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Au-delà de la clarification des rôles et responsabilités des parties prenantes, la capacité à mettre en place une gouvernance inclusive de la politique culturelle à tous les échelons, de nature à coordonner l’ensemble des acteur.rice.s sur le territoire et organiser un débat public ouvert constitue un enjeu central de la démocratie culturelle, la finalité revenant à définir ensemble l’intérêt général dans ce champ et à favoriser une appropriation citoyenne de la culture. L’Agenda 21 de la culture a précisément pour objet de favoriser, à l’échelle des villes du monde, un tel débat inclusif. Force est de constater toutefois que les initiatives qui en sont issues parviennent peu à dépasser le stade des débats publics, lesquels restent

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rares et souvent peu efficients. La mise en place de telles concertations, garantissant que les décisions en matière culturelle soient effectivement partagées dès l’amont et jusqu’au stade de l’évaluation ex post, se heurte à de réelles difficultés, y compris dans les villes engagées dans l’Agenda 21.

Le premier défi réside dans l’application progressive des dispositions juridiques censées garantir, à l’échelon national, la participation des parties prenantes (au premier rang desquels les artistes, citoyen.ne.s, usager.ère.s et associations), ainsi que l’organisation de leur coopération dans la définition et la mise en œuvre de la politique culturelle. Instituées par la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles en 2014, les Conférences territoriales de l’action publique (CTAP) rassemblent l’ensemble des acteur.rice.s public.que.s et administratif.ve.s de la Région dans le but de débattre et de rendre des avis sur tous les sujets relatifs à l’exercice de leurs compétences et à la conduite des politiques publiques correspondantes. Les CTAP dédiées spécifiquement aux questions culturelles ont quant à elles été instituées par la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP). Depuis la promulgation de cette loi le 7 juillet 2016, leur mise en place s’opère à des rythmes divers suivant les régions, et il est aujourd’hui trop tôt pour tirer des conclusions sur son efficacité. Si l’obligation d’y associer l’ensemble des acteur.rice.s n’a pas été retenue dans cette loi, on observe cependant la prise d’initiatives inclusives et progressives dans plusieurs régions (ex. Nouvelle Aquitaine, Centre, Hauts-de-France).

Plus fondamentalement, la capacité des acteur.rice.s à prendre en compte et à soutenir les initiatives émanant du territoire demeure sujette à caution : alors que de nombreuses initiatives, parmi les plus innovantes, émergeraient de la pratique individuelle et collective, la politique culturelle semble restée centrée sur une logique d’offre. Ainsi, le projet PAIDEIA propose une approche qui se veut participative et ouverte à tou.te.s les acteur.rice.s (y compris le public), tout en réservant de facto le type d’action et le choix des artistes produit.e.s au seul directeur régional des affaires culturelles ou à un.e expert.e désigné.e par celui-ci100 : la participation des habitant.e.s bénéficiaires du projet se limite au processus de création.

Elle ne se mêle jamais à sa co-construction, et donc encore moins à sa gouvernance, laissée aux seul.e.s expert.e.s. Enfin, les projets développés dont l’utilité sociale est parfaitement incontestable, semblent servir de fait une finalité de remédiation sociale par la culture, et peuvent en conséquence difficilement être qualifiés comme relevant de politiques culturelles.

100 Jean-Damien Collin, audition par la section de l’éducation, de la culture et de la communication du CESE, le 25 avril 2017.

AVISDÉCLARATIONS/SCRUTINRAPPORTANNEXES Le projet PAIDEIA est un projet de recherche, d’échange et d’expérimentation

en Europe qui vise à créer des outils d’observation, d’évaluation et de formation professionnelle aux droits culturels afin de développer les compétences nécessaires à la prise en compte transversale des ressources et facteurs culturels dans les politiques publiques. Ce projet a été précédé en 2012-2013 d’une phase pilote intitulée « Démarche interdépartementale d’observation et évaluation des politiques publiques au regard des droits culturels  » élaborée à l’initiative de Réseau Culture 21 et de l’Institut interdisciplinaire d’éthique et des droits de l’Homme de l’Université de Fribourg (IIEDH) avec et à destination de quatre départements (Ardèche, Gironde, Nord et Territoire de Belfort) en partenariat avec l’Association des départements de France, visant à élaborer un nouveau cadre de référence adossé aux droits culturels pour la refonte des politiques publiques. Le partenariat proposé devait permettre aux groupes de travail territoriaux de :

– mieux prendre conscience des enjeux culturels du développement des capacités des personnes, des organisations, et des territoires ;

– évaluer les projets et activités sur les territoires selon une approche basée sur les droits culturels et les capacités de connectivité des facteurs culturels ;

– proposer des solutions ou des améliorations qui contribueront à la prise en compte transversale de la culture dans le développement de nos politiques publiques territoriales.

