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Dans le français ecclésiastique, le mot communion traduit plusieurs termes des langues anciennes lesquels possèdent des sens associés mais distincts. Il s’agit tout d’abord du terme grec koinônia et des autres mots dérivés de la racine koinos. Les mots de ce groupe – y compris la forme nominale koinônia – ne sont pas propres à la culture chrétienne. Leur usage littéraire remonte aux temps des écrivains et des philosophes grecs de l’antiquité classique.

Etymologiquement, koinos désigne ce qui est publique, commun, accessible à tous, ordinaire et s’oppose à idios qui désigne ce qui est

propre à, particulier, privé1. Les formes verbales dérivées de koinos se traduisent par mettre en commun, communiquer, participer à, avoir part

à. Il existe deux formes nominales : koinônia et koinonos. Le substantif

féminin koinônia désigne la communauté ou la collectivité, tandis que le substantif masculin koinonos désigne un particulier qui peut être un ami proche, un compagnon de route fortuit, ou un associé dans une affaire quelconque. Quant à l’adjectif koinonikos, son sens est qui concerne la

communauté. Tous les mots du groupe koinos expriment l’idée de

communion entre des personnes. Cette communion peut pourtant avoir divers degrés d’intensité. Suivant le cas, il peut s’agir aussi bien d’une association purement extérieure basée sur la communauté d’intérêts, que d’une communion intérieure ancrée dans l’unité de sentiments et de pensées. Dans tous les cas cependant, il s’agit d’une relation de relative proximité entre des personnes qui tendent ensemble vers un même but, ou qui mettent à l’usage commun leurs biens propres ou encore qui partagent une vie commune quelle que soit sa forme (famille, habitation

activités de la vie quotidienne par les membres d’une famille, ou par de proches amis ; parfois, il désigne une profonde relation affective et sentimentale entre des personnes liées par des liens d’amitié ou d’amour ; on la trouve également employée pour désigner la relation sexuelle par laquelle s’exprime l’amour entre un homme et une femme (Cf. « Communion », Trésor de la langue française, t. V, Paris, 1977 et « Communier » et « Communion » dans RAY, A. éd., Dictionnaire historique de la langue française, Paris, 1992 ; nous trouverons dans ces articles des références à des auteurs et à des œuvres).

1

Cf. « koinos » et « idios », dans Dictionnaire étymologique de la langue grecque. Histoire des mots, Paris, 1968.

commune, etc.). Deux idées y sont associées intimement : celle de donner et celle de recevoir.

Platon, par exemple, utilise le terme koinônia dans trois acceptions qui reflètent trois degrés de proximité entre les personnes concernées. Au niveau le plus bas et dans un sens très large, la koinônia exprime chez lui l’idée de rencontre entre des personnes humaines qu’il s’agisse d’une fête ou d’un voyage fait ensemble. A un niveau plus élevé se situe une

koinônia basée sur l’amitié ou l’amour. Au sommet de cette hiérarchie,

il y a la koinônia entre les humains et les dieux, où le ciel et la terre sont reliés1.

Aristote, par contre, n’utilise jamais les termes du groupe koinos pour exprimer l’idée de communion entre les humains et les dieux ; il les réserve uniquement au contexte d’une communauté humaine, qu’il s’agisse de la cité, de l’armée, de la tribu ou de la famille. De même, il fait une distinction entre une koinônia d’intérêt et une koinônia d’esprit. Dans la première situation, des personnes s’associent sur le fondement d’un intérêt commun ou pour atteindre plus facilement un même but ; cependant, même dans ce cas, le sens est plus profond que celui d’association extérieure : le partage du même intérêt ou la poursuite du même but font naître entre les gens des liens de solidarité, une sorte de camaraderie. Dans la seconde situation, il s’agit d’une communauté intime de sentiments d’amitié ou d’amour, lesquels sentiments poussent les personnes concernées à établir des formes stables de vie communes et s’engager définitivement les unes envers les autres. Selon Aristote, ce second cas constitue une forme plus élevée et plus parfaite de la

koinônia que le premier.

