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La démocratie culturelle : un concept issu de la critique de la démocratisation et des évolutions sociétales des années 1970

Depuis la fondation de la politique culturelle par Malraux en 1959, les textes et les enjeux de la démocratisation culturelle ont évolué, à la lumière de l’expérience de soixante années de politique culturelle, vers « un élargissement de la notion qui a dépassé l’ambition de

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favoriser l’accès de tou.te.s à la culture pour inclure la reconnaissance des usages et des pratiques des publics51 ».

Quelques textes français et internationaux, apparaissent désormais comme fondateurs de la démocratie culturelle. Ces principes sont affirmés en 1972 dans les conclusions de la conférence intergouvernementale de l’UNESCO pour les politiques culturelles en Europe (Eurocult), énonçant que « la culture est tout à la fois acquisition de connaissance, exigence d’un mode de vie, besoin de communication », et, «pas seulement un domaine qu’il convient de démocratiser, mais […] une démocratie à mettre en marche ». Ces positions seront maintenues lors de la conférence mondiale de l’UNESCO sur les politiques culturelles (Mexico 1982) et dans la déclaration finale du projet « culture et région » du Conseil de l’Europe en 1987.

Au niveau national, l’expression « démocratie culturelle » apparaît pour la première fois dans la déclaration finale du colloque «Prospective du développement culturel» à Arc-et-Senans en 1972. Elle pose comme objectif fondamental «la mise en œuvre de l’ensemble des moyens capables de développer les possibilités d’expression et d’assurer la liberté de celle-ci» ; elle implique la reconnaissance de la diversité culturelle et celle du droit pour l’homme

«d’être auteur de modes de vie et de pratiques sociales qui aient signification».

Ainsi définie, la démocratie culturelle pourrait être caractérisée par trois dimensions complémentaires :

– reconnaissance à égale dignité de toutes les cultures  : la démocratie culturelle dénonce l’idée de supériorité d’une forme de culture sur les autres et étend le concept de culture aux cadres et styles de vie et à leurs diverses formes d’expression, y compris les plus marginales ou mineures. Certain.e.s acteur.rice.s de terrain ont pu aller à ce propos jusqu’à revendiquer l’ambition de réhabiliter des cultures écartées, délaissées, voire méprisées – telles que par exemple la culture berbère, oubliée après une brève période d’engouement dans la mouvance de la « World music ». Toutefois, il convient de souligner qu’il n’est pas question ici d’une conception de la culture au strict sens anthropologique (selon lequel toutes les manifestations d’une culture, quelles qu’elles soient et mêmes si elles sont contraires aux droits humains fondamentaux, possèdent une égale valeur) mais de la culture entendue comme ce par quoi «des individus, des groupes d’individus ou des communautés expriment leur humanité» (Observation générale n° 21 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU). La démocratie culturelle repose donc sur une définition non pas anthropologique mais éthique de la culture, en ce que le droit culturel d’un groupe d’individus ne peut aller à l’encontre des autres droits humains universels ;

– liberté de participer à la vie culturelle : au-delà de la démocratisation telle que conçue par Malraux, qui pourrait conduire à favoriser une relative concentration des goûts du public autour de quelques œuvres à la valeur consacrée, voire institutionnalisée, la démocratie culturelle «encourage l’affirmation des préférences et la diversité des 51 Anne-Marie Le Guével, Yvan Navarro, Laura Truffier, Gayané Rast-Klan, Anne-Christine Micheu, Évaluation de la politique publique de démocratisation culturelle, Rapport au Premier ministre, ministère de la Culture et de la communication, décembre 2016.

AVISDÉCLARATIONS/SCRUTINRAPPORTANNEXES goûts52» selon une approche qui privilégie l’initiative et l’appropriation par les

individus. La démocratie culturelle se manifeste ainsi par une diversification de la programmation culturelle, avec une visibilité donnée aux formes d’expressions minoritaires ou jusqu’ici délaissées (exemples : mise en valeur des cultures urbaines, programmations multidisciplinaires). Elle vise à inclure de nouveaux publics tels que les publics spécifiques ou empêchés (personnes hospitalisées ou sous-main de justice), dans une démarche volontariste, intégratrice, qui se veut porteuse de reconnaissance et d’inclusion sociale. L’ouverture aux habitant.es apparaît dès lors comme une exigence inhérente à la politique culturelle qui vient compléter celle de la qualité professionnelle et modifie les rapports entre l’institution culturelle et son environnement : le renforcement du lien social, la fabrication de collectif, de commun, font partie des objectifs centraux de la démocratie culturelle ;

– liberté de participer à la co-construction des politiques culturelles  : rendre le.la citoyen.ne acteur.rice de la culture et de la vie de la cité sur les questions culturelles, faire culture avec tou.te.s pour que chacun.e participe à l’émergence d’un commun partagé.

L’intégration de la culture comme partie intégrante de la vie quotidienne permet l’épanouissement et la construction de la personne à travers la pratique culturelle. Elle peut conduire, via l’action culturelle, à encourager le potentiel créateur de chacun.e « à partir de ses caractéristiques propres, ses talents, ses aptitudes, ses aspirations et les ressources dont il dispose53 ». La démocratie culturelle assume et élargit l’objectif d’épanouissement personnel et d’émancipation de l’individu par la culture, non seulement en appelant un renforcement de la politique d’éducation et de formation culturelle et artistique tout au long de la vie, mais aussi en revendiquant la dimension ludique de la culture : plusieurs études et évaluations témoignent de l’impact positif de la sortie et de la pratique culturelle sur les personnes54. Dans le même esprit, elle vise aussi une diversification des lieux de culture, au-delà des équipements et réseaux professionnels traditionnels : il s’agit non seulement d’étendre les lieux de culture aux espaces et services publics de proximité, par le truchement des réseaux existants (écoles, bibliothèques, centres sociaux, conservatoires, maisons de quartier, foyers ruraux, etc.), mais aussi d’investir davantage encore l’espace public par la pratique culturelle.

Ainsi caractérisée, la démocratie culturelle apparaît porteuse d’un droit individuel d’accès à la culture et de pratique culturelle. Alors même qu’elle s’affirmait en réponse aux limites des politiques de démocratisation, elle a été impactée au début des années 2000 par l’émergence d’un concept juridique nouveau : celui des droits culturels.

52 Alice Chatzimanassis, La démocratie culturelle : un autre modèle de politique culturelle, Comité d’histoire du ministère de la Culture et de la communication, septembre 2014.

53 Michel Bellefleur, Loisir et démocratie culturelle, in Guy Bellavance.

54 Anne-Marie Le Guével, Yvan Navarro, Laura Truffier, Gayané Rast-Klan, Anne-Christine Micheu, Évaluation de la politique publique de démocratisation culturelle, Rapport au Premier ministre, ministère de la Culture et de la communication, décembre 2016.

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