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La communion : vie partagée – éléments du concept chez les

5. Le concept de communion selon les Pères

5.3. La communion : vie partagée – éléments du concept chez les

Ces quelques exemples patristiques tirés chez des Pères grecs et latins, nous permettent de dégager plusieurs aspects du concept de communion selon leur vision. Suivant l’auteur et le contexte, les mot grec koinônia et latin communio, ainsi que leurs dérivés, possèdent des sens variés mais liés entre eux par une idée centrale qui les traverse comme un fil

conducteur : celle d’une participation communautaire aux mêmes

réalités – spirituelles ou temporelles –, dont l’Eglise est la détentrice et la dispensatrice. Qu’il s’agisse de la confession de la même foi, de l’appartenance à la même communauté locale, de la participation au culte commun – notamment à la synaxe eucharistique –, ou encore du partage des biens matériels et des sentiments fraternels, nous sommes toujours en face d’une réalité vraiment vécue par les fidèles. L’Eglise de l’époque patristique se présente ainsi à nos yeux comme étant à la fois

formant qu’une seule réalité avec lui ; cf. In Joh., 28, 1 : PL 43, 302 ; Enarr. In Ps. 56, 1 : PL 36, 662 ; 61, 4 : PL 36, 730 ; 127, 3 : PL 37, 1679 ; 138, 2 : PL 37, 1784. 1

TILLARD, J.M.R., « Communion », dans Lacoste, J.Y. (éd.), Dictionnaire critique de théologie, PUF, 1998, 237.

une communion spirituelle et une communauté existentielle, où la même foi et la charité fraternelle s’expriment à travers diverses formes de participation à la vie communautaire à tous ses niveaux. Elle englobe le partage des biens matériels, la persévérance dans les sentiments d’amour et de fraternité et va jusqu’à la communion dans les souffrances. Il est évident que pour les Pères, la communion ecclésiale n’est pas une réalité uniquement spirituelle : enracinée dans le baptême et culminant dans l’eucharistie, elle s’étend aux domaines les plus variés et les plus pratiques de la vie des chrétiens, comme l’entraide fraternelle (avec une attention particulière aux membres nécessiteux de l’Eglise), ou encore l’association dans la mission d’évangélisation. Elle n’est pas non plus uniquement religieuse dans le sens d’une limitation à la communion aux croyances et au culte ; elle est aussi humaine, ce qui correspond à la nature même de l’Eglise composée d’un élément divin et d’un élément humain : celui qui partage la vie de Dieu doit aussi partager celle de son frère car celui qui n’aime pas son frère ne peut pas prétendre à aimer Dieu. A l’époque patristique, la communion ecclésiale est comprise comme une réalité concrète : elle ne se limite pas à un sentiment du cœur mais implique des gestes pratiques. Elle n’est donc pas un concept philosophique abstrait mais une réalité existentielle dont le mot d’ordre est partage.

Au cœur même de cette communion se trouve la célébration eucharistique. A cette époque la notion de communion n’est pas un terme technique pour désigner la communion eucharistique qu’elle deviendra au Moyen–Age en Occident. Elle n’appartient ni à la théologie sacramentaire, ni à la liturgie, mais à l’ecclésiologie. Toutefois, dès le début, elle est marquée d’une forte coloration eucharistique car la synaxe eucharistique, qui, chaque dimanche réunit la communauté chrétienne autour de la table du Seigneur, constitue le cœur de la vie de l’Eglise et de sa communion. A la synaxe eucharistique, ceux qui partagent la même foi et vivent dans la charité fraternelle célèbrent ensemble leur communion avec le Seigneur et entre eux. Même si les Pères la considèrent comme un élément – parmi biens d’autres – de la communion, ils lui attribuent le rôle de l’élément

central, qui suppose, récapitule et couronne tous les autres1. Dans l’usage que font les Pères des mots du groupe koinônia-communio, le

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sens eucharistique de la communion est toujours implicite, même dans les textes où il n’est pas directement mentionné. Il est pratiquement impossible de trancher en disant que dans tel ou tel texte, il est question uniquement de la communion eucharistique et dans un autre de la communion ecclésiale : les frontières entre les deux semblent se recouvrir ou, à tout le moins, sont-elles vagues. Il faut alors parler de la communion des saints dans un sens large et incluant les diverses facettes de la vie de l’Eglise, avec la communion eucharistique au centre et au sommet.

