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Le changement des structures institutionnelles internes : un nouveau regard sur les effets de la mondialisation

3.1. L’apparition, le changement et le fonctionnement des structures institutionnelles

3.1.3. Les composantes de la structure institutionnelle et leur cohérence

3.1.3.2 Les institutions informelles

Les contraintes informelles sont plus difficilement descriptibles que les règles formelles car incarnées dans la culture elles font partie du savoir commun qui n’est pas écrit mais connu par tous les membres de la communauté.

Ce sont des codes de conduite qui déterminent d’une manière importante les décisions comportementales des individus dans leur vie quotidienne. Ainsi, les interactions humaines sont guidées non seulement par les règles légales mais aussi par les normes sociales non écrites. En même temps, en formant ensemble la même structure institutionnelle les règles formelles et informelles s’influencent mutuellement. Or, le rôle des contraintes informelles ne doit pas être limité à un supplément aux institutions formelles. Leur impact est beaucoup plus important car d’abord elles peuvent fonctionner seules sans être soutenues par les lois (sociétés primitives), puis elles agissent sur le résultat produit par les règles formelles et enfin, leur modification représente le processus lent et compliqué qui freine le changement économique, politique et social. Cela explique que les mêmes règles formelles peuvent produire les résultats différents dans les différentes sociétés. Ainsi, l’analyse des institutions formelles séparément de celles informelles n’apporte que l’information partielle sur l’efficacité de la structure institutionnelle de la société.

Les institutions informelles peuvent être classées en trois catégories de contraintes : les conventions autorégulées, les règles morales contrôlées par les individus et les normes sociales qui sont imposées par les membres de la société ou le groupe233.

233 Classification des institutions informelles construite par CH. Mantzavinos « Individus, institutions et marchés », trad. par Laurent Baechler, Paris : PUF, 2008, p. 97

Les conventions sociales représentent, selon Lewis,234 des solutions à des problèmes sociaux de coordination qui sont répétées et communément admises par la population de la communauté. Ce sont des croyances communes à un groupe ou à une société qui donnent aux acteurs une direction commune.

Donc, la convention représente la régularité dans le comportement des membres du groupe ou de la société dans la recherche de la solution d’un problème qui se répète. Or, les conditions particulières sont nécessaires pour que la convention fonctionne. Lewis distingue six conditions : i) chacun se conforme à la régularité ; ii) chacun croit que les autres se conforment à cette régularité ; iii) cette croyance que les autres se conforment à la régularité, donne à chacun une bonne et décisive raison de se conformer lui-même à cette régularité ; iv) chacun préfère une conformité générale à la régularité plutôt qu’une conformité légèrement moindre que générale ; v) la régularité n’est pas la seule régularité possible satisfaisant les deux dernières conditions ; vi) toutes les conditions sont des connaissances communes235.

Dans cette définition Lewis s’appuie sur l’analyse de Hume pour qui la convention repose sur l’anticipation de réciprocité du comportement et de l’action entre les individus de la même société. Les habitudes communes lient les individus de la même société et ils ont intérêt à les respecter (Orléan 1994).

Ainsi, les conventions permettent de résoudre les problèmes de coordination en étant en même temps auto-applicables ce qui réduit les coûts de transaction.

Les règles morales construisent le comportement socialement bénéfique et elles sont souvent contraires aux intérêts des individus égoïstes et utilisateurs. Contrôlées par tous les individus, ces contraintes apparaissent spontanément au fur et à mesure que les individus apprennent que l’utilité du comportement de coopération mutuelle est supérieure à long terme à celle du comportement égoïste. Ainsi, les règles morales sont conditionnelles car les individus acceptent de coopérer à condition que les autres coopèrent aussi et cette connaissance peut être acquise avec le temps en résultat des interactions sociales.

234 Lewis D. (1969) présenté dans l’Analyse économique des conventions sous la direction de André Orléan, Paris : PUF, 1994

235 L’expression « connaissances communes » de Lewis a été remplacée dans les analyses postérieures par « le savoir collectif » qui est moins stricte, André Orléan, Analyse économique des conventions, Paris : PUF, 1994

Les normes sociales à la différence des règles morales, n’ont pas de caractère généralisé et fondamental. Elles dépendent des cultures et des endroits spécifiques et elles apportent des solutions aux problèmes sociaux. Imposées par la communauté ou par le groupe, les normes sociales guident le comportement social de leurs membres :

« Les valeurs et normes culturelles qui dominent dans une société sont la matrice qui forme les relations sociales entre groupes et individus. Ces valeurs et normes sont institutionnalisées et perpétuées de génération en génération, avec des modifications, et modèlent la vie de la société de même que les tendances sociales qui se dégagent de groupes particuliers » (Blau 1964, p. 253)236

D’une manière générale, les institutions informelles peuvent être définies comme « les règles partagées socialement, habituellement non écrites, créées, communiquées et contrôlées en dehors des circuits officiels »237. Elles sont caractérisées par leur appartenance à une société ou à une communauté particulière. Elles sont partagées par tous les membres de la société et chacun représente l’autorité de contrôle, d’interprétation des institutions et de punition pour le non-respect. Afin d’être conformes aux groupes, les individus ont intérêt à suivre les règles informelles. Le risque de sanctions sociales détermine le comportement des individus. Or, pour que les institutions informelles soient contrôlées et appliquées par la société elle-même, elles doivent être internalisées. Une fois admises par la communauté les règles informelles sont difficilement modifiables.

