principal argument en faveur de la mondialisation économique construite sur le principe de la liberté du commerce.

L’objectif central reste la croissance économique. Cependant, cet accroissement de la richesse est mesuré à l’échelle globale en provoquant les critiques sur le plan de la répartition.

Comme l’indique l’interrogation de Vilfredo Pareto, l’établissement d’un échange entre deux pays jusque-là séparés procure sans doute une augmentation globale de richesse, mais peut-elle se concentrer chez un seul d’entre eux ?44

Cette question est à la base des stratégies structuralistes qui remettent en cause le bienfait de la spécialisation. En s’appuyant sur de multiples analyses, cette approche soutient l’importance de l’industrie nationale pour la croissance économique.

En comparant les données statistiques de 30 pays, Colin Clark (1960) relève qu’avec le développement économique, la structure de production et de consommation évolue vers les secteurs à plus forte valeur ajoutée. L’importance du secteur primaire dans l’emploi et le produit national baisse par rapport au secteur industriel qui augmente

d’abord, puis diminue au profit des services. Ainsi, Clark déduit la conclusion suivante de l’analyse statistique :

« A mesure que le temps passe et que les communautés atteignent un stade plus avancé de développement économique, la main-d’œuvre agricole tend à décroître par rapport à la main-d’œuvre industrielle qui, elle-même, tend à décroître par rapport aux effectifs employés dans les services. (…) A mesure que le revenu par tête croît, la demande relative de produits agricoles ne cesse de décroître et la demande relative des produits manufacturés croît d’abord pour décroître ensuite en faveur des services ».45

Cette conclusion statistique de Colin Clark avait été déjà mise en avant par F. List au XIXe siècle. En observant l’histoire économique des pays avancés il distingue les stades de développement selon l’importance des différents secteurs : i) l’état sauvage, ii) l’état pastoral, iii) l’état agricole, iv) l’état manufacturier v) l’état agricole-manufacturier et commercial46.

L’observation historique de List et la conclusion statistique de C. Clark sont complétées par les distinctions sectorielles moins connues des chercheurs Paul Hatt et Nelson Foote.47 Ces derniers rajoutent à la structure « classique » des secteurs caractérisant une étape plus complexe du développement : les secteurs quaternaire et

quinaire. Le secteur quaternaire comprend le transport, le commerce, la communication, la finance et l’administration. Le secteur quinaire rassemble toutes les activités qui visent l’extension des capacités humaines : les soins médicaux, l’éducation, la recherche et la récréation.

Selon l’approche sectorielle, le développement économique représente donc un processus de passage d’abord de la société agricole vers la société industrielle et commerciale et puis vers la société d’information et de connaissances. La science contemporaine a vu même apparaître des nouvelles branches théoriques comme l’économie de la connaissance qui est consacrée entièrement à l’analyse de la société

45

Colin Clark (1940), Les conditions du progrès technique, traduction française par Annie Morin-Rambert, Paris : PUF, 1960, p. 311

46 List Friedrich (1841), System Nationale d’économie politique, traduction française par Henri Richelot, Paris : Gallimard, 1998

47 Hatt Paul and Foote Nelson. “On the expansion of the tertiary, quaternary, and quinary sectors”' American Economic Review, May 1953

d’information et de connaissances. A ce stade, la part relative des secteurs immatériels dans le PIB s’accroît et la production de la connaissance devient centrale48

.

En effet, les pays les plus développés ont connu depuis le début des années 1970 une réorientation des structures productives vers les activités reposant plus sur la création, l’utilisation et la diffusion de nouvelles connaissances.

La tendance de changement de la structure économique est expliquée à partir des travaux des économistes classiques, par la différence entre les secteurs de production.