Dans ce contexte eucharistique, un rôle important est attribué à l’évêque : dans sa qualité de président de l’assemblée eucharistique, il est le centre visible de la communauté locale et le gardien de son unité. En même temps – demeurant en communion avec tous les évêques à travers le monde et dont chacun remplit la même fonction d’unité dans sa communauté –, il est un signe de la communion universelle des Eglises. Partout où l’eucharistie est offerte, l’évêque et son peuple sont en communion avec tous les chrétiens du monde entier qui célèbrent, eux aussi, le même repas du Seigneur.

Il convient de mentionner encore que l’époque patristique est aussi le temps de lettres de communion (litterae communicatoriae en latin, et

koinônikà grammata en grec) – une pratique connue tant en Occident

qu’en Orient1. Leur rôle était d’exprimer et de garantir la communion entre les évêques et les Eglises locales. Tertullien les mentionne déjà en disant qu’elles probant unitatem communicatio pacis et appelatio

fraternitatis et contesseratio hospitalitatis2. En plus de ces lettres, chaque communauté possédait des listes de noms et d’adresses qu’on pouvait – en cas de voyage – consulter pour savoir à quelle Eglise et à quel évêque fallait-il s’adresser en traversant telle ou telle région ; ceci afin d’être sûr de rester dans la koinônia–communio de l’Eglise du Christ. Ces différents signes de communion permettaient la reconnaissance mutuelle entre les communautés dispersées à travers le monde, et protégeaient contre la fausse communion avec ceux qui n’appartenaient pas à l’unité ecclésiale.

Ces quelques exemples patristiques nous persuadent que les chrétiens des premiers siècles avaient une conception de la communion ecclésiale

1

BOTTE, B., Etudes sur le sacrement de l’ordre, col. Lex orandi 22, Paris, 1957, 114. 2

que l’on appellerait aujourd’hui totale, c’est–à–dire englobant le tout de l’Eglise et tous les membres de l’Eglise.

D E U X I E M E E T U D E :

L’Eglise en tant que communion dans

la Foi et Constitution

Notes méthodologiques

La présente étude a pour but de présenter le développement doctrinal du concept de communion dans le Conseil Œcuménique des Eglises et dans sa commission théologique Foi & Constitution à travers une approche chronologique jalonnée par les Assemblées mondiales du COE, et les Conférences mondiales de la FC. En raison de la large représentation de toutes les traditions chrétiennes dans ces deux structures œcuméniques, nous jugeons que leurs documents officiels peuvent être considérés comme représentatifs pour l’ensemble de la chrétienté. Toutefois, il est clair que le mot représentatif doit être entendu ici de manière relative, car ces textes ne peuvent être identifiés à la doctrine particulière d’aucune des Eglises représentées au sein de ces organismes multiconfessionnels1. Ils traduisent cependant des convergences, et parfois de réels consensus, auxquels elles sont parvenues sur certaines questions controversées de la doctrine, en cheminant ensemble vers l’unité dans la foi2.

Depuis l’adoption de la notion de communion comme la catégorie dominante de l’ecclésiologie œcuménique contemporaine, le dialogue doctrinal, mené au sein du Conseil et en particulier dans la Foi & Constitution, a donné une quantité considérable d’études et de documents sur sa compréhension, ses éléments constitutifs, ses limites et sa portée ecclésiologique. Ils témoignent d’un développement doctrinal complexe et multidirectionnel, jalonné par des études approfondies sur différentes composantes du concept et une multitude de thèmes annexes. Il n’est pas possible de les présenter tous ici sans courir le risque de s’éloigner de l’intérêt principal de ce travail et de se disperser dans des détails secondaires et des répétitions. Il est donc

1

Deux précisions s’imposent à cet égard : 1° Même signés par des représentants officiellement désignés par les Eglises, ces documents n’engagent formellement les Eglises que lorsqu’ils sont ratifiés par les instances compétentes à l’intérieur de chaque Eglise ; 2° En tant que documents supraconfessionnels, produits d’un compromis théologique entre diverses traditions doctrinales, habituellement, ils ne correspondent pas entièrement aux positions tenues officiellement par les Eglises. Cependant, sans les identifier à leur doctrine propre, les Eglises, en les signant, y reconnaissent une part de vérité chrétienne universelle.