Les conventions se forment dans le passé et se transmettent à la population par l’expérience. Dans l’espace de l’interaction des individus qui partagent les mêmes modèles mentaux les mêmes solutions seront appliquées en cas de rencontre d’un problème similaire. Ces connaissances des solutions sont transmises d’une génération à l’autre et changent si ce type de comportement devient inefficace dans plusieurs cas.

De la même façon, les normes sociales et les règles morales viennent de l’information transmise des générations précédentes et elles font part de l’héritage culturel. Les connaissances et les valeurs de la société se transmettent par l’apprentissage et l’imitation. Ainsi, la culture fournit la matrice des solutions informelles aux problèmes d’échange.

236 Cité par Mantzavinos C., Individus, institutions et marchés, traduction française par Laurent Baechler, Paris : PUF, 2008, p. 142

237 Helmke G., Levitsky S., “Informal institutions and comparative politics”, research agenda. Perspectives on Politics, 2004, p. 727

Enfin, les institutions informelles ne changent pas immédiatement en réaction au changement des règles formelles. Ainsi, la tension produite entre les institutions formelles modifiées et les institutions informelles persistantes, peut perturber le fonctionnement efficace de la structure institutionnelle entière. Les croyances des humains qui sont à la base des règles formelles et informelles changent lentement en résultat de leur interaction permanente avec l’environnement variable. Sans ce processus d’adaptation des valeurs, les règles modifiées par la décision des dirigeants ne rempliront pas leurs fonctions institutionnelles :

« Alors que les institutions formelles peuvent être modifiées délibérément, les institutions informelles évoluent selon des modalités encore imparfaitement connues et ne prêtent donc généralement pas à des manipulations délibérées de la part des humains »238.

Ainsi, la cohérence entre les règles formelles et informelles est nécessaire d’abord pour que les premières soient internalisées et acceptées, et puis pour assurer leur application.

Les institutions informelles peuvent améliorer les règles formelles mais aussi les affaiblir. Par exemple, la Constitution de 1980 a créé au Chili le pouvoir présidentiel le plus puissant au monde mais en pratique le réseau complexe des institutions informelles a limité le pouvoir des présidents en les poussant à la consultation avec les autorités exécutives et au partage du pouvoir (Helmke et Levitsky 2004, p. 726). D’autre part, les réseaux des clans politiques provenant du Sud et du Nord de la République Kirghize ont corrompu les institutions formelles dans les années 1990 et ont instauré le contrôle des échanges et des normes par les mécanismes informels(Estrin et Prevezer 2011)239.

Ainsi, la fonction institutionnelle de réduction de l’incertitude n’est pas assurée quand l’application des règles formelles est menacée par les conventions ou les normes sociales qui privilégient la coordination favorable à certains groupes. Cela est désavantageux pour la société entière.

Les conventions apportent des solutions à des problèmes complexes de coordination. Or, l’effet des conventions n’est pas toujours positif pour l’efficacité de l’appareil institutionnel. La théorie des jeux révèle que les conventions apportent une

238 North Douglass (2004), Le Processus du développement économique, Paris : Ed. d’Organisation, 2005, p. 76

239 Estrin, Saul and Prevezer, Martha (2011), “The role of informal institutions in corporate governance: Brazil, Russia, India, and China compared”, Asia Pacific journal of management, 28 (1), p. 44

coordination efficace car elles créent l’équilibre240

entre les différentes actions possibles. Cependant cet équilibre n’est pas automatiquement optimal au sens de Pareto241 (Batifoulier Ph., Ventelou B.). Donc, la convention peut être la source de la coordination sous-optimale qui persiste dans la société. Cette dernière permet de résoudre les problèmes plus rapidement mais emmène les résultats négatifs pour la société et l’économie à long terme.

Les conventions sont respectées spontanément par conformisme avec les autres mais souvent sans rapport à leur valeur. Les « mauvaises conventions » (Batifoulier 2001 ; Batifoulier, Ventelou 2003) telles que la pratique discriminatoire dans le processus d’embauche, la corruption,242

le clientélisme ou les réseaux des clans, produisent l’exclusion de certains et le résultat défavorable pour l’intérêt général. Or, elles persistent car comme toutes les institutions informelles elles ont un caractère inerte et nécessitent d’abord le changement des modèles mentaux et des croyances collectives.

Ainsi, l’application et l’autorité des institutions formelles sont indispensables pour assurer l’efficacité de la structure institutionnelle dans la réalisation de ses fonctions. Le respect des lois dépend de la réunion de plusieurs conditions. Certes, l’Etat doit introduire les sanctions pénalisantes pour la non application des règles formelles. Or, si les lois écrites ne correspondent pas aux croyances partagées par la société donnée, les conventions, les normes sociales et les règles morales qui règnent dans cette communauté rempliront la fonction organisationnelle en mettant de sérieux obstacles à la légitimation des règles formelles.

240 Equilibre de « Nash » : John Nash a définit la situation d’interaction comme « un équilibre stable » si aucun « joueur » n’a intérêt à changer sa stratégie.

241

Batifoulier P., Ventelou B., « La théorie des conventions peut-elle expliquer les échecs de gouvernement ? Le cas de la corruption politique comme mauvaise convention », Colloque « Conventions et institutions : approfondissements théoriques et contributions au débat politique », Paris, décembre 2003.

242 Pour plus d’information sur l’analyse de la corruption en tant que convention voir Batifoulier et Ventelou «La théorie des conventions peut-elle expliquer les échecs de gouvernement ? Le cas de la corruption politique comme mauvaise convention », Colloque « Conventions et institutions : approfondissements théoriques et contributions au débat politique », Paris, décembre 2003.

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