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L’importance des caractéristiques mesurables

Le changement des structures institutionnelles internes : un nouveau regard sur les effets de la mondialisation

3.4. Mesurer les institutions

3.4.1. L’importance des caractéristiques mesurables

L’institutionnalisme en tant qu’approche historique est souvent critiqué pour son incapacité à développer une théorie générale qui sert à faire les prédictions. En analysant le système économique dans le contexte historique et social, l’institutionnalisme penche vers la description plutôt que vers le cadre théorique. (Sturgeon 1984)301

Or, « la méthode réaliste de la tradition institutionnelle propose une théorisation alternative à l’opposition entre empirisme et rationalisme car elle se donne l’objectif d’abstraire les caractéristiques essentielles du réel et de rendre compte des formes concrètes des processus sociaux »302.

La théorie institutionnelle cherche à élaborer l’analyse de l’économie dans toute sa complexité, à capturer toutes ses dimensions et non seulement sa dimension marchande. Or, elle se confronte à une difficulté importante de mesure des institutions. Leur caractère multidimensionnel et non normatif ne permet pas de les quantifier facilement tandis qu’en économie les indicateurs mesurables ne peuvent pas être totalement négligés.

L’importance des caractéristiques mesurables a été mise en avant déjà par S. Kuznets dans sa critique de la méthode des stades du développement économique. Il pose une question très pertinente pour l’analyse institutionnelle: « Comment est-il possible de

301 Cité par Colin Jean-Philippe, « Regard sur l’institutionnalisme américain », Cahier des sciences humaines, 26 (3) 1990, p. 374

302 Bazzoli L. Dutraive V. « Conception institutionnaliste du marché comme construction sociale : une économie politique des institutions, dans Bensimon G., Histoire des représentations du marché, Editeur Michel Houdiard, 2008, p. 673

mesurer le cadre politique, sociale et institutionnel qui favorise l’exploitation des effets d’entraînement du secteur moderne »303.

Les économistes contemporains (De Crombrugghe, Farla, Meisel, De Neubourg, Ould Aoudia et Szirmai 2009)304 soulignent également une réelle difficulté de mesure des institutions. Ce problème est lié, selon eux, d’abord au caractère pluridisciplinaire de l’analyse institutionnelle qui mobilise plusieurs domaines, puis à l’importance des valeurs locales, ensuite à la difficulté d’interprétation des appréciations qualitatives qui sont à la base des indicateurs quantitatifs, et enfin au cadre inexistant pour homogénéiser le champ des institutions.

Plusieurs études ont néanmoins tenté de construire les indicateurs pour mesurer la qualité des institutions dans les différents pays.

Pour évaluer le facteur humain et son esprit capitaliste, de multiples indices ont été développés par les organisations internationales. Les paramètres de sécurité, de liberté, d’égalité, de respect de droit ont été mis au centre pour mesurer et comparer l’efficacité des institutions des différents pays.

Ainsi, le comportement de respect de droit est évalué par le biais de l’appréciation du niveau de corruption. L’Indice de la perception de la corruption (IPC) des fonctions publiques des différents pays est publié chaque année depuis 1995 par Transparency International305. Il est établi à partir des enquêtes effectuées auprès des entreprises et d’experts en politique pour relever leur impression sur le niveau et l’étendue de la corruption dans 183 pays et territoires (en 2011). Ainsi, le niveau et l’étendue de la corruption dans ces pays varient entre 10 (corruption minimale) et 0 (corruption maximale). En 2009 la Nouvelle Zélande et le Danemark se retrouvent au sommet du classement des pays selon cet indice en affichant les meilleurs résultats, tandis que la

303 Kuznets S. (1965), Croissance et structure économiques, traduction française par Nicolas, Prompt, Soichot, Calmann-Lévy, 1972, p.249-250

304

De Crombrugghe D., Farla K., Meisel N., De Neubourg C., Ould Aoudia J., Szirmai A., Les Cahiers de la Direction Générale du Trésor et de la Politique Economique, n°2009-14 – Décembre 2009, p. 9

305 Transparency International est une organisation non-gouvernementale qui lutte contre la corruption. Basée en Allemagne, à Berlin, elle s’est donnée pour mission de soutenir un bon fonctionnement des systèmes d’intégrité, au niveau national des pays, comme au plan international. Créée en 1993, Transparency International compte aujourd’hui plus de 60 Chapitres Nationaux à travers le monde. (Communiqué de presse 1997, p.1): http://www.transparency.org/

l’Afganistan et la Somalie sont les dernières dans le classement en étant les pays les plus corrompus. (Annexe 3)

Pour comparer les niveaux de liberté politique et civile des différents pays, The Economist Intelligence Unit306 a élaboré l’Indice de démocratie qui est basé sur cinq catégories de paramètres : condition d’élections libres et pluralistes, condition de libertés civiles, qualité de fonctionnement démocratique de gouvernement, participation politique libre, et culture politique démocratique. Parmi 165 pays et deux territoires analysés en 2011 seulement la moitié a été considérés comme démocratique. 25 pays ont été classés comme les « démocraties », 53 pays comme les « démocraties imparfaite» (flawed democracies), 36 pays sont considérés comme les « régimes hybrides » (hybride regimes) et 53 pays sont classés comme pays autoritaires.

