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5. La cinquième Assemblée mondiale du Conseil Œcuménique

5.4. La communauté conciliaire selon Nairobi

5.4.3. Les dimensions et les niveaux de la conciliarité

Dans son essence, l’Ecclesia catholica et universalis est un concilium – assemblée des fidèles convoquées par le Père et réunis par le Christ dans l’Esprit Saint. En tant qu’assemblée, l’Eglise est, de par sa nature, une communauté conciliaire dans laquelle les différences – tant entre les personnes qu’entre les communautés – ne sont pas supprimées, mais

réconciliées par la charité. Un aspect important de la notion de communauté conciliaire consiste dans le fait que l’accent est mis sur

l’idée de réconciliation. Elle perce déjà à travers la signification étymologique des termes concile et conciliarité, qui dirigent naturellement l’esprit vers l’idée de conciliation et celle de ré–

conciliation. En développant à Nairobi le modèle de communauté conciliaire, le Conseil voulait corriger l’œcuménisme de type fédératif

qui le dominait depuis sa création. Désormais, l’unité des Eglises ne devrait plus être réfléchie dans des termes d’union ou de confédération, mais dans des termes de conciliation et ré–conciliation. La différence n’est pas uniquement dans les mots, mais elle touche au fond du problème. C’était surtout un pas important vers les Eglises orthodoxes qui, depuis leur entrée dans le Conseil, s’opposaient systématiquement à tout œcuménisme d’union ou de confédération. Elles étaient pourtant prêtes à chercher la plénitude de l’unité ecclésiale par la réconciliation entre les communautés chrétiennes encore séparées.

La réconciliation doit s’exprimer par deux attitudes complémentaires : d’une part, elle pousse à reconnaître et accueillir l’autre dans sa différence, d’autre part, elle nécessite la reconnaissance de ses propres défaillances. Appelées à se réconcilier à l’intérieur d’une communauté conciliaire, les Eglises sont ainsi exhortées à une attitude de reconnaissance et d’accueil les unes envers les autres et à l’aveu humble de leur incomplétude causée par les divisions. La même exigence s’adresse aux fidèles dont la vie chrétienne doit être inspirée par un

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esprit de conciliarité. Bien que cet esprit conciliaire doive les animer dans les contacts avec des chrétiens des autres Eglises, il doit pourtant s’exprimer davantage à l’intérieur de sa propre communauté ecclésiale. A ce niveau, il s’exprime non seulement par l’ouverture mutuelle et la disposition intérieure au pardon, mais également par l’esprit de responsabilité pour la vie de la communauté, d’abord au niveau local et ensuite au niveau universel. Ainsi, la conciliarité apparaît non seulement comme une structure de la vie de l’Eglise, mais également comme une disposition intérieure de tout chrétien à se sentir dans l’Eglise et à sentir avec l’Eglise.

Du point de vue doctrinal, un apport essentiel de l’Assemblée de Nairobi dans la discussion sur la conception commune de l’unité visible de l’Eglise, consiste à avoir lié organiquement la dimension locale avec la dimension universelle de l’unité au moyen du concept de conciliarité. Dans ce sens, le concept de communauté conciliaire était à la fois un approfondissement et un élargissement du concept d’unité organique proposé en 1961 à Nouvelle Delhi, et approfondi en 1968 à Upsal. Il ne s’agissait donc pas d’un nouveau paradigme œcuménique mais d’un développement homogène de la vision de l’unité visible, qui a commencé avec le début du mouvement œcuménique et se développait progressivement par l’approfondissement successif de divers aspects et dimensions de cette unité. La notion de conciliarité devait aider les Eglises à une meilleure reconnaissance des valeurs positives dans chaque tradition ecclésiale, et ouvrir devant elles un chemin nouveau pour une intégration réelle de ces valeurs, dans une vision cohérente et pleinement œcuménique de l’Eglise de l’avenir. Ainsi, à Nairobi, on ne parlait pas simplement de la conciliarité mais de la communauté conciliaire. En ajoutant l’adjectif conciliaire au substantif communauté, l’Assemblée a signalé qu’on restait profondément ancré dans une ecclésiologie de communion. En effet, la conception de conciliarité proposée à Nairobi correspondait à la conception de l’Eglise comme

koinônia. La compréhension de la koinônia a même été enrichie lors de

cette Assemblée notamment par une meilleure prise de conscience de son caractère bipolaire. On a mieux compris que l’Eglise était à la fois une et multiple, unie mais faite des différences, unique mais non pas uniforme, universelle mais constituée des communautés locales variées ; en d’autres termes, l’Eglise koinônia apparaissait de plus en plus clairement comme une communion de Communions et une Eglise d’Eglises.

L’Eglise comme communauté conciliaire a besoin des rassemblements représentatifs pour maintenir l’unité à tous les niveaux de sa vie1. La forme la plus accomplie de conciliarité est celle d’un concile universel (œcuménique). Un tel concile apparaît comme une expression existentielle de la koinônia spirituelle, qui existe entre les Eglises locales séparées par l’espace et les contextes socio–culturels variés, mais vivant intensément leur unité in Christo et dont les représentants se réunissent périodiquement pour manifester cette unité universelle de manière visible et décider des questions d’actualité2. Cependant, la conciliarité ne se limite pas à ses réunions ponctuelles et relativement rares qui marquent habituellement de grandes étapes de la vie de l’Eglise. Selon le Rapport, la conciliarité constitue une structure de vie

en Eglise à tous les niveaux, car elle est une réponse au besoin constant

de la communauté chrétienne, qui se fait ressentir aussi bien au niveau universel qu’au niveau local ; besoin d’être une koinônia et de vivre en tant que koinônia3. C’est pourquoi la conciliarité doit s’exercer effectivement à tous les niveaux de vie de l’Eglise avec la participation de tous les fidèles.

Dans cette optique, l’Eglise universelle se présente comme une communauté conciliaire d’Eglises locales elles-mêmes authentiquement conciliaires. Le Rapport de Nairobi a mis un accent fort sur l’Eglise locale comme étant la réalisation fondamentale de la communauté conciliaire. Conformément à la signification étymologique du mot

concilium, c’est dans le fait de se rassembler que la multitude de

croyants devient Ecclesia. La conciliarité n’est pas une notion in

abstracto mais une réalité in concreto4. Ce rassemblement concret est toujours lié à un lieu ; l’Eglise dans sa première réalisation est nécessairement une communauté locale. Dans la vision conciliaire de l’Eglise, l’Ecclesia localis est la cellule de base de l’Ecclesia

universalis. A quelque niveau que se soit, pourtant, l’Eglise doit être

envisagée comme une communauté conciliaire, car la conciliarité est une qualité de sa vie et de son être. Selon le Rapport de Nairobi, à l’intérieur de la communauté conciliaire, chaque Eglise locale reconnaît

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FAITH & ORDER, New Directions in Faith and Order. Bristol 1967, Faith & Order Paper 50, Geneva, WCC, 1968, 50. 2 Nairobi. Rapport, n°5, p. 169. 3 Ibid. 4

que les autres Eglises font partie de la même Eglise du Christ. Autrement dit, il s’agit de reconnaître que chaque communauté de chrétiens vivant en communion avec toutes les autres jouit de la plénitude d’ecclésialité, c’est–à–dire qu’elle est en elle-même catholique, apostolique et sainte.