Dans la recherche des conditions d’une gouvernance plus inclusive, plusieurs paramètres pourraient être pris en compte. L’expérimentation locale au plus près du terrain, le micro-projet fondé sur l’engagement individuel et collectif, souvent plus performant que la politique définie au niveau national, devraient bénéficier de davantage de reconnaissance et d’appui, sur les plans juridique et financier.

Dans la même perspective, la coordination de l’action culturelle entre l’État et les collectivités locales peine à s’installer, notamment du fait d’un défaut de conception opérationnelle en matière de gouvernance multi-acteurs. Les collectivités de leur côté, s’impliquent progressivement et à des rythmes divers dans l’organisation de débats publics culturels. En témoignent la grande concertation conçue et organisée pour alimenter la politique culturelle des Hauts-de-France ainsi que la conférence territoriale culture mise en place par la Nouvelle-Aquitaine. Ces deux processus illustrent chacun à leur manière l’usage d’approches participatives expérimentales dans le but de co-construire une politique culturelle au niveau régional.

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Hauts-de-France et Nouvelle-Aquitaine : deux exemples de concertations des politiques culturelles territoriales

La région Hauts-de-France a mené une vaste concertation de mai à septembre 2016, qui a réuni plus de 1000 personnes au cours de trois séminaires et 11 ateliers territoriaux, et abouti à un Livre Blanc de 42 propositions. L’originalité de la démarche a été de structurer cette concertation suivant trois niveaux de co-construction : par filières (danse, théâtre, photo, audiovisuel, arts du cirque, etc.) ; par territoires (neuf au total) ; et par forum (un à deux par an, ouvert à tous les acteurs). La nouvelle politique régionale, présentée par le président de Région Xavier Bertrand en janvier 2017, s’est inspirée des conclusions de cette concertation et des attentes des acteurs culturels et des publics. Cette politique est déclinée en quatre axes : soutien à la création, éducation et formation, interaction avec les habitant.es, attractivité et rayonnement de la région.

La région Nouvelle Aquitaine, en étroite collaboration avec l’État, a fait le choix de mettre en place une Conférence Territoriale de la Culture. Cette instance permanente de dialogue et de co-construction s’est fixée pour objectifs d’organiser la concertation entre l’État à travers ses services déconcentrés (DRAC), la région, les collectivités territoriales, les acteurs culturels désignés par leurs pairs (Réseaux et fédérations), des représentants de la société civile et d’accompagner la Région dans l’élaboration de sa politique culturelle et linguistique. Cette conférence a été conçue comme le lieu d’un exercice partagé de la responsabilité culturelle et espère que la production de ses travaux pourra enrichir le processus de développement économique, social, de maillage du territoire, et ainsi renforcer la cohésion sociale dans la région.

La co-construction par la puissance publique, les publics et les professionnel.le.s, d’éléments de culture susceptibles de fonder une mémoire commune, constitue une illustration de la façon dont peuvent émerger des «  communs  » dans le champ culturel, à l’instar des Anneaux de la mémoire en France ou des «  points de mémoire  », lieux géographiques du territoire brésilien co-construits par l’État brésilien et les acteur.rice.s de terrain.

Le débat public doit aussi porter sur l’évaluation qui constitue un autre moment clef pour la mise en place d’une gouvernance inclusive des politiques et actions culturelles. Celle-ci s’impose à la culture comme à tous les champs des politiques publiques en application de la LOLF. Cependant ces méthodes référentielles et pratiques ne sont plus adaptées aux attentes de la société. Comme l’a souligné le CESE dans un avis sur le sujet102, l’évaluation reste un instrument méconnu voire sous-utilisé dans notre pays  ; ce constat s’applique particulièrement au champ culturel du fait de la difficulté de lui attribuer des indicateurs d’efficacité, d’efficience ou de performance. En outre, la confusion entre l’évaluation des

101 https://www.nouvelle-aquitaine.fr/toutes-actualites/conference-territoriale-culture-en-nouvelle-aquitaine.html.

102 Nasser Mansouri-Guilani, Promouvoir une culture de l’évaluation des politiques publiques, avis et rapport du CESE, n° 2015-22, Les éditions des Journaux Officiels, septembre 2015.

AVISDÉCLARATIONS/SCRUTINRAPPORTANNEXES politiques publiques d’une part, et le contrôle, l’audit et la réforme de l’État d’autre part,

provoque une réticence auprès des responsables politiques, des services et des agents.

Les questions clefs soulevées par l’avis du CESE (sens à donner à l’évaluation, temporalité et opportunité de sa réalisation, pertinence de ses indicateurs, objectivité et impartialité du processus, inclusion d’acteur.rice.s dits profanes dans la participation à l’évaluation, traduction de ses conclusions dans la décision politique, etc.) revêtent une sensibilité et une complexité particulières lorsqu’elles concernent la culture.

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