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Les indicateurs internationaux de la qualité des institutions et la place de la Russie

Chapitre IV : La structure institutionnelle de la Russie contemporaine et son rôle pour le développement économique

4.1. Les problèmes institutionnels constatés en Russie actuelle

4.1.1. Les indicateurs internationaux de la qualité des institutions et la place de la Russie

Pour caractériser l’environnement institutionnel de la Russie contemporaine et constater l’existence ou l’absence de problèmes dans sa structure organisationnelle, il est utile de commencer l’analyse par l’observation des « caractéristiques mesurables ». Ces dernières, comme nous l’avons présenté dans le Chapitre III, en s’appuyant sur les résultats d’enquêtes réalisées par les différentes organisations, visent à évaluer la qualité des institutions dans les différents pays du monde. Ainsi, ces indicateurs nous fourniront l’information générale sur le fonctionnement des principales institutions de l’économie de marché et de la démocratie en Russie du XXIe siècle. Cette première image de la structure institutionnelle russe nous permettra de tirer les conclusions principales sur les problèmes existants dans le dispositif organisationnel de l’économie et de la politique en Russie. Afin d’éviter le piège de subjectivité des indicateurs institutionnels, plusieurs sources d’information seront mobilisées : internationales, européennes et russes.

4.1.1. Les indicateurs internationaux de la qualité des institutions et la place de la Russie

De multiples organismes internationaux tachent de rassembler chaque année l’information sur le fonctionnement des institutions dans les différents pays, y compris en Russie. Ce matériel quantitatif est utilisé souvent par les chercheurs en économie afin d’évaluer par les méthodes économétriques l’impact des institutions sur la croissance (Banque Mondiale, Keefer & Knack 1995, Havrylyshyn & van Rooden 2000) ou pour analyser l’évolution et la dégradation de la qualité des institutions dans un pays ou un groupe de pays. Grâce aux classements souvent réalisés par les organismes eux-mêmes, ces indices peuvent servir également à la comparaison des Etats selon le fonctionnement de telle ou telle institution.

Sans prétendre que l’information fournie par les indices internationaux présente une image réelle, nous allons néanmoins explorer certains résultats des ces indicateurs pour construire par la suite notre propre représentation du problème.

Malgré plusieurs critiques adressées souvent à ces indices synthétiques surtout pour le caractère subjectif d’interprétation des résultats, l’information imparfaite liée à la complexité des enquêtes, l’agrégation discutable (Goujon 2006) ainsi que pour leur

attention adressée au institutions séparées et non aux structures entières (voir Chapitre III), ils fournissent néanmoins une information comparative importante. En même temps, ils permettent dans leur ensemble de distinguer les tendances institutionnelles générales qui caractérisent le dispositif d’un pays. La place de la Russie dans les classements institutionnels mondiaux démontre l’existence d’un tel ou d’un tel autre problème dans sa structure de coordination et son degré de gravité.

Ainsi, selon les indicateurs développés par la Banque Mondiale322 le score de la Russie pour les années 2009 et 2010 est loin d’être satisfaisant. (Tableau 4.1.)

Tableau 4.1. Les indicateurs institutionnels évalués pour la Russie par la Banque Mondiale, 2009-2010.

Indicateurs Russie Limites

2009 2010 Efficacité du gouvernement323 -0,34 -0,39 -2,5 : faible performance 2,5 : forte performance Etat de Droit324 -0,78 -0,78 Contrôle de la corruption325 -1,12 -1,07

Il est donc possible de constater, selon les résultats des enquêtes de la Banque Mondiale auprès des chefs d’entreprises, des citoyens et des experts, que la performance de l’administration russe est assez médiocre avec le score de -0,34 en 2009 et -0,39 en 2010, que la confiance envers les règles formelles ainsi que leur application en Russie est encore plus insatisfaisante avec seulement -0,78 du score obtenu, et enfin le contrôle de la corruption y est très faible (-1,12 en 2009 et à -1,07 en 2010) car le comportement

322 Kaufmann D., Kraay A., Governance Indicators, World Bank Institute, www.worldbank.org/wbi/governance/data

323 Efficacité du Gouvernement (Government Effectiveness) : reflète les perceptions sur la qualité des services publiques, la qualité du service civil et le degré de leur indépendance par rapport aux pressions politiques, la qualité d’élaboration des politiques et leur mise en application ainsi que la crédibilité de l’engagement du gouvernement.