Le terme koinônia revient régulièrement dans La Politique et dans

L’Ethique à Nicomaque2. Pour Aristote, l’homme est par nature un être communionnel, incapable de parvenir à son plein épanouissement ni d’atteindre son bonheur propre sans s’associer à d’autres hommes. Cette inclination naturelle le pousse à créer différentes communautés, dont les trois fondamentales sont la famille, le village et la cité (l’état). Toute

1

SIEBEN, H.J., « Koinônia » [chez Platon et Aristote], Dictionnaire de Spiritualité, t. VIII, Paris, 1974, col. 1743-1745 ; KITTEL, G. (ed)., Theological Dictionary of the New Testament, Grand Rapids, 1965, 789-800.

2

Pour la notion de koinônia dans l’ensemble de l’œuvre d’Aristote, voir, ARISTOTE, Politique. Livre I et II, éd. de la Collection des Universités de France (par J. Aubonnet), Paris, 19682, note explicative n°4, p. 106.

communauté se compose de plusieurs êtres humains qui sont différents les uns des autres et qui établissent entre eux des relations de types divers. Toute communauté implique l’existence d’au moins un but commun sur la base duquel plusieurs personnes s’unissent dans une action commune. Grâce aux échanges – qui peuvent concerner des biens matériels ou des biens spirituels – les membres de la communauté s’aident mutuellement à bien vivre, c’est–à–dire à mener une vie vertueuse, synonyme chez Aristote de la vie heureuse.

L’idée d’une koinônia entre les hommes et les dieux, présente déjà chez Platon, sera reprise par le stoïcisme. Les stoïciens considèrent que l’aspiration de l’homme à une vie de communion s’étend non seulement sur ses semblables mais également sur les dieux. Selon Pythagore de Samos (+580 av. J-C), le fait d’appartenir à un même dieu doit s’exprimer dans une vie de koinônia entre ses adorateurs, koinônia qui doit consister dans le dévouement mutuel et la mise en commun des biens.

Ces quelques exemples nous permettent de distinguer les trois principales situations dans lesquelles le mot koinônia et les termes associés sont utilisés par des auteurs grecs. Il peut s’agir soit d’une association des citoyens (village, cité), soit d’une communauté intime entre des personnes humaines (famille, amis, amoureux), soit d’une union entre des hommes et des dieux, sur base de laquelle se construit une vie de communion entre les hommes se référant au même dieu. Quel que soit le cas, deux idée–clefs se conjuguent dans le concept grec de koinônia : celle d’une association de plusieurs personnes en vue d’une action commune, et celle d’une participation commune aux mêmes biens (matériels ou spirituels) ; association et participation sont inséparables l’une de l’autre. Il s’agit au fond d’une vie partagée bien que l’extension et l’intensité de ce partage puissent varier suivant les situations. Chez les philosophes grecs la conviction domine que la

koinônia correspond à la nature sociale de l’homme : l’homme est un

être communionnel qui ne peut pas se réaliser pleinement ni développer ses potentialités humaines dans l’exclusion des autres1. Dans la culture grecque antique, l’amitié entre des hommes (philia) était considérée comme la réalisation la plus parfaite de la koinônia. L’idéal de cette

1

Cf., supra, Troisième étude, 2.1. De l’« animal social » à l’« être relationnel » – quelques repères philosophiques.

koinônia de type adelphique vécue au sein d’un petit groupe d’amis et

où tout est partagé, est bien exprimé dans un proverbe attribué aux pythagoriciens mais très estimé par la quasi-totalité de philosophes de l’antiquité : entre amis tout est commun1. L’idéal de la koinônia adelphique était répandu et grandement estimé dans le monde grec à

l’apparition du christianisme.

1

On trouve cette idée chez tous les grands philosophes de l’antiquité. A titre d’exemple, PLATON, Lysis, 507c ; ARISTOTE, Eth. Nic., VIII, 11, 1159b 31 ; TERENCE, Adelphes, 804.

3. Communio, communicatio et communicare dans le latin