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Le concept des institutions et leur rôle pour les performances économiques

Chapitre I : La prise en considération du facteur humain dans l’analyse du développement économique

1.3. Le facteur humain dans l’économie institutionnelle

1.3.1. Le concept des institutions et leur rôle pour les performances économiques

En s’inscrivant dans la logique de l’individualisme méthodologique complexe, l’économie institutionnelle pose une double question : comment les structures sociales influencent-elles les idées et les actions des individus et comment les individus modifient-ils les structures sociales ?

En tant que membre de la communauté, l’acteur est conditionné par cette dernière. De ce fait, toutes les caractéristiques de la société qui, d’une manière ou d’une autre, guident le comportement individuel vers une direction commune, vers un ordre particulier, sont considérées comme les institutions.

D’une part, l’économie institutionnelle adopte la notion d’E. Durkheim (1894) pour qui « toutes les croyances et tous les modes de conduite institués par la collectivité » sont institutions86. D’autre part, elle suit également la définition de G. Schmoller (1902) selon laquelle l’institution est « un arrangement pris sur un point particulier de la vie en communauté, servant à des buts donnés, arrivé à une existence et à un développement propre, qui sert de cadre, de moule à l’action des générations successives pour des centaines ou des milliers d’années : la propriété, l’esclavage, le servage, le mariage, la tutelle, le marché, la monnaie, la liberté industrielle. »87

86 Durkheim Emile (1894), Les règles de la méthode sociologique, version numérique produite par J-M. Tremblay, p.15

87 Schmoller Gustav (1905 - 1908), Politique sociale et économie politique, V. Giard & E. Brière, Paris, p. 149.

Deux idées sont donc à retenir dans le concept d’institution : d’abord ce sont des croyances et des habitudes caractéristiques à chaque société et puis, ce sont des arrangements intentionnels établis à l’échelle de la communauté entière afin d’établir le cadre commun du comportement humain.

Cependant, quelque soit la définition donnée à l’institution, le consensus s’établit concernant la fonction institutionnelle qui consiste en l’encadrement des actions individuelles différentes.

L’analyse des institutions en tant que moteur des phénomènes économiques et sociaux a marqué la distinction du courant institutionnaliste de l’économie. Formée d’abord par les institutionnalistes américains (Veblen 1899 ; Commons 1925, 1931), cette approche étudie les institutions comme la cause principale des différentes performances économiques des pays.

En critiquant le modèle universel d’économie, ils soulignent l’importance de l’environnement concret qui change dans le temps et dans l’espace. Etant propres à chaque contexte, les institutions et leur mode d’orientation des actions humaines ne peuvent pas être comprises par la méthode de généralisation.

Veblen caractérise les institutions comme « des habitudes mentales prédominantes, des façons très répandues de penser les rapports particuliers de l’individu et de la société à un moment donné ou à un point donnée de l’évolution sociale dans une communauté »88. Pour Commons, les institutions sont toutes les contraintes collectives, les coutumes mais aussi les règles et les organisations formelles.

Donc, les institutions peuvent être de nature différente en prenant la forme de coutumes et d’habitudes sociales mais aussi de lois, de règles et d’organisations formelles. Or, toutes ces institutions ont la fonction universelle qui est définie par Commons comme l’action collective dans le contrôle, la libération et l’expansion de l’action individuelle.89

Cette fonction institutionnelle est à l’origine de leur impact sur le développement économique. En tant que guide de comportements individuels, les institutions déterminent leur caractère, productif et innovant ou traditionnel et axé sur le loisir. Ainsi, les acteurs en agissant déterminent les résultats du développement économique

88 Veblen Thorstein (1899), Théorie de la classe de loisir, traduit de l’anglais par Louis Evrard, Paris, Gallimard, 1931, p. 125

89 Commons John R., (1931) “Institutional Economics” The American Economic Review, Vol. 21, n°4, December 1931. p.648

qui est stimulé par le comportement créatif, motivé et actif des hommes, et qui est freiné, voire bloqué par l’esprit passif, enfermé dans les vielles traditions et inerte.

Les performances économiques des nations dépendent donc, du mode d’orientation des actions humaines par les institutions.

Pour résumer le rôle des institutions dans l’économie, Atkins W. E.90

présente en 1932 cinq postulats des économistes institutionnalistes : 1/ ce sont les comportements de groupe et non les prix qui doivent être au centre de l’analyse économique ; 2/ on doit accorder plus d’attention aux régularités des coutumes, des habitudes, et des lois car elles organisent la vie économique ; 3/ les individus sont influencés par des motivations qui ne peuvent être mesurées quantitativement ; 4/ le comportement économique évolue constamment et, par conséquent, les généralisations économiques doivent continuer de spécifier le repère du temps et du lieu d’application ; 5/ c’est la tâche de l’économiste d’étudier les sources de conflits d’intérêts dans la structure sociale existante.

