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Tandis que les présidences de Georges Pompidou et de Valery Giscard d’Estaing voient les chefs de l’État marquer de leur empreinte les politiques culturelles (création du centre national d’art et de culture de Beaubourg, du musée d’Orsay, de l’Institut du monde arabe, de la Cité des Sciences de la Villette) au point de faire de celles-ci un véritable domaine réservé, le ministère Duhamel (1971-1973), sur la base d’une concertation ayant abouti au rapport «La culture au pluriel32», adopte une approche moins descendante favorisant une plus grande diversité, tant en ce qui concerne le champ de la culture (qui n’est plus réduite aux seules grandes œuvres d’art) que les voies d’accès aux activités culturelles  ; c’est le concept de développement culturel, philosophie qui conduit à une rupture avec la doctrine d’ « action culturelle » mise en place sous l’ère Malraux autour de deux évolutions :

– l’acception anthropologique de la culture remplace l’acception universelle de la «haute culture» : il s’agit d’une politique de réhabilitation visant notamment à développer l’expression autonome des formes de culture populaire. Pour Augustin Girard, chef du service des études et recherches du ministère des Affaires culturelles dans les années 1970, «le développement culturel n’est donc plus désormais pour les sociétés un luxe dont ils pourraient se passer, l’ornement de l’abondance : il est lié aux conditions mêmes du développement général». Selon cette conception, la culture constitue une dimension du développement local, et l’accès à celle-ci devient la condition de la participation des individus à ce développement ;

– au choc esthétique prôné par Malraux se substitue la reconnaissance d’une pluralité des voies pour atteindre la démocratisation. Si l’État conserve un rôle éminent en facilitant la diffusion culturelle et régulant l’économie de marché, un rôle nouveau est conféré aux acteur.rice.s locaux.ales dans une démarche de développement culturel. Les collectivités locales commencent à se doter de véritables politiques culturelles et la logique de contractualisation s’affirme et se concrétise à partir de 1975 avec la signature des «chartes culturelles». Dans le prolongement de cette importance croissante accordée aux territoires, sont généralisées en 1977 les directions régionales des Affaires culturelles (DRAC), chargées de la mise en œuvre au niveau régional, de la politique décidée par le ministère de la culture et de la communication.

En dépit de ces évolutions, la décennie 1970-1980 apparaît marquée par la relative faiblesse de l’État culturel et l’impact des politiques publiques conduites pendant cette période a été questionné, au regard notamment de la place croissante des industries culturelles dans le processus de démocratisation.

En revanche, le ministère Lang (1981-1986 puis 1988-1993) peut être considéré comme une période d’embellie pour la politique culturelle. Elle se caractérise par une volonté d’approfondir l’effort de démocratisation de l’ère Malraux – appliqué à un champ de la culture élargi et à de nouveaux publics -, par une modernisation de l’éducation artistique à l’école et par un approfondissement de la décentralisation, mais aussi par une politique 32 Michel de Certeau, La culture au pluriel, Union générale d’éditions, Paris 1974.

Rapport

de grands travaux (arche de la Défense, opéra Bastille, Grand Louvre, etc.) et de création de grandes institutions de formation dans un contexte de forte augmentation budgétaire de la culture (doublement dès l’exercice 1982). Avec le décret du 10 mai 1982 modifiant pour la première fois celui de 1959, les missions du ministère de la Culture évoluent. La démocratisation culturelle est désormais pensée comme le libre épanouissement individuel par la création dans le respect de la diversité des cultures. L’émergence de la démocratie culturelle permet la reconnaissance, non sans controverses, d’esthétiques considérées jusqu’ici comme mineures par la tradition académique – jazz, rock, bande dessinée, mode, gastronomie, voire rap et tag. Cependant, toutes les formes d’expression culturelle ne profitent pas de cette embellie, comme les musiques traditionnelles et les batteries-fanfares, entre autres - .

En termes d’organisation administrative, le rôle des collectivités locales se développe.

Même si les transferts de compétence prévus par la loi du 7 janvier 1983 sont réduits au minimum dans le domaine culturel, ce texte permet la création de zones de protection du patrimoine architectural et urbain qui instaurent, en matière d’urbanisme, une contractualisation entre le maire et l’architecte des bâtiments de France. La déconcentration du ministère de la Culture s’affirme dans les années 1990 avec la loi du 6 février 1992 sur l’administration territoriale de la République et le décret du 1er juillet 1992 portant charte de la déconcentration, textes qui feront des DRAC des services déconcentrés du ministère de la Culture chargés d’une mission de mise en œuvre des politiques culturelles et de conseil auprès des partenaires culturel.le.s et territoriaux.ales. Les financements croisés se généralisent. La période Lang sera ainsi, malgré la prééminence de Paris, celle d’une réelle homogénéisation culturelle sur le territoire national. Enfin, elle se caractérise par le renforcement des liens et des synergies entre culture et économie à travers le soutien aux industries culturelles et le mécénat, encouragé par la loi du 23 juillet 1987. La réglementation sur le prix unique du livre visant à préserver la rentabilité des librairies indépendantes, s’inscrira dans cette même approche.

Les années suivantes seront dominées par la volonté de refonder, à partir de 199533, la politique du ministère de la Culture afin de réaffirmer la légitimité du modèle français de service public de l’action culturelle dans un contexte où les industries culturelles, souvent transnationales, le rôle croissant de l’Union européenne (UE), les évolutions technologiques et les logiques économiques liées à la mondialisation, contraignent cette politique. L’effort sera porté sous la présidence de Jacques Chirac, sur deux axes principaux : lutte contre la fracture sociale, à l’intérieur et défense de la diversité culturelle, à l’international.