2

Il y a consensus là où l’on reconnaît l’entière identité quant à la foi professée ; on parle de convergence là où les idées se rapprochent, mais où l’unanimité n’est pas encore atteinte dans tous les détails (Cf. HELLER, D., « Convergences œcuméniques sur la doctrine eucharistique », Irénikon 3-4/1999, 542).

nécessaire, d’emblée, de définir quelques limites à notre étude. Ainsi, nous allons présenter le développement théologique du concept de communion à travers les documents officiels produits par les Assemblées mondiales du Conseil Œcuménique des Eglises et par les Conférences mondiales de la commission Foi & Constitution, depuis

Nouvelle Delhi jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle : Nous

compléterons cette étude par l’analyse du document La nature et le but

de l'Eglise : Vers une déclaration commune, produit par la commission

Foi & Constitution en 1998, la même année où s’est tenue, à Harare dans le Zimbabwe, la 8ème Assemblée mondiale du Conseil Œcuménique des Eglises marquant son cinquantenaire. Ce document est le dernier en date consacré entièrement à l’ecclésiologie, en même temps qu’il constitue le début d’un processus devant conduire par la suite les Eglises à une déclaration commune sur l’Eglise. En principe, nous n’allons pas analyser d’études intermédiaires élaborées par diverses commissions ou dans le cadre des colloques préparatoires. Toutefois, là où il s’agira de textes spécialement importants, ils seront évoqués soit dans le corps du texte, soit dans les notes ; ils seront parfois même brièvement présentés et analysés. Les documents élaborés par les Assemblées mondiales du Conseil et les Conférences mondiales de la Foi & Constitution se nourrissent des résultats de ces recherches intermédiaires et les assimilent, en marquant ainsi de grands pas dans le dialogue œcuménique qui vise l’élaboration progressive d’une conception commune de l’unité ecclésiale1.

Le choix de présenter dans un seul chapitre les documents du Conseil Œcuménique des Eglises et les documents de la commission Foi & Constitution se justifie par le fait que les deux organismes sont intimement liés ; ils collaborent étroitement entre eux sur le champ doctrinal et il existe une incontestable continuité dans leur réflexion théologique. Intégrée organiquement dans les structures de travail du Conseil Œcuménique des Eglises, la commission Foi & Constitution est

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Nous omettrons aussi les dialogues bilatéraux et les séances de la commission permanente de la Foi & Constitution car le cadre de ce travail ne nous permet pas une telle analyse détaillée. D’une manière générale, leurs résultats se reflètent dans les déclarations officielles adoptées à l’occasion des rencontres au niveau mondial. Pour une vue d’ensemble, voir BIRMELE, A., Op.cit., 245-284.

Sur les développements particuliers au sein de la Foi & Constitution voir, GASSMANN, G. (ed.), Documentary History of Faith and Order 1963-1993, Faith and Order Paper n°159, Geneva, WCC, 1993.

souvent appelée sa cellule théologique car, en réalité, c’est elle qui prépare la majeure partie de ses textes doctrinaux . Comme l’a remarqué l’un de ses membres, les déclarations les plus significatives du Conseil sur l’unité ont toutes été élaborées par la Foi & Constitution1. Ceci n’est pas surprenant, car si le but ultime du Conseil est l’unité visible de l’Eglise en une seule foi et en une seule communauté eucharistique,

exprimée dans le culte et dans la vie commune en Christ, à travers le témoignage et le service au monde2, celui de la Foi & Constitution consiste surtout à approfondir la conception commune de ce but et des

moyens de l'atteindre3. Pour cette raison, il y a un développement homogène du concept de communion à travers les documents des deux organismes portés par le même souci œcuménique. Ce choix nous permettra d’échapper à des répétitions qui seraient inévitables en présentant les acquis des deux institutions séparément. Pour cette même raison, nous n’allons pas présenter à chaque fois tout ce qui a été dit au sujet de l’unité des chrétiens, mais nous allons nous concentrer sur les éléments nouveaux introduits par les documents successifs, ou sur les approfondissements apportés aux textes précédents qui marquent le développement doctrinal de la conception de la communion ecclésiale dans les structures du Conseil.

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GASSMANN, G., « From Montreal 1963 to Santiago de Compostela 1993. Issues and Results of Faith and Order Work », in Crow, P. & Gassmann, G. (eds), Lausanne 1927 to Santiago de Compostela 1993. The Faith and Order World Conferences, and Issues and Results of the Working Period 1963-1993, Geneva, 1993, 16.

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COE, Constitution, n°3 : http://www.wcc-coe.org/wcc/who/con-f.html, 23. 04. 2004. 3

FOI & CONSTITUTION, La nature et le but de l'Eglise : Vers une déclaration commune (novembre 1998), Document n° 181, n°1 : http://www.wcc-