La reconnaissance du rôle économique des institutions par les institutionnalistes américains a pourtant posé le problème de la définition claire et de la compréhension univoque de celles-ci.

D’une part, ce sont des règles et des coutumes de la société qui prescrivent un certain type de comportement à la population. D’autre part, ce sont des organisations (organized going concerns91), qui prennent des formes différentes telles que l’Etat, l’entreprise ou le syndicat. Comme le souligne Bernard Chavance, dans l’approche englobante de Commons, par exemple, « les notions d'institution, d'organisation et de règles sont étroitement liées. …L’organisation est institution et les institutions existent par les organisations. On pourrait qualifier sa théorie d'approche organisationnelle des institutions. »92

Cette ambiguïté conceptuelle a marqué également la nouvelle économie institutionnelle (Williamson 1975, 1985 ; North 1990, 2005, 2010).

90

Atkins W.E., « Institutional Economics », Round table conference of the American Economic Association , The American Economic Review, vol. 22, mars 1932, supplément p.111, cité par Baslé M. dans « Mise en perspective de l’institutionnalisme de quelques allemands et américains », Economie Appliquée, tome XLVI, 1993, n°4. p. 160

91 Commons John R., (1931) “Institutional Economics” The American Economic Review, Vol. 21, n°4, December 1931. p.648.

92 Chavance Bernard. « Organisations, institutions, système : types et niveaux de règles», Revue d'économie industrielle. Vol. 97, 2001, pp. 86 - 90.

Tout en prolongeant l’étude des institutions en économie, la nouvelle analyse se sépare en deux branches selon la compréhension de la nature des institutions.

D’une part, avec la reprise de l’idée de Coase (1937) sur l’existence des coûts de transaction, Williamson93 analyse l’entreprise en tant qu’institution. Il présente cette dernière comme des arrangements intentionnels entre les agents, adoptés afin de réduire les coûts des transactions dans le processus d’échange.

En recherchant une efficience plus importante dans l’organisation hiérarchique par rapport au marché, Williamson suppose l’existence des institutions optimales dans toutes les circonstances. La structure hiérarchique est estimée plus efficace que les contrats pour empêcher « les hommes de faire preuve d'opportunisme, d'essayer de tirer la couverture à eux. Avec l'entreprise, au moins, on réduit le risque que les hommes fassent autre chose que ce pour quoi ils sont payés »94.

D’autre part, North distingue clairement les institutions et les organisations. Les premières, étant la structure incitative pour les deuxièmes, déterminent les performances économiques.

Pas exemple, en interprétant l’histoire de la croissance économique aux Etats-Unis au 19ème siècle, North met l’accent sur le rôle de la structure institutionnelle qui a « stimulé les motivations des organisations de s’engager dans les activités productives »95. Alors que dans la plupart des pays du Tiers Monde, la structure institutionnelle crée les opportunités de bénéfice des activités de redistribution et non des activités de production. Ainsi, ellefavorise la création de monopoles plutôt que les conditions de compétition, elle incite rarement les investissements en éducation qui augmentent la productivité.

Cette approche met donc les organisations du coté des acteurs. Les institutions influencent non seulement les comportements des individus séparés mais elles orientent également le mode d’agir des groupes qui sont présentés par les organisations.

Notre analyse prendra la deuxième direction, celle qui sépare les institutions et les organisations. Ainsi, la structure institutionnelle sera analysée dans la perspective de D.

93

Williamson Olivier, Markets and Hierarchies : Analysis and Antitrust Implications, Free Press, 1975 ; The Economic Institutions of Capitalism, Free Press, 1985

94 Williamson Olivier, The Economic Institutions of Capitalism, Free Press, 1985, trad. française : Les institutions de l’économie, Inter-éditions, 1994 p. 404

95 North Douglass, Institutions, Institutional Change and Economic Performance, Cambridge University Press, 1990, p. 3

North qui la caractérise comme l’ensemble de règles formelles, telles que les lois et les constitutions ; de contraintes informelles comme les codes de conduites, les coutumes, les normes de comportement, les conventions; et leur mise en application (North 1990).

En tant que régulateurs du comportement économique les institutions représentent donc « la structure incitative des économies »96. « Elles implantent et mettent en oeuvre, par le consentement et/ou la contrainte, des modes d'organisation des transactions »97.

En résultat, les institutions sont responsables du développement mais aussi du déclin économique.

1.3.2. Le facteur humain dans l’économie institutionnelle : les institutions

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