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L’irréversibilité de la mondialisation malgré le bilan mitigé

Chapitre II : La mondialisation en tant que généralisation des institutions formelles du capitalisme à l’échelle planétaire

2.1. Le contexte actuel de la mondialisation

2.1.2. L’irréversibilité de la mondialisation malgré le bilan mitigé

L’intégration de plus en plus intense des pays entre eux n’a pourtant pas le même résultat pour tous. La mondialisation, basée sur le libre-échange augmente la richesse mondiale mais la répartition de cette dernière n’est pas équitable. La croissance de la richesse mondiale, multipliée par 7 entre 1950 et 2000, n’est pourtant pas accompagnée d’une convergence des niveaux de vie des pays. Pascal Lamy, directeur de l’Organisation Mondiale du Commerce, reconnaît que « la phase de mondialisation actuelle est ambivalente. Elle permet un enrichissement global, tout en se nourrissant d’inégalités à la surface de la planète et à l’intérieur des sociétés nationales ».115

Les opposants à la mondialisation mettent en avant l’exclusion qu’elle produit. Stiglitz a synthétisé les critiques des altermondialistes qui soulèvent les problèmes suivants:

« Les règles du jeu qui régissent la mondialisation sont injustes. Elles ont été spécifiquement conçues pour profiter aux pays industriels avancés. La mondialisation fait passer les valeurs matérielles avant d’autres. Elle prive les pays en développement d’une grande partie de leur souveraineté. Elle a créé beaucoup de perdants tant dans les pays en développement que dans les pays développés. Enfin, la mondialisation ne doit pas être synonyme d’américanisation mais elle l’est souvent. »116

113

Bayart Jean-François, Le gouvernement du monde, Paris : Fayard, 2004, p.13

114

Zinoviev Alexandre, L’Occidentisme. Essaie sur le triomphe d’une idéologie, traduction française, Plon, 1995, p. 201

115 Lamy Pascal, « L’autre mondialisation ? Quelle autre mondialisation ? » in Quelle autre mondialisation ? Paris : La Découverte, 2002, p.116

116 Stiglitz Joseph E., Un autre monde. Contre le fanatisme du marché, trad. française par Paul Chemla, Paris : Fayard, 2006, p.39

Les rapports des organisations internationales, notamment de l’Organisation Internationale du Travail, reconnaissent également les conséquences négatives de la mondialisation :

« L’intégration économique à l’échelle mondiale a eu pour conséquence de confronter de nombreux pays et secteurs à des défis majeurs touchant à l’inégalité de revenus, à la persistance de niveaux de chômage et de pauvreté élevés, à la vulnérabilité des économies aux chocs extérieurs, à l’augmentation du travail précaire et de l’économie informelle. »117

En outre, la libéralisation des capitaux a permis non seulement l’augmentation des IDE mais aussi un autre mouvement qui n’est pas lié directement aux échanges de biens et services. Ce sont les investissements spéculatifs qui visent le profit rapide et qui ne doivent pas être confondus avec l’investissement productif. Etant surtout la cause de l’instabilité financière, les capitaux spéculatifs représentent aujourd’hui plus que jamais la source de l’opposition à la mondialisation.

Le bilan mitigé du projet globaliste a provoqué l’apparition de la nouvelle stratégie de développement économique, celle de la démondialisation. (Bello 2002 ; Sapir 2011)

Ce concept suppose le retour du protectionnisme dans la politique économique des Etats-nations afin d’atténuer les conséquences négatives d’une forte concurrence internationale et de revaloriser la production locale. La démondialisation vise le changement des priorités en insistant sur l’importance des marchés locaux pour le développement économique.

Or, cette stratégie en apparence radicale ne doit pas être considérée comme un retour vers l’autarcie des économies nationales et du retrait des pays de l’économie mondiale. Certes, c’est une critique du libre-échange et de la mondialisation néolibérale, mais ce n’est pas une stratégie de démolition de l’économie globale. En démontrant que la croissance fondée sur les exportations n’est pas la seule voie pour le développement économique et que le libre-échange total et incontrôlé est dangereux pour la stabilité macroéconomique, les démondialistes proposent la régulation commerciale et financière au niveau mondial et donc le changement de la forme de l’économie mondialisée.

De ce fait, la stratégie appelée la démondialisation rejoint en réalité les autres projets de reformes visant une mondialisation différente.

117

Déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable, Genève, Bureau International du Travail, 2008, p. 5 ; en ligne à l’adresse : www.ilo.org/public/french

Ainsi, malgré un nombre important de critiques liées au caractère inégalitaire de la mondialisation, ce processus semble irréversible. La plupart des opposants cherchent plutôt « une autre mondialisation » que son abolition. Ainsi, la mondialisation régulée118, sans spéculations financières et dictature du marché (Plihon 2002 ; Stiglitz 2006), plus équitable et sociale (OIT 2008) doit remplacer celle mal contrôlée et inégalitaire.

Une perspective est recherchée dans la nouvelle gouvernance mondiale, qui est capable de mettre en commun les politiques de régulation et de redistribution et qui peut capturer la complexité des échelles économiques, sociales et politiques du contexte actuel de la mondialisation (Lamy 2002).

Le caractère inégalitaire de la mondialisation reconnu par ses opposants mais aussi par ses adversaires ne suscite pas pour autant des propositions d’isolement des pays. La plupart reconnaissent que la mondialisation est un processus irréversible mais qui doit être contrôlé. La régulation mondiale actuelle est partielle, elle n’est pas structurée dans un dispositif unifié. Les multiples organisations internationales, mal reliées les unes aux autres (Lamy 2002), ne remplissent pas correctement la fonction d’ordre mondial.

La nécessité de changements est donc reconnue par la majorité des acteurs de l’économie globale. Or, le retour vers une économie nationale ne semble pas possible en vue du caractère historique et évolutif du processus de mondialisation. Comme le souligne J-F Bayart :

« La mondialisation est apparue comme un procès structurellement irréversible. (…) La globalisation n’est pas un événement récent. Les lignes de forces de notre époque, la conscience que nous en avons, sont tributaires de notre passé. Elles sont un dérivé de morphologies, d’intérêts, de symbolisations et de perceptions que contraignent les histoires dont nous sommes issus. »119

De ce fait, les pays doivent chercher les moyens d’utiliser les éléments de la mondialisation et de profiter des opportunités qu’elle propose sans pour autant oublier que l’ouverture économique peut être dangereuse et qu’elle n’est pas le but en soi mais le moyen d’amélioration de la situation interne.

118 Latouche Serge, « D’autres mondes sont possibles, pas une autre mondialisation », in Quelle autre mondialisation ? Paris : La Découverte, 2002, p.79

Cependant, pour comprendre toutes les opportunités et les dangers de la mondialisation, l’analyse de la libéralisation commerciale et financière n’est pas suffisante.

L’économie globale est devenue la réalité non seulement par la suppression des obstacles aux échanges internationaux mais surtout par l’adoption à l’échelle planétaire des institutions du capitalisme.

De ce fait, la structure institutionnelle qui constitue la base du capitalisme occidental s’est également mondialisée en transportant les institutions occidentales dans les autres pays du monde.

Ce processus, celui de la mondialisation institutionnelle, sera au centre de la section suivante.

L’analyse de la globalisation en tant que processus institutionnel nous semble nécessaire afin de mieux comprendre pourquoi le projet globaliste est en crise et pourquoi l’idée de la démondialisation est devenue si populaire aujourd’hui.

2.2. La mondialisation en tant que généralisation des institutions

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