En analysant la productivité de l’industrie et de l’agriculture et en comparant les coûts de production dans l’une et dans l’autre, Mill,49

à la suite de Smith, conclut que si la production est organisée sur une grande échelle les coûts dans l’industrie décroissent en permettant une plus grande valeur ajoutée. L’agriculture, à l’inverse, voit les coûts de production augmenter car la baisse de la productivité des facteurs de production apparaît plus importante que les économies obtenues à grande échelle. F. Graham50 (1923) en appliquant ces différences à l’analyse de l’échange international conclut que le pays qui se spécialise dans la production à rendements croissants, telle que l’industrie, augmente son revenu réel s’il échange les produits de son activité avec le pays qui se spécialise dans la production à rendements décroissants, telle que l’agriculture.

De la même façon, les secteurs intenses en connaissances sont les secteurs à forte valeur ajoutée et chaque pays a intérêt à développer une telle production afin d’augmenter sa richesse.

Les théories structuralistes de développement rentrent dans cette approche de la différence des secteurs de production. Arthur Lewis (1954) met l’accent sur le dualisme des structures économiques des pays pauvres où le secteur agricole avec les faibles gains de productivité monopolise la main-d’oeuvre et limite le développement du secteur industriel.

Dans une optique assez proche mais basée sur les termes de l’échange51, la stratégie de développement des structuralistes du CEPAL52 (Prebisch, Singer 1950) conteste le

48 Amable B, Askenazy Ph. Introduction à l’économie de la connaissance, Contribution pour le rapport UNESCO Construire des sociétés du savoir, Paris, UNESCO 2005

49

Mill J-S (1848), Principes d’économie politique, Paris : Guillaumin, 1873.

50

Graham F. (1923), présenté par Roxana Bobulescu, « Avantage comparatif, rendements et protectionnisme: l'argument de Graham » Grenoble, 2001

51 Termes de l’échange = Indice des prix des exportations/ Indice des prix des importations x 100.

développement mécanique des pays moins avancés et insiste sur la nécessité de politiques d’industrialisation.

Selon cette approche, les échanges commerciaux entre les pays exportateurs de biens manufacturés et les pays fournisseurs des produits primaires conduisent au déséquilibre des termes de l’échange au détriment de ces derniers. De ce fait, les pays doivent diversifier leurs structures de production pour être moins vulnérables par rapport aux changements de la conjoncture mondiale et pour éviter les fuites de leurs surplus économiques. Ainsi, l’industrialisation est nécessaire pour le développement économique.

Raul Prebisch s’oppose aux stratégies de libre-échange en déclarant : « Il s’agit de mettre en oeuvre une politique qui ne cherchait pas à résoudre les difficultés intérieures des pays industrialisés en aggravant celles des pays en voie de développement»53

La politique de CEPAL, appelée l’industrialisation par substitution d’importations

est opposée à la stratégie d’industrialisation orientée vers l’exportation issue du décollage des pays d’Asie de Sud-Est.

Néanmoins, toutes les politiques d’industrialisation prévoyaient l’intervention de l’Etat dans les mécanismes de marché pour modifier la structure de l’économie nationale, responsable de performances économiques.

Malgré les différences fondamentales entre les approches universalistes et structuralistes, ces stratégies ont pourtant en commun deux éléments : la vision universelle des comportements humains et la représentation quantitative du développement économique. D’un coté, le rôle dans la croissance économique est attribué entièrement aux agents universels, « sous-socialisés », individualistes et calculateurs, et de l’autre coté, l’importance économique des individus est effacée car ils sont considérés soumis aux structures. Les stratégies universalistes et structuralistes en se focalisant sur la croissance quantitative ignorent le rôle du facteur humain et des différences socioculturelles dans le processus de développement économique. Il n’est pas étonnant que la politique économique libérale, dominante à la fin du XXe siècle, qui a contribué à la mondialisation capitaliste, a également sous-estimé ces facteurs (voir Chapitre II).

53 Prebisch Raoul, « Vers une nouvelle politique commerciale en vue du développement économique », Rapport du secrétaire général de la Conférence des nations Unies sur le commerce et le développement – O.N.U., Dunod, 1964. p.31.

1.2.2. La prise en considération du facteur humain dans le processus de

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