Seul 13 % de la population mondiale vie dans les conditions de démocratie complète et 40% vit sous le régime autoritaire. Ainsi, l’Indice de démocratie varie entre 10

(niveau supérieur de démocratie) et 1 (niveau inférieur de démocratie). (Annexe 4)

Dans le cadre du projet « Doing Business » la Banque Mondiale a évalué le climat institutionnel des affaires en 2011 dans 201 pays et territoires en rassemblant des mesures quantitatives telles que le nombre d’actes judiciaires, la durée et le coût de la régulation des affaires ainsi que son application.

La qualité de la gouvernance qui recouvre le champ des institutions politiques et économiques a été évaluée pour 213 pays et territoires par les experts de la Banque Mondiale307 à partir des enquêtes réalisées auprès des entreprises, des citoyens et des experts des ONG. La performance de la gouvernance a été notée entre -2,5 (faible performance) et 2,5 (forteperformance).

L’Heritage Foundation a construit l’Indice de liberté économique308

à partir de 50 variables en couvrant les libertés d’entreprise, de commerce, d’investissement, d’emplois ; la liberté d’être hors la corruption, les droits de propriété, les dépenses de gouvernement et la liberté fiscale, financière et monétaire. Selon le degré de liberté économique individuelle, 183 pays sont repartis en 5 groupes : 1/ libres (free), 2/

306The Economist Intelligence Unit’s index of democracy, 2011 :

http://www.economist.com/topics/economist-intelligence-unit

307 Kaufmann D., Kraay A., Governance Indicators, World Bank Institute, www.worldbank.org/wbi/governance/data

majoritairement libres (mostly free), 3/modérément libres (moderately free), 4/ majoritairement non libres (mostly unfree) et 5/ totalitaires (repressed).

Freedom House a construit l’indicateur de liberté politique qui permet de repartir les pays en trois catégories : libres, partiellement libres et non libres309. Les pays libres sont caractérisés par « l’ouverture de la compétition politique, le climat de respect des libertés civiles avec la vie civile et les médias indépendants »310. Les pays qui sont classés comme partiellement libres ont l’environnement de respect partiel des droits politiques et des libertés civiles en combinant la corruption, l’efficacité relative des règles formelles, la dominance d’un parti politique malgré un certain degré de pluralisme. Enfin, dans les pays non libres, les droits politiques de base ne sont pas respectés, la liberté civile n’est pas assurée, elle est même violée systématiquement.

Ces indices et plusieurs autres permettent de comparer les différents pays du monde selon l’efficacité de leurs institutions dans un domaine choisi, tel que les libertés démocratiques, le contrôle de la corruption ou encore les libertés économiques.

Or, pris séparément plusieurs de ces indices ne tiennent pas compte de l’importance de l’ensemble du dispositif institutionnel. Cette particularité de l’approche institutionnaliste a été retenue par la base de donnée IPD « Institutional Profiles Database »311 qui analyse, identifie, caractérise la grande diversité de configurations institutionnelles312 : « L’IPD vise à quantifier les phénomènes institutionnels. La production d’indicateurs « capturant » les caractéristiques institutionnelles suppose l’adoption d’un cadre d’analyse global structurant le champ institutionnel observé »313.

309 Freedom House, Freedom in the World 2011 by Arch Puddington, www.freedomhouse.org

310 Ibid, p. 3

311 Institutional Profiles Database a été édité en 2001, 2006 et 2009. La troisième édition, IPD 2009 a été complétée par des nouveaux indicateurs. IPD 2009 est présentée dans trois versions : la base complète (367 variables) et deux versions réduites, l’une de 133 variables, l’autre de 93 variables. IPD a été élaborée par des chercheurs basés au MINEIE et à l’AFD en France, à partir d’une enquête menée auprès des agences du MINEIE et de l’AFD présentes dans les pays couverts.