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Etat de Droit (Rule of Law): reflète les perceptions sur le degré de confiance et de respect des règles formelles de la société par les agents, et notamment l’application des contrats, les droits de propriété, la police et les tribunaux ainsi que la probabilité de crime et de violence.

325 Contrôle de la Corruption (Control of Corruption) : reflète les perceptions sur l’existence dans le pays de recherche des gains privés par le pouvoir public y compris les formes de la petite et de la grande corruption ainsi que la « capture » de l’Etat par les élites dans leurs intérêts privés.

de recherche des gains privés par le pouvoir public a été ressenti comme assez commun et la « capture » de l’Etat par les intérêts privés des élites y semble présente.

Une autre étude de la Banque Mondiale a cherché à évaluer la facilité à mener les affaires dans les différents pays. En analysant les mesures objectives telles que le nombre d’actes judiciaires, la durée et le coût de la régulation des affaires ainsi que son application, les experts de la Banque Mondiale classent la Russie en 123ème place sur 201 pays. Ils soulignent les difficultés particulières en Russie liées aux procédures d’ouverture et de fermeture d’entreprise. Cette complexité administrative favorise les opportunités des acteurs publics pour la corruption en baissant pourtant les motivations des acteurs économiques, surtout de petite et moyenne taille, pour l’entreprise formelle. Une telle organisation peut être particulièrement non optimale dans le pays où le contrôle de la corruption n’est pas efficace.

Selon l’autre organisme international, Transparency International, qui évalue la perception de la corruption par les hommes d’affaires et les experts en politique dans 178 pays, la Russie fait partie du groupe d’Etats possédant un score inquiétant pour cet indicateur. En 2009 l’Indice de la perception de la corruption (IPC) calculé selon les résultats d’enquêtes, place la Russie en 146ème

place à coté du Kenya et du Cameroun. Entre 10 (corruption minimale) et 1 (corruption maximale) la Russie a obtenu le score de 2,2 en démontrant une situation défavorable voire néfaste pour le développement d’esprit d’entreprise et du comportement productif chez ses acteurs économiques. (Annexe 3). En 2011, la situation s’améliore un peu car l’IPC pour la Russie passe à 2,4. Toutefois, l’urgente nécessité de changements dans le comportement des acteurs publics reste évidente d’après les résultats de ces études.

Certains indices qui évaluent la liberté économique montrent que l’Etat russe est excessivement présent dans l’économie. En mesurant la taille du secteur public, l’accès aux échanges internationaux, le respect du droit de propriété et la régulation de marchés ils mettent en évidence qu’en Russie l’Etat limite fortement les libertés économiques des individus et des organisations.

L’Indice de liberté économique dans le monde développé par Fraser Institute à partir des bases de données du Forum Economique Mondial, du Fond Monétaire International et de la Banque Mondial place la Russie en 81ème place sur 141 pays étudiés. Il évalue

« quatre principaux ingrédients »326 de la liberté économique, et notamment le choix

personnel, l’échange volontaire coordonné par les marchés, la liberté d’entrer et de concurrencer sur les marchés et la protection des personnes et de leurs biens contre l’agression d’autrui. Il se trouve que la Russie a affiché les résultats particulièrement inquiétants dans le domaine de la régulation des affaires car les procédures administratives et bureaucratiques y restreignent sensiblement l’entrée aux marchés et réduisent la concurrence.

De son coté, l’Heritage Foundation qui a également construit l’Indice de liberté économique, a classé en 2011 la Russie en 143ème place sur 183 en lui attribuant le statut du pays majoritairement non libre (« mostly unfree »)

Concernant la liberté politique, les analyses des organismes internationaux n’affichent pas non plus de résultats favorables pour la Russie. Ainsi, Freedom House qui a évalué la liberté politique dans 194 pays en 2011 a classé la Russie parmi 47 pays « non libres ». Le fonctionnement du gouvernement y est considéré peu transparent et fortement corrompu, la liberté d’expression est insatisfaisante pour faire pression sur les autorités politiques, la justice n’y est pas indépendante et impartiale pour faire régner la loi et l’Etat de droit. La liberté de presse en Russie pèse fortement sur son résultat final au niveau du score démocratique. Etant un outil indispensable pour contrôler les actions des dirigeants, les médias russes, pourtant, n’ont pas assez de liberté pour réaliser une pression efficace. De la même façon, l’ONG qui défend la liberté de la presse, Reporters sans frontières, en évaluant la situation des journalistes en Russie, a placé cette dernière en 153ème place dans le classement mondial 2009 sur 175 pays. Avec certaines améliorations en 2010 sa place, 140ème, reste néanmoins très alarmante (Annexe 7).

