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Evolution des publics et de la perception de l’idée de culture

L’effectif des personnes ayant fréquenté de manière régulière ou habituelle un lieu culturel quel qu’il soit – spectacle vivant, bibliothèque, musée, exposition, etc. – semble être en légère baisse depuis deux décennies, suggérant que les politiques de démocratisation culturelle n’auraient pas produit l’effet escompté de massification.

Graphique 1 : Evolution des visites de lieux culturels

AVISDÉCLARATIONS/SCRUTINRAPPORTANNEXES Une analyse plus fine (tableau ci-après) suggère que cette tendance recouvrirait d’une

part une diminution du nombre de personnes possédant une pratique culturelle habituelle, d’autre part une légère augmentation du nombre de personnes ayant des pratiques ponctuelles voire exceptionnelles. Des réserves s’imposent néanmoins, compte tenu du fait que seul le public des équipements culturels est ici comptabilisé, de manière parcellaire et non détaillée (ni par sexe, ni par âge, ni par catégorie socio-professionnelle).

Graphique 2 : Indicateur global de fréquentation des équipements culturels 1997-2008

S’agissant de l’influence de l’âge, les chiffres déjà un peu anciens semblent indiquer un vieillissement du public du fait de l’accroissement de la part des personnes âgées dans la société et de la baisse de fréquentation des jeunes générations, même si ce constat doit être analysé de façon plus détaillée, en fonction des secteurs ; ce phénomène s’observait encore récemment, particulièrement dans la fréquentation des concerts de musique classique, à l’opéra ou en ce qui concerne la lecture. Cependant, depuis plusieurs années, la tendance semble se rééquilibrer : les institutions ont développé des politiques rénovées en direction des publics plus jeunes et plus divers, qui visent à inverser cette tendance même s’il est encore difficile d’en mesurer les résultats de façon globale. La moindre consommation culturelle constatée chez les jeunes peut s’expliquer par l’exercice de pratiques (usage du numérique) très différentes des représentations traditionnelles de la consommation culturelle. Cependant, les efforts importants déployés ces dernières années laissent penser que la seule partie vraiment creuse de la pyramide des âges des publics est celle des 30-45 ans.

Parmi les autres évolutions démographiques et sociales ayant une influence sur l’activité culturelle, l’impact de l’immigration doit être souligné. La France a connu dès la fin de la Seconde guerre mondiale, de façon d’abord progressive puis accélérée, un métissage

Rapport

culturel nourri notamment des cultures de populations originaires des pays décolonisés.

Facteur majeur d’ouverture et d’enrichissement culturel mutuel, ce phénomène se caractérise également par un déplacement des repères, valeurs, habitus, croyances qui peuvent parfois éprouver des difficultés à s’accorder dans un contexte marqué par l’exclusion économique ou les replis identitaires.

A l’inverse, plusieurs observateur.trice.s soulignent combien la crise des banlieues initiée au début des années 1980 et amplifiée depuis, a été porteuse d’inspiration pour l’émergence des cultures dites urbaines.

Sur le plan géographique, plusieurs processus d’importance expliquent également un accès inégal à la culture :

– d’une part, la métropolisation et la fracture territoriale qu’elle engendre, soulignée par le sociologue Laurent Davezies. La crise des banlieues, persistante depuis les années 1980, s’inscrit dans ce contexte  ; si la politique de la ville a généré des résultats contrastés dans l’ensemble, on peut souligner le rôle de soutien à la création, de promotion (en termes de visibilité accrue) et de facilitation à la diffusion que cette politique a joué dans l’émergence et le développement des cultures urbaines ;

– d’autre part, l’étalement urbain (rurbanité) devenu un piège pour la partie la moins qualifiée de la classe moyenne. Le géographe Christophe Guilluy évoque ainsi une «France périphérique» à laquelle il rattache 60  % de la population française. Ce risque de fragmentation territoriale, quoique réel, doit toutefois, en ce qui concerne son impact sur la vie culturelle, être apprécié en tenant compte de la mobilité croissante des personnes. Les flux jouent en effet un rôle croissant et essentiel dans la détermination des pratiques culturelles : en témoigne le succès grandissant des festivals d’été, qui drainent des publics venus de l’ensemble du territoire.

Au-delà des facteurs démographiques et sociétaux, l’évolution des publics reflète aussi les mutations qui affectent la perception de la culture, l’idée que s’en font les habitant.es. La définition de la culture a en effet évolué au fil du temps et ceci de manière différente pour chacun.e. Comme le souligne Edgar Morin44 la culture est une «fausse évidence, mot qui semble un mot stable, ferme, alors que c›est le mot piège, creux, somnifère, miné, double, traître». La perception même de l’idée de culture est très variable d’un individu à l’autre ; l’on pourrait dire en poussant le raisonnement que chacun.e possède sa propre définition de la culture. En effet, selon que l’on sera un tenant de la culture au sens classique, académique, relativement restrictif (30 % des Français.ses45), un tenant du libéralisme culturel pour qui tout est culture (29 % des Français.ses), un défenseur de l’éclectisme critique pour qui tout peut être culture mais selon certains critères (32  % des Français.ses) ou bien encore un 44 Edgar Morin, L’esprit du temps – Nécrose, Paris, B. Grasset, 1975, p. 97.

45 Jean-Michel Guy, Les représentations de la culture dans la population française, ministère de la Culture et de la communication, étude du Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS), collection Culture études, 2016-1.

AVISDÉCLARATIONS/SCRUTINRAPPORTANNEXES adepte de la culture contestataire pour qui la vraie culture est ailleurs (9 % des Français.ses),

le sens que l’on lui attribue variera.

De même, 71 % des Français.ses associent la culture aux disciplines artistiques et aux établissements culturels, 46 % à la connaissance et au savoir, tandis que 37 % la relient d’abord à un ensemble de valeurs et 19 % en font principalement un concept anthropologique, liée à l’émergence des sociétés humaines.

L’impact de ces acceptions divergentes sur les pratiques culturelles, quoique difficile à mesurer, ne saurait être sous-estimé. Il est probable par exemple que les personnes assimilant la culture à un lieu ou un établissement soient plus sensibles que d’autres à l’«effet du seuil» si souvent retrouvé à l’origine des phénomènes d’auto-exclusion. Cet «effet du seuil» s’explique en effet aisément tant ces lieux sont pour la plupart intimidants et solennels, emplis de codes inconnus. On peut déplorer que le lieu de culture et l’artiste aient été sacralisés au détriment des œuvres elles-mêmes. Le lieu culturel, en tant que bâtiment physique accueillant une manifestation culturelle quelle qu’elle soit, n’incarne pas à lui seul LA culture. En tant que lieu public, ce devrait être un endroit où chacun.e se sent «chez soi». Il est à noter que cet «effet du seuil» est aujourd’hui beaucoup moins fort pour les bibliothèques, bien que la méthode de comptage des publics ne le laisse que peu percevoir, seules les personnes inscrites étant comptabilisées.

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