312 De CROMBRUGGHE D., FARLA K., MEISEL N., De NEUBOURG C., OULD AOUDIA J., SZIRMAI A., Les Cahiers de la Direction Générale du Trésor et de la Politique Economique, n°2009-14 – Décembre 2009, pp. 8-10

L’IPD a été construite par les chercheurs français et hollandais à partir de l’idée centrale de non normativité et non universalité des institutions. Ils ont tenté de

« capturer la diversité des cadres institutionnels sans jugement sur leur optimalité»314. Les institutions de 123 pays sont présentées en tant que profils institutionnels complets structurés par le croisement de neuf fonctions et de quatre secteurs. La structure de la « capture » des caractéristiques institutionnelles de l’IPD est présentée dans le tableau 3.5. (Voir l’IPD 2009 en Annexe 5).

Neuf fonctions et quatre secteurs qui sont considérés comme les mêmes pour toutes les sociétés structurent 367 indicateurs institutionnels qui sont réduits à 133 et puis à 93 dans la version courte. Ces variables dans leurs ensembles représentent les dispositifs institutionnels spécifiques à chaque société compte tenu de son histoire et de sa culture. Les structures institutionnelles nationales créées par les facteurs humains de ces pays satisfont plus ou moins les fonctions fondamentales :

« Les questions à partir desquelles ont été quantifiées les caractéristiques institutionnelles des pays ont été posées en vue de capturer dans les réponses la mise en œuvre effective de chacune des règles à évaluer… et donc le fonctionnement réel des institutions, par delà leur forme précise.»315

Ainsi, l’approche adoptée par IPD met l’accent sur l’application des institutions et donc, tient compte de la cohérence des règles formelles et informelles plutôt que privilégier l’évaluation de l’existence formelle d’un type précis d’institution.

L’IPD combine au sein de la même structure les différentes institutions du système capitaliste en évaluant d’une part, les conventions et les normes sociales comme la corruption, l’égalité de traitement, la liberté d’entreprise ou de la société civile, le rôle des réseaux dans la régulation socio-économique ou le comportement de respect de droit, et d’autre part, les règles formelles comme le dispositif de la régulation de la concurrence, la légitimité des élections, des règles d’accès au pouvoir, le droit de grève, le droit de créer les organisations.

314 L’objectif fixé par les auteurs de la base de données IPD 2009.

Tableau 3.5. : IPD, Structure de la capture des institutions316 SECTEURS INSTITUTIONNELS FONC T IONS INST IT UTIO NN E L L E S Environnement institutionnel Marchés A Institutions publiques, société civile B Marchés des biens et services C Marché des capitaux D Marché du travail Institutions politiques Droits politiques et

libertés publiques, légalité, légitimité Sécurité, ordre public,

contrôle de la violence

Sécurité des personnes et des biens, contrôle de la violence, sécurité extérieure Fonctionnement des administrations publiques Transparence, contrôle de la corruption, efficacité de l’administration, indépendance de la justice, autonomie des organisations Facilité de création des entreprises, relations Etat-Entreprises Liberté de fonctionnement des marchés Liberté des prix, performance des entreprises publiques, privatisations Privatisation et liberté d’affectation du crédit Flexibilité du marché du travail Coordination des acteurs, vision stratégique, innovation Capacité d’arbitrage autonome de l’Etat, coordination des acteurs publics et privés Environnemen t technologique et le soutien public à la R&D Compétence s des cadres Formation adaptée

Sécurité des contrats et des transactions

Sécurité des droits de propriété et des contrats, justice commerciale Information sur le marché Information financière Respect du droit du travail Régulation des marchés, dialogue social Concurrence sur le marché : facilité d’entrée, régulation Concurrence sur le marché Dialogue social Ouverture sur l’extérieur

Circulation des personnes et de l’information Ouverture des entreprises sur l’extérieur Ouverture aux capitaux étrangers Ouverture au personnel étranger Cohésion et mobilité sociales

Equilibre social, égalité de traitement, solidarité Micro-crédit Mobilité sociale, qualité des biens publics de base 316

Source : Présentation de la base de données « Institutional Profiles Database 2009 » par Denis de CROMBRUGGHE, Kristine FARLA, Nicolas MEISEL, Chris de NEUBOURG, Jacques OULD AOUDIA, Adam SZIRMAI, Les Cahiers de la Direction Générale du Trésor et de la Politique Economique, n°2009-14 – Décembre 2009

De ce fait, IPD permet une véritable comparaison des structures institutionnelles des pays et non de leurs caractéristiques institutionnelles séparées. Cette base de données intègre pleinement les principes de la théorie institutionnaliste en répondant en même temps à la critique souvent adressée à celle-ci concernant la difficulté de mesure des institutions :

« Sans une base empirique sérieuse l’institutionnalisme produit une pure spéculation intellectuelle »317.

Les analyses réalisées à partir des données de la base IPD permettront de compléter les études historiques en relevant les proximités et les disparités institutionnelles des différentes sociétés actuelles ainsi que l’existence ou l’absence de corrélations entre les variables spécifiques.

3.4.2. La comparaison des structures institutionnelles des pays contemporains à

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