Ainsi, pour le ministre de la Culture Philippe Douste-Blazy, la contribution de la politique culturelle à la réduction de la fracture sociale implique que «la politique culturelle doit participer pleinement à la recréation du pacte républicain, ouvrir à chacun la voie de l’épanouissement individuel et de la solidarité34». La politique culturelle et éducative est 33 Jacques Rigaud, L’exception culturelle, culture et pouvoirs sous la Ve République, Paris, Grasset, 1995.

34 Philippe Douste-Blazy, ministre de la Culture, intervention devant le Sénat de la République française, Paris, le 27 novembre 1995.

AVISDÉCLARATIONS/SCRUTINRAPPORTANNEXES conçue comme devant donner à chacun.e la possibilité d’accéder à la dimension la plus

large possible de la citoyenneté.

Dans cet esprit, la «charte des missions de service public du spectacle vivant» soulignera la nécessité de lier les concours publics aux institutions culturelles à des engagements véritables de service public. Une charte sera signée en 1999 avec les principales fédérations d’éducation populaire. Un effort de rapprochement avec le ministère de l’Éducation nationale sera opéré dans le but de conforter l’éducation artistique et culturelle (EAC), présentée comme une cause nationale et de développer les pratiques artistiques en amateur. La déconcentration et la décentralisation seront approfondies à travers de nouvelles formes d’organisation (groupements d’intérêt public, sociétés d’économie mixte). L’émergence de nombreux lieux et projets artistiques revendiquant leur inscription sur le territoire en dehors des champs institutionnel et marchand, fera l’objet d’une reconnaissance accrue par le ministère de la Culture qui s’attachera à sensibiliser les acteur.rice.s public.que.s à ce phénomène et à mettre en place des mesures d’accompagnement. La politique de soutien à la création fera une place accrue à la recherche de diversité culturelle, dans un double objectif de respect de la singularité culturelle des individus et de contribution au pluralisme des idées et des expressions artistiques. Dans le même temps, et de façon inédite dans son ampleur, la valorisation du patrimoine culturel sera de plus en plus articulée avec la création et la production de manifestations culturelles relevant du spectacle vivant.

S’agissant de l’action à l’international, l’objectif de défense de la diversité culturelle et de lutte contre l’uniformisation des cultures a justifié le développement, de la part des pays européens et de la plupart des membres de l’organisation mondiale du Commerce (OMC), d’un concept juridique nouveau, celui d’exception culturelle. Ce concept a été entendu par la ministre de la Culture Catherine Trautmann (1997-2000) comme « le refus de prendre des engagements de libéralisation dans le secteur audiovisuel, [estimant qu’] il était essentiel de préserver la capacité d’intervention des États contre d’éventuelles remises en cause par l’OMC. 35» Cette notion d’exception culturelle, justifiant l’exigence de dérogations et d’exemptions aux principes régissant la libéralisation des échanges, est née lors des négociations de l’Uruguay Round en 1993 et prendra une importance croissante avec l’accélération de la mondialisation.

En 1999, la France parviendra à infléchir la position de l’UE sur cette question et à inclure la préservation de la diversité culturelle dans le mandat donné à la Commission européenne en vue des négociations de l’OMC à Seattle. En 2000, la ministre de la Culture Catherine Tasca le placera au premier rang des principes guidant l’action gouvernementale en matière culturelle, devant l’égalité d’accès à la culture et le renouvellement de la décentralisation culturelle. Cette défense de la diversité culturelle sera portée par la France dans les instances internationales où elle contribuera à l’adoption en 2005 sous l’égide de l’UNESCO, d’une

«convention-cadre sur la valeur du patrimoine culturel pour la société», dite convention de Faro. La prise en compte des spécificités du champ culturel dans les politiques de régulation 35 Intervention de Catherine Trautman, ministre de la Culture, à l’Assemblée nationale au cours du colloque sur

l’OMC, le 9 novembre 1999.

Rapport

de la mondialisation se traduira également par un effort de réglementation des mécanismes de marché (aide à l’industrie du cinéma par exemple).

Les années 2007-2016 s’inscrivent dans le prolongement de la décennie précédente, s’efforçant de conforter la logique de modernisation de l’action culturelle dans un contexte budgétaire de plus en plus tendu. Avec le renforcement de la décentralisation et de la déconcentration, le ministère de la Culture se voit davantage concurrencé par les grands établissements culturels qui gagnent en autonomie et les collectivités territoriales, même s’il conserve des missions essentielles en matière de soutien à la création artistique, de régulation des marchés et d’équité territoriale pour l’accès à la culture. À cet égard, la prise en compte des évolutions engendrées à tous les niveaux par la généralisation de l’outil numérique, se situe désormais au cœur des politiques culturelles.

B. Des politiques publiques régulièrement questionnées au regard de leurs ambitions

L’impact d’une soixantaine d’années de politique culturelle quant à l’objectif de rendre l’art accessible à tou.te.s demeure difficile à mesurer étant donné le peu de chiffres réguliers et de statistiques actualisées au fil du temps. Cela laisse à penser que les politiques culturelles pourraient être, au moins en partie, conduites et pilotées «à l’aveugle». Cette évaluation apparaît également compliquée par le fait que l’objectif a lui-même évolué au cours du temps : centré au moins jusque dans les années 1970, sur l’ambition de façonner une culture nationale – que l’on peut entendre comme la construction d’une identité collective -, il a évolué dans la période récente vers un objectif de renforcement de la vitalité démocratique et de la cohésion sociale. Dans le même temps, l’évolution des publics et du contexte économique et technique dans lequel s’inscrivait la vie culturelle, a placé la politique culturelle devant un défi permanent d’adaptation et de modernisation.

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