Enfin, The Economist Intelligence Unit327 en mesurant l’Indice de démocratie qualifie en 2011 la Russie de pays avec « régime autoritaire » dont la culture démocratique et la participation politique libre sont faibles tandis qu’en 2010 la Russie a été encore classée selon cet indice parmi les « régimes hybrides ». (Score total de 3,92 sur 10, Annexe 4).

Donc, l’information principale fournie par les indices internationaux permet de tirer certaines conclusions générales sur la structure institutionnelle russe.

327 The Economist Intelligence Unit’s index of democracy, 2011 : http://www.economist.com/topics/economist-intelligence-unit

D’abord, l’application des règles formelles n’est pas générale en Russie ce qui baisse la confiance en l’autorité de la loi et nourrit la corruption à tous les niveaux.

Puis, les libertés économiques y sont très affectées par la complexité administrative de l’ouverture et de la fermeture des entreprises en rajoutant aux fonctionnaires des opportunités de comportement corrompu. Les mesures de liberté d’entreprise, de commerce, d’investissement, d’emplois, d’être hors la corruption et autres permettent de constater que l’autonomie des acteurs économiques en Russie par rapport aux détenteurs du pouvoir politique est insuffisante pour le développement dans le cadre du système capitaliste. La qualité médiocre de l’administration publique et les procédures lourdes rétrécissent les marges de manœuvre des individus et des organisations en contribuant au développement de l’inertie dans leur comportement économique incompatible avec le capitalisme qui lui est basé au contraire sur l’initiative et la responsabilité individuelles.

Enfin, l’accès presque fermé à la compétition politique avec la prédominance réelle d’un parti, la société civile faiblement développée et les médias peu contraignants pour les actions du gouvernement révèlent que les institutions indispensables pour le contrôle démocratique ne fonctionnent pas correctement en Russie.

Ainsi, les études des organismes internationaux nous ont permis de détecter les problèmes principaux de la structure institutionnelle russe. Or, dans quelle mesure une telle représentation correspond-elle à la réalité ? En effet, comme le souligne Jacques Sapir, « la représentation du réel qui découle de la pratique ne doit pas être assimilée au réel ».328 Les indicateurs que nous avons utilisés pour tirer nos conclusions, outre les critiques déjà évoqués ci-dessus, peuvent également être influencés par les principes idéologiques des experts de l’organisation.

Ainsi, le même auteur remarque que certaines sources d’information « contiennent des biais idéologiques probables comme les indicateurs fournis par les organismes aux fonctions propagandistes et idéologiques très éloignées des critères de rigueur du travail scientifique comme la Freedom House ou la Heritage Foundation dont les experts défendent une vision politique »329.

328 Sapir Jacques, « Diversité des trajectoires et effet de sentier : les transitions post-soviétiques », Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 36, 2005, N°2, « Trajectoires territoriales et économiques. Approches théoriques et méthodologiques », p. 188

De ce fait, il est indispensable d’analyser les résultats des autres études sur les institutions russes afin d’éviter le piège de subjectivité idéologique. A ce propos, l’approche retenue par les auteurs de la base de données IPD « Institutional Profil Database » qui suppose la non normativité des institutions, semble intéressant pour caractériser le profil institutionnel russe.

4.1.2. Le profil institutionnel russe selon les données de la base IPD 2009.

Le profil institutionnel russe qui ressort des données de la base « Institutional Profil Database » 2009 peut être visualisé sur le plan factoriel du Graphique 3.4. (Chapitre III).

Il apparaît qu’en prenant en considération un grand nombre de caractéristiques institutionnelles dans les domaines politique, économique et social, la structure institutionnelle russe est marquée par le rôle important des institutions informelles dans la régulation des échanges entre les acteurs et la place centrale de l’Etat dans cette coordination.

Pour mieux comprendre le fonctionnement du profil institutionnel russe, il est nécessaire de distinguer les principales institutions qui ont obtenu les évaluations assez faibles à l’échelle de 1 à 4 (Tableau 4.2.) et les institutions qui ont été caractérisées comme plutôt performantes (Tableau 4.3.). Cette observation détaillée des variables permettra de construire une image plus complète de la structure institutionnelle russe et de vérifier la convergence des évaluations de la base IPD avec les notes des experts des organisations internationales.

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